C'est plus fort que nous mais nous aimons voir «les puissants» trébucher. Il y a dans leur chute quelque chose de vaguement jubilatoire, un sentiment de triomphe comme si enfin ils nous apparaissaient sous leur jour véritable, c'est-à-dire veules, bêtes, violents, simples mortels descendus de leur piédestal. Redevenus humains, nous les haïssons de nous ressembler, eux qui étaient censés ne jamais nous décevoir. De cette ambivalence de sentiments, entre jalousie et admiration, nous demeurons les jouets, tantôt révulsés par leurs agissements, tantôt compatissants de les voir ainsi tombés.
Pierre Palmade n'échappe pas à la règle.
Chacun de nous, à l'annonce du drame et de ses circonstances, n'a pu s'empêcher d'éprouver envers l'humoriste comme un infini sentiment de dégoût et de colère. Colère face à toutes ces vies brisées par une consommation irraisonnée de drogues en tout genre. À cette insupportable légèreté à prendre le volant dans un état incompatible avec la conduite automobile. À cet égoïsme à privilégier son propre plaisir sans penser un seul instant aux conséquences de ses excès, ce véhicule sorti de sa trajectoire pour s'en aller percuter un autre dans un effroyable froissement de tôles.
Un salaud absolu. Voilà ce qu'était Palmade à cet instant. Un pauvre type perdu dans l'irréalité d'une existence dictée par la consommation de cocaïne, sans parler de tout ce commerce des corps qui rajoutait au tragique de la situation quelque chose d'insupportable, d'une contradiction insoutenable entre la débauche de ces ébats sexuels et le martyr vécu par la famille de la voiture percutée.
Cette famille, ce fœtus perdu, cet enfant défiguré, ce père plongé dans le coma, c'était nous, la France anonyme fauchée dans son innocence par un artiste défoncé. Nos vies sont déjà assez fragiles pour ne pas avoir à s'inquiéter de chauffards qui au mépris de toutes règles humaines montent dans leur voiture pour semer la mort et la désolation.
Cette colère, cette indignation, ne partiront pas. Elle sont là enracinées au plus profond de notre cœur. Elle réclament justice et réparation, excuses et mise en retrait.
Cependant, une fois passée l'émotion, et sans chercher à minimiser la portée de ses actes, sans jamais mettre dans la même balance ses états d'âme et ces destins à jamais brisés, combien triste devait être la vie de Pierre Palmade pour en arriver à ce genre d'extrémités. Le recours systématique à la drogue, cette sexualité qui n'en est plus vraiment une mais un marathon poisseux d'étreintes à répétition où le corps n'apparaît plus que comme un messager de la mort, ces fréquentations interlopes dont on soupèse le poids d'infamie sans avoir la force de leur résister, cette vie jetée dans les abîmes de l'addiction où on est prêt à tout pour calmer ce manque qui dicte sa loi, une sorte de damnation éternelle tous les matins recommencée. On en vient même à se demander si à cette heure, Pierre Palmade n'éprouve pas une sorte de soulagement à être ainsi arraché à un mode de vie qui n'était rien d'autre qu'un exercice d'autodestruction, un long et ténébreux suicide confié aux bons soins de la drogue.
Il n'existe pas de drogués heureux. Ceux-là vivent dans un enfer qui se nomme alcool, amphétamine, héroïne, tout un arsenal destiné à tromper cette chose appelée ennui, solitude, souffrance, impossibilité d'accepter la vie telle qu'elle se présente. On s'étourdit d'expédients pour pallier un manque d'amour, un manque d'attention, masquer une blessure, briser le cercle infernal de la monotonie, donner à l'âme de quoi s'exalter. Une fuite hors de soi qui commence par la prise inopinée d'un rail de cocaïne, pour finir dans une orgie de drogues où se dissout la vie ou ce qu'il en reste.
Loin de moi l'idée d'exonérer Pierre Palmade de ses responsabilités. Sa culpabilité est entière et sa condamnation doit l'être tout autant. On ne joue pas à la roulette russe avec la vie des autres. Au mieux, on reste chez soi à se défoncer sans mettre en péril la vie d'autrui. C'est le minimum qu'on puisse attendre d'un toxicomane. De demeurer la seule victime de ces addictions mortifères. Et ce, quelles que puissent être les raisons à la source de sa condition de drogué.
Les autres discours ne sont pas audibles, pas pour l'instant du moins. Quand une mère perd son bébé, lorsqu'un enfant se retrouve défiguré, le tout par la faute d'un alcoolique ou d'un drogué, ces derniers ne peuvent avoir droit au chapitre ou être plaints. Consciemment ou pas, ils ont propagé le chaos, semé la terreur, convoqué la mort au chevet d'innocents. Leur faute est par nature inexcusable.
Aussi réelle soit la misère d'une existence de drogué, elle n'a pas vocation à être partagée avec des personnes de hasard.
C'est pour l'heure la seule et unique leçon à retirer de ce drame abominable.
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