Le 24 février, en présentant un plan de paix à propos de la guerre en Ukraine, Pékin a adopté une attitude nouvelle. Depuis un an, la Chine affichait officiellement sa neutralité par rapport à ce conflit. En mars 2022, devant l'insistance des Américains, elle s'est notamment engagée à ne pas fournir d'armements à la Russie. Mais cela ne l'empêche pas de lui vendre de nombreux biens de consommation et, surtout, de lui acheter à prix réduit de grandes quantités de pétrole et de gaz.
Cela étant, depuis quelques semaines, la Chine a décidé d'évoluer dans toutes sortes de domaines. En janvier, elle a arrêté les confinements et contrôles sanitaires imposés depuis trois ans à sa population. Et le mois suivant, elle a publié ce document qui propose des dispositions en vue de rétablir la paix en Ukraine.
Ces propositions chinoises sont parues sur le site du ministère chinois des Affaires étrangères précisément le 24 février, jour du premier anniversaire de l'offensive russe en Ukraine. Elles ont comme titre «Position de la Chine sur le règlement politique de la crise ukrainienne» et elles indiquent que, «pour la Chine, la sécurité d'un pays ne doit pas être recherchée au détriment des autres ni être obtenue par l'expansion ou le renforcement de blocs militaires».
Une formulation qui se démarque de la position de Moscou, même si aucune allusion précise n'est faite à la Crimée ou aux autres territoires annexés par les Russes à l'est de l'Ukraine. Mais la Chine appelle les deux pays à installer une négociation. Le texte plaide pour une «désescalade» du conflit avant un «cessez-le-feu», en insistant sur l'idée que «le dialogue est la seule solution viable à la crise ukrainienne».
L'arme atomique, c'est non
Une partie de ce document chinois est ensuite consacrée à «la crise humanitaire en Ukraine». «Toutes les mesures pour la résoudre doivent être encouragées et soutenues», est-il écrit. On peut aussi y lire que «les parties [impliquées] dans ce conflit doivent se conformer strictement au droit humanitaire international et éviter d'attaquer des civils ou des bâtiments civils». Par ailleurs, Pékin s'oppose fermement à l'escalade atomique en proclamant: «Il faut s'opposer à la menace ou au recours à l'arme nucléaire.»
Vladimir Poutine se contente de brandir parfois cette possibilité. Le 22 février, il a déclaré que la Russie va prochainement –et pour la première fois– déployer des missiles balistiques intercontinentaux Sarmat, qui peuvent transporter plusieurs têtes nucléaires. Dans tous les cas, Pékin se dit aussi opposé à la «recherche, au développement et à l'usage d'armes chimiques ou biologiques».
L'entourage de Xi Jinping a jugé utile de montrer que la Chine, plutôt que de rester silencieuse, est capable de présenter un plan de paix modéré.
Enfin, ce document chinois réclame «la fin des sanctions unilatérales» qui visent Moscou: «elles ne font que créer de nouveaux problèmes» selon Pékin, qui estime que «les pays concernés doivent cesser d'abuser des sanctions unilatérales afin de contribuer à la désescalade de la crise ukrainienne». Et ce, alors que l'Union européenne et les États-Unis viennent de renforcer lesdites sanctions.
Par ici la sortie
Il serait difficile de trouver dans l'histoire un autre document dans lequel la Chine énonce ainsi à d'autres pays des éléments de sortie de crise. La République populaire, et l'Empire chinois avant elle, ne se sont jamais vraiment préoccupés de préconiser la conduite devant être suivie par des étrangers. Manifestement, l'entourage de Xi Jinping a jugé utile de montrer que la Chine, plutôt que de rester silencieuse, est capable de présenter un plan de paix modéré. Jusqu'ici, seule la Turquie s'est lancée dans un exercice comparable, il y a près d'un an. Sans succès.
Dans les jours qui ont précédé la parution de ce document, Wang Yi, le plus haut diplomate chinois, a fait un voyage en Europe, dont l'un des objectifs semble avoir été de mesurer l'influence actuelle de la Chine. Âgé de 70 ans, il parle anglais et japonais, et était ministre des Affaires étrangères depuis 2013. Au dernier congrès du Parti communiste chinois (PCC), en octobre 2022, il est devenu l'un des vingt-quatre membres du bureau politique et, depuis le 1er janvier, il dirige le bureau central des Affaires étrangères du Parti.
Vieux briscard
Wang Yi est donc un personnage habitué des dossiers internationaux, qui a tissé des contacts sur tous les continents. Son allure calme ne l'empêche pas, à l'occasion, de prononcer des mises en garde sévères à l'encontre de quiconque critique les positions chinoises. Une de ses premières initiatives en tant que directeur du bureau des Affaires étrangères du PCC a donc été le voyage qu'il vient d'achever en Europe.
Le 15 février, Wang Yi s'est d'abord rendu à Paris, où il a été reçu par Emmanuel Macron. Selon l'Élysée, les deux hommes ont exprimé «le même objectif de contribuer à la paix en Ukraine dans le respect du droit international». Mais la part de chaque pays dans cet objectif n'a pas été précisée: le haut diplomate chinois a juste été «encouragé» à «transmettre des messages» pour que «la Russie revienne à la table des négociations» et «cesse les bombardements» contre les civils.
Wang Yi prononce le 18 février un discours où le mot «paix» est répété une trentaine de fois.
De son côté, Wang Yi voulait sans doute évaluer dans quelle mesure la France et l'Europe peuvent accepter de compenser les restrictions commerciales que les États-Unis imposent à la Chine. Il a ensuite été reçu par Catherine Colonna, la ministre des Affaires étrangères, qui a par la suite assuré avoir «tout à fait diplomatiquement et tout à fait clairement» parlé à son interlocuteur du souhait de la France que Pékin «ne prête pas main-forte à la Russie».
En particulier, a-t-elle dit sur France 5, «il y a des sociétés privées chinoises dont nous regardons de près l'activité». Ces sociétés seraient sur le point de fournir des gilets pare-balles ou des rations de nourriture à la Russie ainsi que, principalement, de l'armement. Ce que Wang Yi a démenti à plusieurs reprises.
Pacification
Le sujet d'une éventuelle aide militaire de la Chine en faveur de la Russie est réapparu à partir du 17 février à Munich, où pendant trois jours, la traditionnelle conférence sur la sécurité internationale réunissait une trentaine de dirigeants venus de divers pays –mais pas de Russie. Devant cette instance, Wang Yi prononce le 18 février un discours où le mot «paix» est répété une trentaine de fois, et où il affirme que la guerre en Ukraine «ne peut pas continuer à faire rage».
Au lendemain de ces propos tout en modération, Wang Yi rencontre Antony Blinken, le secrétaire d'État américain, qui qualifiera ensuite l'entretien de «franc et direct». Ce qui, en termes diplomatiques, signifie que les échanges ont été particulièrement tendus.
«Nous n'acceptons pas que les États-Unis pointent du doigt les relations entre la Chine et la Russie.»
Le secrétaire d'État raconte ensuite, sur la chaîne NBC, qu'il a mis en garde son interlocuteur contre les «implications et les conséquences» pour la Chine s'il s'avérait qu'elle apporte un «soutien matériel» à la Russie. Il a notamment évoqué des équipements de surveillance électronique que Pékin s'apprêterait à livrer au Groupe Wagner, et soupçonné la Chine d'envisager de fournir des armes et des munitions –une «aide létale», selon lui– à la Russie.
Le lendemain, toujours à Munich, le commissaire européen Josep Borrell, chargé des Affaires étrangères et de la politique de sécurité de l'Union, raconte qu'il a eu un entretien avec Wang Yi et que celui-ci, qu'il connaît bien, lui a demandé: «Pourquoi ça te dérangerait que je donne des armes à la Russie, alors que toi tu en donnes à l'Ukraine?» avant de répéter que «la Chine ne donne pas d'armes à des pays en guerre».
Quoi qu'il en soit, le 20 février, le Chine réagit vigoureusement aux propos d'Antony Blinken. Wang Wenbin, autre porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, accuse les États-Unis de «propager de fausses informations». Il martèle: «Nous n'acceptons pas que les États-Unis pointent du doigt les relations entre la Chine et la Russie, et encore moins qu'ils exercent des pressions et des contraintes.»
Consensus de paix
La suite du voyage européen de Wang Yi va être nettement plus consensuelle. Il passe par la Hongrie, dont les dirigeants sont moins sévères que le reste de l'Union européenne à l'égard de la Russie. Puis il se retrouve à Moscou où, le 22 février, il répète que les relations russo-chinoises sont «solides comme un roc».
Il rencontre d'abord Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, et lui dit: «Quels que soient les changements de la situation internationale, la partie chinoise espère que ses relations avec la Russie, qui sont catégorisées comme un nouveau type de relations entre grandes puissances, se développeront en suivant une dynamique positive.»
Volodymyr Zelensky a surtout tenu à ne pas rejeter ce plan de paix.
Puis Wang Yi est reçu par Vladimir Poutine, qui souligne la qualité des relations économiques russo-chinoises en disant qu'elles ont augmenté de 29,3% en 2022. Elles représentent l'équivalent de près de 180 milliards d'euros.
À propos de l'Ukraine, la presse chinoise rapportera que, dans cette conversation, Wang Yi «salue le fait que la Russie ait réitéré son désir de résoudre les problèmes par le dialogue et les négociations. Il a déclaré que la Chine maintiendrait comme toujours une position objective et juste, et jouerait un rôle constructif dans la résolution de la crise par des moyens politiques.»
Qu'il soit essentiel pour la Chine de maintenir un contact fort avec la Russie est une évidence. En retour, le Kremlin a dit «apprécier les efforts de la Chine» pour arrêter les hostilités en Ukraine. Les dirigeants ukrainiens, eux, ont officiellement regretté de ne pas avoir été consultés avant la parution du plan de paix chinois alors que, manifestement, les autorités russes ont été informées des détails de celui-ci.
Mais Volodymyr Zelensky a surtout tenu à ne pas rejeter ce plan de paix. Juste avant sa publication, il a dit: «Que la Chine commence à parler de l'Ukraine et envoie certains signaux, c'est un point très positif.» Il souhaite rencontrer Xi Jinping pour en parler, et demande à la Chine de tout faire pour que la Russie quitte le territoire ukrainien.
Prise de position
Avec ce plan, le premier objectif de Pékin peut être de montrer aux Chinois que leur pays est parfaitement capable de présenter des propositions en vue de résoudre un conflit de haute intensité. Cette position peut, en même temps, donner un certain prestige à la Chine dans nombre de pays du tiers-monde qui ne sont pas concernés directement par la guerre en Ukraine. Quant aux chances que la Chine parvienne à enclencher un processus de paix, elles sont considérées avec beaucoup de prudence à Pékin même.
Certes, la mise en route d'une négociation entre la Russie et l'Ukraine provoquée par la Chine serait un succès diplomatique considérable pour Pékin. Mais certains journaux chinois autorisés à écrire sur le sujet indiquent que de nombreuses inconnues existent. L'intérêt annoncé par les Ukrainiens pour le plan chinois sera-t-il confirmé, ou bien sera-t-il bloqué par les Américains?
Les possibilités que le plan de paix chinois soit suivi d'effets sont très minces.
Par ailleurs, il sera difficile d'amener Moscou à faire des concessions. Depuis un an, la Chine n'est jamais parvenue à faire reculer la Russie, même si celle-ci a multiplié les échecs sur le terrain. La guerre en Ukraine a surtout eu pour effet de renforcer considérablement la présence en Europe de l'OTAN et donc des Américains, ce qui est l'inverse de ce que voulait Vladimir Poutine il y a un an.
Dans ces conditions, les possibilités que le plan de paix chinois soit suivi d'effets sont très minces. D'autant qu'en Occident, aucun pays ne considère cette initiative diplomatique comme une avancée majeure. Pourtant, la fait que la Chine ait fait entendre sa voix n'a rien de négligeable. Elle s'est ainsi positionnée en vue du jour où un véritable traité de paix s'amorcera en Ukraine.