Santé

Vacciner les ados contre les HPV permettrait d'éviter de nombreux cancers

Temps de lecture : 6 min

En France, la couverture vaccinale contre les papillomavirus humains est particulièrement faible. Ces virus sont pourtant responsables de nombreux cancers, dont le plus connu, celui du col de l'utérus, tue chaque année 1.000 femmes.

Le vaccin contre le HPV est préconisé pour les filles et les garçons âgés de 11 à 14 ans avec un schéma à deux doses. | CDC via Unsplash
Le vaccin contre le HPV est préconisé pour les filles et les garçons âgés de 11 à 14 ans avec un schéma à deux doses. | CDC via Unsplash

Alors que les regards se tournent vers le développement de vaccins à ARNm thérapeutiques contre le cancer, nous oublions parfois qu'il existe déjà des vaccins qui permettent de prévenir certains cancers. Outre le vaccin contre l'hépatite B qui contribue à éviter des cancers du foie, celui contre les infections à papillomavirus humains (HPV) constitue une arme particulièrement efficace pour éviter les cancers HPV induits, parmi lesquels les cancers du col de l'utérus, du vagin, de la vulve, de la verge, de l'anus, ainsi que des cancers de la sphère oro-pharyngée (larynx, hypopharynx, oropharynx et cavité buccale).

Pourtant, en France, la couverture vaccinale contre les HPV reste faible: seules 46% des jeunes filles (contre plus de 80% en Norvège, en Suède, en Islande, en Angleterre et au Portugal) et 6 à 8% des garçons étaient protégés par un schéma vaccinal complet en 2022.

Pour nous convaincre de l'intérêt à vacciner les adolescents et les adolescentes ainsi que les jeunes adultes contre les HPV, il faut comprendre comment se comportent ces virus et comment ils se transmettent.

Transmission et contamination

La première chose à dire est que les HPV sont extrêmement répandus –huit personnes sur dix y seront confrontées au cours de leur vie– et qu'ils constituent une très grande famille: ils sont plus de 200. Certains ont ce que l'on appelle un «tropisme cutané», c'est-à-dire qu'ils infectent les cellules de la peau et sont notamment responsables d'affections cutanées comme les verrues plantaires ou palmaires. D'autres, et c'est ceux qui nous intéressent particulièrement ici, sont dit à «tropisme muqueux», c'est-à-dire qu'ils infectent les cellules épithéliales des muqueuses génitales et orales.

Ils se transmettent lors des rapports sexuels par contact peau à peau. Cela signifie que la transmission peut se faire même s'il n'y a pas de pénétration vaginale ou anale, lors de caresses, de rapports oro-génitaux (cunnilingus, fellation, anulingus), mais également en cas de partage de sextoys ou de linge. Autant dire que les préservatifs masculin et féminin et la digue dentaire ne suffisent pas à prévenir tous les risques de contamination.

Parmi ces HPV à tropisme muqueux, certains (les HPV 6 et 11) sont dits «à bas risque cancérogène». L'infection par ces virus peut provoquer l'apparition de verrues génitales (les condylomes) qui, même si elles ne sont pas responsables de cancers, peuvent être aussi invalidantes qu'inesthétiques et dont il est souvent difficile de se débarrasser. Et puis, il y a des HPV dits «à haut risque cancérogène» ou «oncogènes» (HPV 16, 18, 31, 33, 45, 52, 58 et en particulier les HPV 16 et 18) qui sont susceptibles de provoquer des cancers.

«Susceptibles» car dans 90% des cas, lorsqu'il y a infection aux HPV, l'organisme parvient à s'en débarrasser. Mais dans les 10% restants, le risque de développer un cancer est bien là. La Dre Hélène Pere, virologue à l'hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP), explique le mécanisme: «Si l'infection devient persistante, le virus peut transformer la cellule qu'il infecte en cellule tumorale. Un des mécanismes de la transformation tumorale est l'intégration du génome viral dans le génome de la cellule qu'il infecte, ce qui aboutit à une sur-expression des oncoprotéines virales E6 et E7 à l'origine de la transformation la cellule normale en cellule cancéreuse.»

Elle ajoute que le processus de la contamination au cancer est long et progressif: «Concernant les cancers du col de l'utérus et du canal anal HPV induits, le processus entre l'infection initiale et le cancer invasif peut durer plus de quinze ans avec différentes étapes. L'infection chronique peut évoluer vers une lésion tumorale de bas grade puis vers une lésion tumorale de haut grade et enfin, vers le cancer invasif.»

Une vaccination très efficace, qui pourrait être élargie

Comme on l'a dit, les préservatifs n'offrent qu'une protection incomplète face aux HPV. C'est la vaccination qui permet une prévention très efficace contre les HPV 6, 11, 16, 18, 31, 33, 45, 52 et 58. La Dre Hélène Péré signale: «C'est un vaccin, prophylactique et altruiste qui prévient l'infection et empêche la transmission. Il faut vacciner les concernés et les vecteurs afin d'éliminer le pathogène. Il est nécessaire d'avoir une vaccination globale non genrée.» Et de préciser: «Il convient de se faire vacciner en amont de l'entrée dans la vie sexuelle afin de développer des anticorps neutralisants qui empêcheront le virus d'infecter les cellules au moment de l'exposition.»

C'est dans ce sens que vont les recommandations en France, où le vaccin contre le HPV est préconisé pour les filles et les garçons âgés de 11 à 14 ans avec un schéma à deux doses. En outre, un rattrapage vaccinal est possible pour les jeunes femmes et les jeunes hommes entre 15 et 19 ans révolus ainsi que pour les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes jusqu'à 26 ans, selon un schéma à trois doses.

Ces recommandations pourraient être élargies dans le futur, comme le signale la Dre Hélène Péré: «La question se pose d'élargir l'âge du rattrapage aux jeunes femmes et aux jeunes hommes hétérosexuels.» En outre, d'autres indications pourraient s'ajouter à l'avenir, note la virologue: «Différents pays recommandent aussi le vaccin anti-HPV en post-thérapeutique après conisation [suppression chirurgicale d'une portion du col de l'utérus, ndlr] des lésions cervicales tumorales de haut grade. Pour que cela soit envisagé en France, des études plus robustes et des cohortes plus importantes sont nécessaires afin de s'assurer que le vaccin réduit bien les risques de récidive après traitement, comme ce qui a été montré dans de premières études réalisées sur un petit nombre de femmes.»

À noter également: une étude est en cours pour évaluer l'efficacité du vaccin Gardasil 9 contre les verrues résistantes aux traitements, alors même qu'elles sont provoquées par des HPV non couverts par le vaccin. «La littérature montre que cela pourrait marcher. Mais pour s'en assurer et parce que l'effet placebo est particulièrement fort pour les verrues palmaires et plantaires, nous avons besoin d'un essai randomisé, comparatif, en double insu, comparant deux groupes parallèles», explique le Dr Johan Chanal, dermatologue à l'hôpital Cochin et investigateur coordonnateur de cet essai. À suivre, donc.

Les freins à se faire vacciner en France

Mais pour l'heure, l'objectif est avant tout d'augmenter la couverture vaccinale chez les jeunes et pour ce faire, il est crucial d'informer les parents mais aussi les adolescents, tout en comprenant ce qui a conduit la France à bouger le vaccin anti-HPV. «Les rumeurs sur les effets indésirables de ce vaccin et le fait qu'il soit associé à la sexualité ont porté préjudice à la vaccination contre le HPV en France», note la Dre Hélène Péré.

En effet, des informations avaient circulé au moment de la mise sur le marché du Gardasil, suggérant une augmentation des cas de maladies auto-immunes chez les jeunes filles vaccinées. «D'après les données de l'OMS et de l'ANSM, ce n'est absolument pas le cas», insiste la virologue. «Il n'y a pas de sur-représentation d'une quelconque maladie là où le vaccin est utilisé de manière systématique», abonde le Dr Johan Chanal, qui postule un jugement erroné dans la mesure où la puberté est une période où sont diagnostiquées nombre de maladies auto-immunes.

La Dre Hélène Péré soulève un autre frein à la vaccination dans notre pays: «La faible culture de la prévention en France a pu jouer également.» Il est parfois difficile pour certains parents de concevoir l'intérêt d'un vaccin lorsque le risque n'est pas actuellement présent.

Afin d'améliorer le taux de vaccination chez les jeunes, la virologue suggère de vacciner à l'école comme cela est fait en Espagne, par exemple: «Vacciner de manière systématique à l'école permettrait d'élargir la vaccination et donc d'augmenter la couverture vaccinale en France. En créant une émulation de groupe, les parents potentiellement inquiets pourraient être rassurés et cela permettrait également de toucher les enfants dont les parents ne sont pas suffisamment informés.»

Pour ce qui est de l'information, il peut être aussi important de toucher les premiers concernés via des campagnes immédiatement destinées aux adolescents, comme l'a récemment fait la Fondation Arc via sa campagne «Le rapport Papilloma».

«Une large vaccination pourrait permettre de se débarrasser des cancers induits par les HPV contre lesquels le vaccin protège», conclut la Dre Hélène Péré. Chaque année en France, près de 3.000 femmes développent un cancer du col de l'utérus et 1.000 en meurent.

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