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En Arabie saoudite, les exécutions par décapitation vont bon train

Temps de lecture : 3 min

Mohammed ben Salmane s'est pourtant engagé plusieurs fois à respecter un moratoire sur les peines de mort et les restreindre aux assassinats. L'appel à manifester devant les ambassades ces 24 et 25 février sera-t-il suivi d'effets?

Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane lors du sommet de la Coopération économique pour l'Asie-Pacifique (APEC) à Bangkok, en Thaïlande, le 18 novembre 2022. | Athit Perawongmetha / POOL / AFP
Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane lors du sommet de la Coopération économique pour l'Asie-Pacifique (APEC) à Bangkok, en Thaïlande, le 18 novembre 2022. | Athit Perawongmetha / POOL / AFP

Fin janvier, la justice saoudienne a requis la peine de mort à l'encontre d'un prédicateur dissident, Awad al-Qarni, en prison depuis septembre 2017, pour «propagation de discours subversifs» sur ses comptes Twitter et Instagram.

L'annonce n'a été faite par aucune source officielle, ni par les médias locaux, mais par un quotidien britannique, The Guardian, qui en a été informé par le fils du prédicateur, exilé à Londres.

C'est dire à quel point les autorités saoudiennes voulaient occulter l'information et éviter ainsi que l'image d'une nouvelle Arabie saoudite, ouverte sur le monde –comme elles la vendent depuis quelque temps– n'en soit ternie.

Le double visage de MBS

Au-delà des chefs d'inculpation retenus contre Awad al-Qarni et deux de ses codétenus, cette annonce vient démentir les nombreuses promesses faites par le prince héritier, Mohammed ben Salmane (MBS), qui a pris les rênes du royaume avant même d'être intronisé roi, de moderniser son pays: plus de liberté pour les femmes (mais pas toutes), suppression de la police des mœurs, épuration (sélective) des hadiths du prophète, autorisation des galas de musique (sous contrôle), etc.

D'ailleurs, MBS poussait tellement loin ses réformes que ses détracteurs –à l'intérieur ou à l'extérieur du pays– parvenaient facilement à distiller à chaque fois sur les réseaux sociaux des rumeurs plus sulfureuses les unes que les autres, comme celle, détonante, de l'ouverture d'un bar à Djeddah ou, mesure plus incroyable encore, l'interdiction du port du voile pour les citoyennes saoudiennes.

À vrai dire, les peines de mort par décapitation (à l'épée, comme c'est la coutume) des opposants dans la monarchie wahhabite n'ont jamais cessé. Elles ont même doublé en un an, si l'on se réfère aux dernières statistiques. En 2022, 138 condamnés ont été exécutés, notamment pour trafic de drogue et terrorisme, contre 69 en 2021 et 37 en 2020. La tendance est donc à la hausse.

Une pratique d'un autre âge

Le régime et MBS lui-même s'étaient plusieurs fois engagés à respecter un moratoire sur les peines de mort et les restreindre aux assassinats, mais n'ont jamais respecté cet engagement, comme le rappellent des associations de défense des droits humains.

En novembre dernier, alors que tous les feux étaient braqués sur le Qatar où se déroulait la Coupe du monde de football, 12 personnes, dont des étrangers, ont été exécutées en Arabie saoudite... sans que cela ne suscite la moindre indignation. Le record a été atteint le 12 mars 2022, avec 81 hommes exécutés, dont 41 appartenaient à la minorité chiite du pays (10% de la population), victime de persécutions systématiques.

Cette pratique cruelle est toujours justifiée par l'application de la charia: ce qui est appelé en langage juridico-théologique «la désobéissance du tuteur» (ici le roi ou ses représentants) est assimilée à un crime de lèse-majesté, puni de la peine de mort.

Entre politique et théologie

Un mufti saoudien autorisé, Salah ben Fouzan, l'explique ainsi: s'opposer aux gouverneurs en islam est un «péché capital» et la peine de mort infligée aux personnes (ainsi qu'à leurs adeptes) accusées de contester publiquement le pouvoir en place sert à enrayer ce qu'il appelle la «fitna» (discorde).

Les partisans de la peine de mort s'arc-boutent essentiellement sur une citation du prophète, dans laquelle celui-ci suggérait aux fidèles de «ne pas contester l'autorité à ceux qui la détiennent sauf à la vue d'une mécréance manifeste dont Allah nous a fourni la preuve».

Les trois principaux accusés sont poursuivis pour «désobéissance du tuteur», mais aussi, c'est dans l'air du temps, apologie de la confrérie des Frères musulmans sur les réseaux sociaux. La confrérie est, depuis 2014, classée en Arabie saoudite (comme en Égypte, aux Émirats arabes unis et au Bahreïn) comme organisation terroriste.

De l'autre côté, les prédicateurs dissidents s'appuient sur le même hadith du prophète, ainsi que sur certaines interprétations d'exégètes, pour justifier le droit des musulmans de se rebiffer «pacifiquement» contre un gouverneur jugé «tyrannique» ou «impie». L'actuel régime à Riyad serait bien, selon eux, dans ce cas de figure.

En fait, le débat autour des définitions de «l'imam injuste» en islam demeure à ce jour sujet à controverse et n'est jamais tranché. D'où ces surenchères entre différents courants qui ont fini par profiter aux plus rigoristes et aux plus fanatiques (Al-Qaida, Daech...).

Appel à manifester devant les ambassades

Que faire pour stopper le massacre? Que peut faire la communauté internationale? Le sentiment le plus partagé dans la population est que le régime des Al Saoud a pu acheter le silence d'une partie des grandes puissances sur la question des droits humains. Des voix s'élèvent épisodiquement pour dénoncer le recours à la peine capitale dans ce pays, mais sans aucun effet contraignant.

Des ONG comme Alkarama, Human Rights Watch, Amnesty International, et des gouvernements comme celui de la France ont condamné l'exécution de dix-sept personnes le 23 novembre dernier, en rappelant le caractère «injuste», «inhumain» et «inefficace» de ce châtiment d'un autre âge, et en appelant l'Arabie saoudite à établir un moratoire en vue de son abolition définitive.

Plus récemment, des associations et des militants ont lancé une campagne inédite, appelant à des protestations les 24 et 25 février devant les ambassades d'Arabie saoudite à travers plusieurs capitales, pour exiger «l'arrêt des exécutions» dans ce pays. L'appel sera-t-il suivi d'effets, ou s'agira-t-il d'un nouveau coup de bâton dans l'eau?

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