Chaque année, les maisons d'édition les plus connues du monde de la littérature reçoivent plus de 2.000 manuscrits –un chiffre qui a quasiment doublé à la sortie du premier confinement, où près d'un Français sur dix s'est prêté à l'exercice de la rédaction d'un livre. Si les places sont rares et les éditeurs submergés, cela ne décourage pas les aspirants romanciers, qui tentent leur chance et envoient leur manuscrit.
«Depuis la primaire, j'ai envie d'être écrivain et d'être publié. Le but pour moi, c'est de dire un jour: “Oui, je suis écrivain.”» Brandon Pavageau, 25 ans, est auteur d'un récit fantastique rédigé quand il était au lycée. Il a déjà tenté d'envoyer son projet de livre à des maisons mais a été confronté, quelques mois plus tard, à la lettre type de refus. Il fait partie de la moitié des Français qui rêvent de voir leur ouvrage un jour publié, et des 4% qui ont déjà tenté leur chance auprès des maisons d'édition, selon les chiffres d'un sondage Librinova publié en 2019.
Ce chiffre a pris une ampleur sans précédent avec le confinement, où de nombreuses plumes en herbe se sont tournées vers l'écriture. Débordée, Gallimard a même demandé à ce qu'on cesse de lui envoyer des manuscrits. Pourtant, malgré la très faible probabilité de pouvoir un jour taper dans l'œil d'un éditeur, le rêve persiste et les projets continuent d'affluer en nombre au service des manuscrits des grandes comme des petites maisons.
Éloïse Steyaert, animatrice de cercles de lecture en Belgique, s'est rendue elle-même sur place, à Paris, pour déposer le sien. «En cherchant des témoignages sur internet, j'ai vu des auteurs dire que déposer son manuscrit en personne, voire attendre un peu autour des lieux pour espérer rencontrer un éditeur, étaient des astuces pour qu'il ne finisse pas en bas d'une pile», raconte-t-elle.
Autrice d'un premier roman d'autofiction, elle n'a, pour l'instant, reçu que des retours négatifs au travers de lettres non personnalisées. «Cela m'a permis de me rendre compte à quel point c'est la jungle à Paris. Je sais que c'est un système, mais ce qui est difficile dans l'attente, c'est qu'il y a zéro réponse. Tu ne sais même pas si les maisons ont lu le livre. Ça bouffe un peu le mental, il faut vraiment du soutien. Je préférerais avoir des refus clairs. Je comprends qu'ils soient tous très occupés, mais en tant qu'auteur, on aimerait bien un petit retour constructif pour s'améliorer.»
C'est le constat que font tous ceux qui ont tenté leur chance par le service des manuscrits: l'attente est très longue avant d'avoir un retour, et les lettres types de refus sont dures à avaler.
Des maisons surchargées
Caroline* est éditrice dans une petite maison indépendante. D'emblée, elle souhaite que son prénom soit changé et que le nom de sa société ne soit pas mentionné. «Ça fait un peu parano, mais avec les réseaux sociaux, les éditeurs se font de plus en plus repérer sur Linkedin ou Instagram par les auteurs. On reçoit des messages et c'est toujours délicat d'y répondre. Ils insistent pour nous remettre les manuscrits en main propre, mais on ne peut pas rencontrer tout le monde, malheureusement. Le mieux est de le déposer à notre nom au service des manuscrits.»
Quand on lui demande si elle a le temps de lire tous les projets qu'on lui adresse, elle soupire. «Tout le monde vous répondra la même chose dans ce métier: non, on court après le temps.» Elle précise devoir traiter une vingtaine de manuscrits par semaine, quand sa maison publie une vingtaine de titres par an, bien loin des gros programmes des piliers du secteur. «On aimerait beaucoup pouvoir faire des retours à tout le monde, mais c'est techniquement impossible. On en reçoit beaucoup trop, vraiment.»
Le business des intermédiaires, agences ou ateliers d'écriture, permet d'apporter aux éditeurs des projets déjà relus par des professionnels.
Parmi tous les aspirants romanciers interrogés, aucun n'a reçu de retour personnalisé, ou alors uniquement de la part de petites structures. Léa, autrice d'un premier roman non publié, n'a ainsi eu qu'une seule petite maison au téléphone. «Ça m'a motivée pour reprendre mon texte et aller plus loin», affirme-t-elle.
Existe-t-il une solution pour que les aspirants romanciers aient plus de chances d'obtenir des retours, et éventuellement de se faire publier? «Ce que je vais dire est dur, mais les gens devraient plus travailler leur manuscrit avant de l'envoyer, répond Caroline. On reçoit trop de projets bourrés de fautes, de phrases clichés, de personnages et de narrations trop attendues… Si on recevait moins de manuscrits, mais de meilleure qualité, là, oui, on pourrait vraiment se pencher sur des retours. Mais dans l'état actuel du marché, avec en plus l'inflation et la crise du papier, on ne pourra pas faire mieux.»
Certains aspirants écrivains essaient de sortir du lot grâce à différentes techniques: participer à des ateliers d'écriture, envoyer son manuscrit à un agent, tenter de se créer une communauté de lecteurs sur Instagram, publier ses textes en autoédition ou sur des plateformes de partage comme Wattpad…
Le business des intermédiaires, qu'il s'agisse d'agences ou d'ateliers d'écriture, permet d'apporter aux éditeurs des projets déjà relus par des professionnels. C'est ce qu'a fait Éloïse Steyaert qui, en allant déposer ses manuscrits en main propre, a aussi participé à un atelier d'écriture dans une école réputée, encadrée par des éditeurs et des auteurs connus, avec l'idée de pouvoir, peut-être, être repérée.
Arnaques et vendeurs de rêves
De son côté, pour son premier projet, Brandon avait contacté une maison qui publie à compte d'auteur –c'est-à-dire que c'est l'écrivain qui doit payer pour sortir son livre, donc la correction, la mise en page, l'impression et la diffusion. Cette approche ne l'avait pas spécialement convaincu:
«J'avais contacté plusieurs maisons d'édition, une seule m'avait répondu. Elle me proposait un lancement avec une mise de fonds de 2.000 euros pour être publié, le reste était à leur charge. Mais “le reste”, c'est très flou. Je n'avais aucune idée de si ça concernait la promo, la distribution, le contact… Finalement, je ne l'ai pas fait.»
Quand on l'interroge sur ces stratégies, Caroline explique: «Passer par des agents est une bonne idée, car ils sont très sélectifs sur les projets qu'ils choisissent de porter, et cela permet d'apporter aux éditeurs des manuscrits avec un bon potentiel. Les ateliers d'écriture peuvent être intéressants aussi, au moins pour s'exercer et avoir des premiers retours.»
«Après, pour l'autoédition ou l'édition à compte d'auteur, tout dépend de ce que l'on souhaite. Si on veut juste diffuser son livre auprès de ses proches, alors oui, c'est super, car on obtient un livre papier édité et relié. Si c'est pour se lancer en tant qu'écrivain, aucun auteur n'est repéré de cette manière, ou alors ultra exceptionnellement. C'est un mythe. Il faut aussi faire attention aux arnaques, qui peuvent facturer des services de manière abusive.»
Aux romanciers de choisir la stratégie qui leur semble le mieux correspondre à leurs envies, pour tenter d'aller au bout de leur projet.
*Le prénom a été changé.