Nous sommes le vendredi 26 février 1993 à New York. Il est midi passé de dix-sept minutes, lorsqu'une importante explosion retentit et vient perturber la pause déjeuner à Financial District, le quartier d'affaires au sud de Manhattan. Personne ne sait vraiment ce qu'il vient de se passer, mais les employés qui grouillent au bas des immeubles et dans les rues sont loin d'imaginer que l'histoire vient de connaître un nouveau tournant.
Le début de la fin d'une certaine forme d'insouciance, les prémices d'une nouvelle ère de souffrance et de méfiance. Moins discutée, moins médiatisée et pourtant fondatrice, la première attaque contre le complexe du World Trade Center est le point de départ de la vague d'attentats djihadistes qui touchera le monde entier au cours des trente années suivantes.
Du jamais-vu à Manhattan
Le bruit assourdissant provient du nord-ouest de la pointe sud du complexe, à proximité du quartier résidentiel de Battery Park City. C'est l'une des tours jumelles, la plus au nord, qui est touchée. La fumée qui s'échappe de sa base ne laisse pas de place au doute, un incident d'ampleur vient de se produire dans les sous-sols de celle-ci. Les visages paniqués des premières personnes qui en sortent le confirment.
Rapidement, forces de l'ordre et pompiers se massent dans les rues pour boucler le périmètre et prendre en charge les victimes. Lorsqu'ils pénètrent à l'intérieur du bâtiment, les secours constatent immédiatement l'étendue des dégâts causés par l'explosion, en tombant nez à nez sur un cratère d'une trentaine de mètres de diamètre et de près de soixante mètres de profondeur.
Les six étages du sous-sol ont été soufflés, tout comme le plafond de la gare située sous la tour qui relie l'île de Manhattan à l'État du New Jersey voisin. À l'intérieur, il n'y a plus d'électricité et la fumée monte peu à peu dans les étages, ce qui complique grandement les opérations. Aucun ascenseur ne fonctionne, laissant ainsi plusieurs personnes coincées et sans nouvelles de l'extérieur.
La tension est palpable. Les dysfonctionnements sont nombreux, les équipes mal préparées et le bâtiment pas adapté pour faire face à ce type de catastrophe. L'évacuation des dizaines de milliers d'employés dure des heures, jusqu'au soir, malgré la présence d'hélicoptères pour permettre une prise en charge sur le toit.
Une attaque à la bombe
Dans les heures qui suivent l'explosion, peu d'informations sont rendues publiques. Les médias évoquent dans un premier temps un probable incident technique, mais les forces de l'ordre présentes sur place s'interrogent rapidement en voyant l'ampleur de la catastrophe. La panique s'empare de la ville quand est ordonnée, quelques heures après, l'évacuation du mythique Empire State Building, situé à moins de 5 kilomètres à pied à la suite d'une fausse alerte à la bombe. Le numéro d'appel d'urgence, le 911, est saturé, tout comme le réseau téléphonique de Financial District.
L'hypothèse d'un attentat à la bombe chemine peu à peu dans l'esprit des policiers sur place et sera confirmée par la suite. En effet, une camionnette jaune, bourrée d'explosifs au nitrate –plus de 600 kilos–, a été stationnée dans l'un des parkings souterrains de la tour nord, quelques minutes avant l'explosion. Les deux occupants du véhicule ont pris la fuite tout de suite après l'avoir déposée sur le lieu de l'attaque.
Personne n'en a encore la certitude mais, pour la première fois, un pays occidental vient d'être la cible, sur son sol, d'un attentat djihadiste orchestré par les membres d'une organisation terroriste islamiste.
Un avant-goût de la terreur
Dans les jours qui suivent, l'enquête avance vite grâce à la découverte et l'identification, dans les décombres des sous-sols de la tour nord, de pièces appartenant à la camionnette piégée. Celle-ci avait été louée quelque temps auparavant dans une agence de location à Jersey City, ville située dans le New Jersey qui fait face à Manhattan, sur l'autre rive du fleuve Hudson.
Après avoir obtenu ces éléments cruciaux, le FBI va découvrir l'existence d'une cellule djihadiste composée de plusieurs personnes de diverses nationalités ayant des liens avec des mouvances islamistes du Moyen-Orient, dont Al-Qaida, organisation encore peu connue du grand public. La plupart seront arrêtés et condamnés dans les mois et les années qui suivent.
Leur plan était simple, mais quelque peu irréaliste: raser le complexe du World Trade Center, l'un des symboles de la puissance américaine, en détruisant les fondations de la tour nord à l'aide d'une voiture piégée pour qu'elle s'écroule ensuite sur la tour sud et que le tout fasse des dizaines de milliers de victimes. Les terroristes souhaitaient ainsi punir les États-Unis pour leur politique étrangère et leur soutien à Israël.
Cependant, l'attaque n'a pas eu la portée escomptée et rien de tout cela n'arriva puisqu'elle ne fit «que» six morts et un millier de blessés. Le soir-même les tours jumelles dominaient toujours New York du haut de leurs plus de 415 mètres. Au pire, pouvait-on dire que l'Amérique venait d'être égratignée.
Mais cet attentat du 26 février 1993 était en fait un avertissement, une répétition générale avant les attaques terroristes du 11 septembre 2001, qui, elles, raseront entièrement le World Trade Center et feront mettre un genou à terre à la première puissance mondiale. Le financier de cette opération low cost à moitié manquée, Khalid Cheikh Mohammed, sera même l'architecte de l'immense cataclysme qui frappera Manhattan au tout début du XXIe siècle.