Le 24 février 2022, la Russie envahissait l'Ukraine. Près d'un an plus tard, le bilan est dramatique. Et rien n'indique que le conflit prendra fin de sitôt, les deux parties affichant des exigences qui semblent inconciliables. Tandis que sur le terrain la détermination russe se heurte à une résistance ukrainienne acharnée et soutenue par de nombreux États occidentaux.
Dans ce contexte mortifère, l'Organisation des Nations unies (ONU) peut-elle agir de façon à ramener la paix? Ce qui est sûr, c'est que si elle y a échoué depuis un an, elle ne relâche pas ses efforts pour autant…
La paix, raison d'être de l'ONU
Rappelons que la paix est le but premier de l'ONU, créée en 1945, au lendemain de la guerre la plus sanglante de l'histoire de l'humanité. Sa Charte affirme dès la première phrase de son préambule que le but de l'ONU est de «préserver les générations futures du fléau de la guerre».
L'Assemblée générale de l'ONU, où chacun des États membres (aujourd'hui au nombre de 193) dispose d'une voix, a adopté, au cours de l'année écoulée, plusieurs résolutions visant à stopper la guerre et à condamner la Russie pour son invasion de l'Ukraine. Ces résolutions ne sont pas contraignantes, à l'inverse de celles votées par le Conseil de sécurité. Ces dernières doivent être adoptées par au moins neuf voix, sur les quinze membres (les cinq permanents et dix membres élus par l'Assemblée générale pour un mandat de deux ans selon un principe de rotation).
Or, le Conseil de sécurité est paralysé car la Russie oppose systématiquement son veto à toute résolution du Conseil la condamnant, comme elle l'a fait le 25 février 2022 (sur la résolution visant à «condamner l'agression russe») et le 30 septembre 2022 (sur celle condamnant l'annexion de quatre régions ukrainiennes).
Une multitude d'actions depuis un an
En dépit du blocage du Conseil de sécurité par Moscou, l'Assemblée générale a pu se faire entendre à de nombreuses reprises. Le 2 mars 2022, elle adopte une résolution exigeant le retrait des troupes russes. Le 7 avril, une autre résolution suspend la Russie du Conseil des droits de l'homme –une instance onusienne qui compte quarante-sept États membres répartis par zone géographique, élus à bulletin secret et à la majorité absolue par l'Assemblée générale pour trois ans.
En mai, le Conseil des droits de l'homme vote une résolution demandant l'ouverture d'une enquête sur les atrocités reprochées aux troupes d'occupation russes. En juillet, l'ONU contribue à l'adoption d'un accord pour permettre la reprise des exportations de céréales ukrainiennes. En novembre, l'Assemblée générale adopte une résolution appelant la Russie à verser des réparations de guerre à l'Ukraine. Mais cette résolution est restée lettre morte, la Russie n'y répondant pas.
Ce qui ne veut pas dire que l'ONU ne fait rien de concret pour l'Ukraine. Avec ses programmes et ses agences spécialisées comme l'Unesco, l'Organisation mondiale de la santé (OMS), l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), l'Unicef ou le Programme alimentaire mondiale (PAM), elle a, depuis un an, aidé plus de 14 millions d'Ukrainiens sur le plan humanitaire. Plus de 1.400 membres du personnel de l'ONU sont présents en Ukraine, apportant de la nourriture, des abris, des couvertures, des médicaments et de l'eau aux habitants démunis.
Ukraine: @UNICEF was among the first on the ground once the Kherson region became accessible to humanitarians.
— United Nations (@UN) February 10, 2023
They continue to deliver life-saving supplies to more than 110,000 people and are working to help get critical water supply systems back online. https://t.co/4QB0YtpRcT
La situation humanitaire est en effet très grave: le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) a mesuré que plus de 17 millions de personnes ont fui le pays. Il s'agit du mouvement de population forcé le plus rapide depuis la Seconde Guerre mondiale.
Toujours plus d'outils pour œuvrer en faveur de la paix
L'ONU a de nombreux outils à sa disposition, aussi bien en matière de peacekeeping («maintien de la paix», c'est-à-dire l'interposition des Casques bleus dans des conflits armés) que de peacebuilding («consolidation de la paix» c'est-à-dire des actions post-conflit, par exemple l'organisation d'élections libres). Elle dispose depuis 1948 d'un Département des opérations de maintien de la paix (OMP).
Les responsables de l'ONU ont développé depuis cette date de nombreuses réflexions pour rendre cette action plus efficace. Avec le rapport «Agenda pour la paix» du secrétaire général Boutros Boutros-Ghali en 1992, l'ONU s'est mise en capacité de déployer plus rapidement ses unités de Casques bleus (civils, militaires et policiers travaillant ensemble), de faire de la diplomatie préventive (essayer d'empêcher la violence d'éclore) et du post-conflict peacebuilding (construire une paix durable sur le long terme, en traitant les problèmes économiques, sociaux, culturels et humanitaires).
Avec le «rapport Brahimi» en 2000, a émergé l'idée de pouvoir déployer des Casques bleus encore plus rapidement, en trente jours, et la totalité d'une mission en quatre-vingt-dix jours. Il s'agit aussi de développer une approche multidimensionnelle incluant à la fois le peacekeeping et le peacebuilding, ce qui avait déjà été demandé par le rapport «Agenda pour la paix», mais pas vraiment réalisé en pratique.
En 2008, l'ONU a lancé la «doctrine Capstone», dont il ressort que l'ONU doit se concentrer sur l'avant-conflit (prévention des conflits) et surtout sur l'après-conflit (rétablissement de la paix et de la démocratie).
En 2015, le rapport HIPPO (High-Level Independent Panel on Peace Operations, ou Groupe indépendant de haut niveau chargé d’étudier les opérations de paix) préconise des OMP mieux adaptées aux complexités du terrain et aux besoins des populations. Les OMP contribuent désormais, par exemple, à la réinsertion des anciens combattants et à l'organisation d'élections démocratiques: plus de cent pays ont demandé et obtenu une assistance électorale de la part de l'ONU depuis 1991.
En 2018, enfin, le secrétaire général António Guterres a lancé l'initiative «Action pour le maintien de la paix» (A4P) et sa stratégie de mise en œuvre A4P+ autour de ces grands thèmes clés: la promotion de solutions politiques aux conflits; la protection des civils; la protection des Casques bleus; l'amélioration des performances des opérations de maintien de la paix; la pérennisation de la paix; le renforcement des partenariats régionaux et l'amélioration de la conduite des opérations.
Une intervention des Casques bleus?
Concrètement, en Ukraine, les Casques bleus pourraient-ils faire plier la Russie? Au-delà de la question de la faisabilité politique d'une telle opération, il faudrait pour cela un déploiement colossal d'hommes et de matériels. Est-il seulement envisageable que les Casques bleus –dont les effectifs sont issus de quatre-vingt-dix-sept pays différents, aux premiers rangs desquels le Pakistan, l'Inde, le Ghana, le Bangladesh et l'Éthiopie, ce qui pose un problème de dilution des responsabilités– soient déployés en si grand nombre, avec une telle quantité et qualité d'armements sophistiqués?
Dans l'histoire, seule l'Opération de l'ONU au Congo (ONUC), de 1960 à 1964, a mobilisé un très grand nombre de Casques bleus: à son apogée, l'ONUC comptait 93.000 hommes et officiers, issus de trente-quatre pays. Et malgré cela, cette opération n'a pas été un succès…
Rappelons par ailleurs que, s'ils sont absents en Ukraine, les Casques bleus, dont l'action a été saluée par le prix Nobel de la paix en 1988, agissent sur le terrain un peu partout dans le monde. Ils ont, depuis leur création en 1948, œuvré dans soixante-douze opérations de maintien de la paix dans de nombreux pays. Leur nombre est en augmentation: alors qu'ils étaient 12.000 en 1996, ils sont plus de 75.000 aujourd'hui. Actuellement, ils sont présents dans douze opérations de maintien de la paix, dont six en Afrique et quatre au Moyen-Orient.
Si, aujourd'hui en Ukraine, une force de Casques bleus était envoyée en tant que force d'interposition, sa présence pourrait peut-être contribuer à dissuader la Russie de mener des attaques trop destructrices, mais cela n'est pas certain.
Il n'en reste pas moins qu'une telle présence peut être utile. Mais pour cela, il faudrait que le Conseil de sécurité vote à l'unanimité en faveur d'un tel envoi, ce qui est inenvisageable, la Russie s'y opposant.
Le droit de veto, un blocage permanent?
Pour que l'ONU puisse agir plus efficacement pour promouvoir la paix, il est urgent de suspendre, voire supprimer, le droit de veto qui la paralyse.
Nous l'avons dit: cinq États, considérés comme les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale –France, États-Unis, Russie, Royaume-Uni et Chine– détiennent ce privilège, qui apparaît de plus en plus anachronique et injustifié aujourd'hui. Il ne fait que paralyser l'ONU, et l'a empêchée, par exemple, d'agir concrètement en Syrie depuis 2011.
La France, qui n'a pas utilisé son veto depuis plus de vingt-cinq ans, a proposé, dès 2014, un encadrement, voire une suspension de ce droit, lorsque l'ONU traite de situations où des violences de masse sont en cours. Cette initiative a été soutenue par plus de 106 pays.
Comment supprimer le droit de veto, sachant que la Russie, qui en dispose, peut l'utiliser pour s'opposer à une telle réforme? Un pas en avant a été effectué en avril 2022, lorsque l'Assemblée générale a adopté une résolution demandant aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité de justifier leur recours au veto. Cela permet au moins d'encadrer ce droit, de le rendre plus difficile à exercer.
L'Assemblée générale convoquera désormais une séance dans les dix jours ouvrables suivant l'exercice du droit de veto par un ou plusieurs membres permanents du Conseil de sécurité, afin de tenir un débat sur la situation au sujet de laquelle le veto a été opposé. Tous les membres des Nations unies pourront examiner et commenter le veto.
Aujourd'hui, près d'un an après le début de l'attaque russe en Ukraine, il apparaît clairement que l'ONU a besoin d'être revitalisée, afin de pouvoir jouer son indispensable rôle pacificateur de manière efficace. Ce débat dure depuis longtemps. La tragédie ukrainienne permettra-t-elle de le faire progresser?
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l'article original.