En remportant Wimbledon un mois après Roland-Garros, Rafael Nadal concentre désormais tous les pouvoirs entre ses mains. Avec ce huitième titre du Grand Chelem à seulement 24 ans, sa place de n°1 mondial est sécurisée pour de longs mois. Le voilà très loin, en effet, devant Novak Djokovic et Roger Federer qui descend sur la troisième marche du podium pour la première fois depuis 2003.
Cette fois, Federer, battu en quarts de finale par Tomas Berdych et absent de la finale de Wimbledon pour la première fois depuis 2002, a manqué sa sortie. Doublement. Sur le terrain, il a montré ses limites du moment, probablement rattrapé par l'âge -il fêtera ses 29 ans dans un mois. En conférence de presse, il s'est ensuite trouvé des excuses, peut-être pour la première fois de sa carrière, ce que n'a pas manqué de souligner la presse anglaise qui lui est littéralement tombée dessus. «Je ne pouvais pas jouer comme je le voulais, s'est-il plaint. J'ai dû faire avec une douleur au dos et à la cuisse. Ça ne m'a pas permis de jouer comme je l'aurais aimé. C'est frustrant.»
Roger Federer a la conscience du très grand champion qu'il est et il n'aime pas lorsque quiconque s'attaque à son auréole. Avec un tel palmarès, évidemment, le monde est à ses pieds, à l'image de la pourtant très difficile Anna Wintour, la célèbre rédactrice en chef de Vogue, devenue l'une de ses intimes au point de le suivre un peu partout comme une fan énamourée.
Communication
Resté d'une remarquable disponibilité avec la presse, le Suisse n'en défend pas moins ardemment les frontières de son royaume. Personne, dans son entourage pléthorique, n'est autorisé, par exemple, à parler au moindre journaliste, pas même son entraîneur, Séverin Luthi, réduit au silence par son employeur. Ses parents sont mutiques depuis des années.
A côté, le clan de Rafael Nadal détonne. La parole est laissée libre à qui veut s'exprimer au sein de son équipe, à commencer par Toni Nadal, l'oncle-entraîneur avec qui vous aurez toutes les chances de pouvoir refaire le monde si vous le croisez demain quelque part. Là où certains se compliquent la vie en termes de (non) communication ou se la jouent comme des vedettes hollywoodiennes, l'Espagnol a opté pour la simplicité la plus extrême à tous les niveaux.
Objectivement, je préfère Roger Federer en tant que joueur. Trop de talent, trop de facilité alors que Rafael Nadal évolue dans un registre à mes yeux techniquement moins séduisant. Sur le plan journalistique, il «donne» également plus de grain à moudre à cause de son polyglottisme tandis que Nadal, à l'anglais laborieux, surprend très rarement son auditoire. Mais honnêtement, il n'y a pas plus humain que le Majorquin, modèle de champion humble et sobre à une époque où il est tellement facile de perdre le sens des réalités le premier succès venu.
Modestie
Au soir de sa défaite contre Nadal en demi-finales de ce Wimbledon, l'Ecossais Andy Murray a dit combien il admirait son vainqueur du jour. Le Majorquin à qui furent rapportés ces propos s'en est étonné: «Il n'a pas à admirer quoi que ce soit chez moi parce qu'il est trop bon pour avoir à m'admirer.» Et Nadal de se déclarer «désolé» pour l'échec de Murray qui «gagnera bientôt un tournoi du Grand Chelem».
Il ne s'agissait pas de propos convenus. Nadal le pense sincèrement. Il n'y a aucun calcul derrière ces paroles comme lorsqu'il clame que Federer est bien plus fort que lui alors qu'il l'a dominé 14 fois sur 21. Modeste entre les modestes, Nadal, qui dit toujours bonjour à chaque début de conférence de presse et merci à la fin, ne se considère jamais au-dessus d'un autre. Vous ne le verrez jamais, par exemple, refuser un autographe ou rejeter quiconque venant lui demander de faire une photo avec lui. Vous ne l'avez jamais vu non plus jeter sa raquette par terre. Réfléchissez. Non, jamais! Il évite également de se plaindre. L'an dernier, dans le sillage de sa défaite à sensation contre Robin Soderling à Roland-Garros, il a encaissé sans broncher, refusant d'évoquer ses genoux douloureux ou le divorce de ses parents qui occupait alors son esprit.
Voilà quelques semaines, lors du tournoi de Monte-Carlo, l'ancien très bon joueur polonais, Wojtek Fibak, qui le connaît à peine, a eu la surprise de voir Rafael Nadal se diriger vers lui et lui adresser avec émotion ses condoléances alors que le président polonais venait de trouver la mort dans un accident d'avion.
L'oncle Toni
Normalité et discipline. Voilà deux mots qui résument bien l'éducation de Rafael Nadal, issu d'une famille très aisée des Baléares, mais qui n'a jamais perdu le sens commun. «Rafa est obéissant et respectueux, dit Toni Nadal. Moi, au-delà de ma mission de coach, je suis avant tout son oncle et j'ai un devoir d'éducation. Mon objectif est de le rendre responsable, humble et reconnaissant à la vie.»
C'est ce tonton très affable qui, dès l'enfance, lui a notamment interdit de casser tout matériel par respect pour ceux qui n'ont pas les moyens de se l'offrir et le regardent à la télévision. C'est encore lui qui, le lendemain de la première victoire de Rafael à Roland-Garros en 2005, lui a programmé une séance d'entraînement au cas où son neveu aurait décidé de prendre subitement la grosse tête.
Sur le circuit professionnel, Toni est connu pour sa gentillesse, sa simplicité et sa disponibilité. Pourtant harcelé tout au long de l'année, il ne rabrouera jamais un journaliste parce qu'il respecte le travail de celui qui le sollicite. C'est bien souvent en short, une raquette à la main, une casquette sur la tête qu'il déambule dans les coursives des tournois où il prendra toujours le temps de saluer le petit personnel de l'organisation. Lors des matches, il applaudit les beaux points, qu'ils sortent de la raquette de Rafa ou de son adversaire. Jamais il n'élève la voix. Ses gestes sont sobres. Il a toute la confiance de son neveu qui n'imagine pas poursuivre sa carrière sans lui.
Une anecdote, racontée par Toni, éclaire la confiance qui les unit. Alors qu'il n'avait que sept ans, Rafael dut faire face à un adversaire plus âgé d'une douzaine d'années. L'apprenti-champion était tendu. «Pas de soucis, lui glissa son oncle pour le rassurer. Si ça ne se passe pas bien, je provoquerai une averse et ils interrompront la partie.» Mené rapidement 3-0, Nadal marqua les deux jeux suivants lorsque... tombèrent les premières gouttes. Il se rapprocha de Toni et chuchota avec le plus grand sérieux : «Je crois que tu peux arrêter la pluie parce que je pense que je vais le battre...»
A Londres, le binôme a encore parfaitement fonctionné pour remporter ce deuxième Wimbledon deux ans après le premier qui m'avait permis de faire une drôle de découverte quelques mois plus tard. Alors que je travaillais sur un sujet traitant de l'hébergement des joueurs pendant le tournoi (la majorité des joueurs loue des maisons de particuliers au lieu d'être à l'hôtel), j'eus l'occasion de visiter le home sweet home de Nadal lors de cette édition 2008. Et quelle ne fut pas ma surprise d'apprendre de la bouche de la propriétaire que le champion avait dormi dans la plus petite des chambres de l'endroit et qu'il avait laissé les autres, plus spacieuses, à Toni et à deux autres personnes de son équipe. La chambre avait la taille d'un placard.
C'est dans ce cagibi qu'il a peut-être encore passé ses 15 derniers jours en rêvant à cette nouvelle victoire. Demain, Nadal sera de retour dans sa petite ville de Manacor où il retrouvera ses amis d'enfance. Comme d'habitude, il ira à la pêche avec eux en évitant de se prendre pour ce qu'il estime ne pas être: une personne plus importante que les autres...
Yannick Cochennec
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Photo: Rafael Nadal lors de la finale de Wimbledon le 4 juillet 2010, REUTERS/Phil Noble