La mifépristone serait-elle en passe d'être retirée du marché américain? Ce composant, essentiel à l'avortement médicamenteux, va de pair avec le misoprostol. Sa distribution sur le territoire des États-Unis pourrait cependant prochainement s'interrompre.
Depuis le revirement de jurisprudence opéré par la Cour suprême le 22 juin 2022, les activistes anti-avortement ont pour cible la pilule abortive. Alors que les grandes chaînes de pharmacie CVS et Walgreens ont accepté de vendre la mifépristone dans les États où l'avortement médicamenteux demeure légal, le camp «pro-life» s'est mobilisé dans la rue et dans les tribunaux pour parvenir à une interdiction nationale.
Un juge judicieusement choisi
Dans leur fronde anti-IVG, les organisations «pro-life» n'ont pas choisi leur juge au hasard: en déposant leur plainte à Amarillo (Texas), elles savaient qu'elles mettaient le sort de la mifépristone entre les mains du juge Matthew Kacsmaryk. Le quadragénaire, nommé par le président Trump en 2019, est connu pour ses positions anti-avortement et hostiles aux personnes LGBT+.
Par ailleurs, l'Alliance for Hippocratic Medicine, soutenue par l'ultraconservatrice Alliance Defending Freedom (ADF), considère que la Food and Drug Administration (FDA) a illégalement approuvé l'avortement médicamenteux. «L'approbation par la FDA des médicaments chimiques utilisés pour l'avortement a toujours reposé sur des bases juridiques et morales fragiles. Après des années de fuite devant ses responsabilités, il est temps que le gouvernement fasse ce qu'il est légalement tenu de faire: protéger la santé et la sécurité des femmes et des jeunes filles vulnérables», affirme Erik Baptist, avocat de l'ADF.
Selon l'avocat, la mifépristone a été improprement autorisée à être mise sur le marché, le composant ayant été approuvé en 2000 par la FDA en vertu d'une réglementation destinée à l'«approbation accélérée de nouveaux médicaments pour des maladies graves ou potentiellement mortelles». Or, selon la plainte déposée par l'Alliance for Hippocratic Medicine, «la grossesse n'est pas une maladie» et n'est «ni “grave”, ni “potentiellement mortelle” au sens où ces termes sont entendus dans la sous-partie H [de la règlementation, ndlr]».
En conséquence, l'organisation réclame «une injonction préliminaire et permanente ordonnant aux défendeurs de retirer la mifépristone et le misoprostol en tant que médicaments chimiques abortifs approuvés par la FDA et de retirer les actions des défendeurs visant à déréglementer ces médicaments chimiques abortifs».
En 2021, l'administration Biden avait en effet pris à contre-pied la politique de l'administration Trump en levant les restrictions qui empêchaient l'envoi de médicaments abortifs par voie postale. En janvier dernier, la distribution de la mifépristone a été rendue possible en pharmacie: auparavant, seules les cliniques, le personnel de santé certifié ou quelques pharmacies par correspondance avaient l'autorisation de délivrer le produit. Cette déréglementation progressive, accélérée par l'arrêt de la Cour suprême du 24 juin 2022, a provoqué l'ire des activistes anti-IVG.
Une campagne anti-mifépristone
En réponse à la déréglementation voulue par l'administration démocrate, le camp anti-choix n'a pas seulement riposté devant les tribunaux: il a également donné de la voix dans la rue. De San Francisco à Washington D.C., des happenings «pro-life» se sont tenus devant les pharmacies CVS, Walgreens et RiteAid dans près de vingt États pour protester contre la distribution de la mifépristone. Une ampleur qu'il convient de relativiser, tant certains événements tenaient davantage de la démonstration individuelle.
Caroline fait partie de cette jeunesse «pro-life» mobilisée contre la pilule abortive. Âgée de 24 ans, la jeune femme vit dans la capitale. Originaire du Michigan, elle s'était déjà mobilisée en 2022 contre la «Proposition 3», un référendum destiné à inscrire le droit à l'avortement dans la Constitution. Directrice des relations publiques pour l'association Progressive Anti-Abortion Uprising, elle participe à la coordination de la campagne #StopAbortionRx aux côtés d'autres organisations telles que Live Action et Democrats for Life.
«Si l'accès à des méthodes sûres d'interruption de grossesse est interdit, il y aura davantage d'avortements bâclés, d'avortements septiques, d'hystérectomies, d'hémorragies et de décès maternels.»
«Ces pilules de la mort ne devraient pas être distribuées dans les pharmacies, assène-t-elle. Elles n'aident ni ne soignent quoi que ce soit.» Interrogée sur l'innocuité de la mifépristone, Caroline est formelle: «Elle est quatre fois plus dangereuse qu'un avortement chirurgical, entraînant des complications dans un cas signalé sur cinq. Rien que depuis 2000, vingt-huit femmes sont mortes à cause de ce médicament.»
Si le chiffre lié à la mortalité semble exact –l'Université de Californie à San Francisco recensait vingt-quatre décès entre 2000 et 2018–, la professeure de droit Greer Donley dénonce quant à elle un «exceptionnalisme», soulignant que le médicament contre les dysfonctionnements érectiles que nous connaissons sous le nom Viagra a un taux de mortalité six fois plus élevé que la mifépristone. Pourtant, le composant actif du Viagra, le sildénafil, ne connaît pas les mêmes contraintes de distribution que la mifépristone.
Pour la docteure Kecia Gaither, qui s'est exprimée dans les colonnes de Healthline, «si l'accès à des méthodes sûres d'interruption de grossesse est interdit, il y aura davantage d'avortements bâclés, d'avortements septiques, d'hystérectomies, d'hémorragies et de décès maternels». La gynécologue-obstétricienne ne partage en aucun cas les inquiétudes du camp adverse au sujet des risques liés à l'avortement médicamenteux. Elle affirme ainsi qu'«utilisés correctement, la mifépristone et le misoprostol se sont avérés sûrs et efficaces jusqu'à soixante-trois jours d'âge gestationnel estimé pour l'interruption médicale de grossesse».
Le produit pourrait malgré tout faire l'objet d'une injonction préliminaire et voir sa distribution interrompue sur l'intégralité du territoire américain.
L'énigme Kacsmaryk
Les regards sont désormais tournés vers l'inénarrable juge Kacsmaryk. Le juge nommé par Trump n'est d'ailleurs pas le seul atout de l'ADF: le Texas se situe dans le 5e Circuit d'appel fédéral, dont la Cour transformée par Donald Trump penche nettement à droite. L'organisation a par conséquent mis toutes ses chances de son côté pour parvenir à restreindre considérablement l'exercice du droit à l'avortement là où il demeure encore.
Dans la préface de son dernier ouvrage (non traduit), la professeure Mary Ziegler, éminente spécialiste de l'histoire des droits reproductifs aux États-Unis, affirme que «La jurisprudence Dobbs peut se présenter comme la fin de Roe et de l'implication de la Cour [suprême] en matière d'avortement. Il ne faut pas en croire un mot.»