En France, le 1er février 2023 a marqué un tournant dans la gestion de la crise du Covid-19. En effet, à cette date, différents dispositifs ont été levés: les arrêts maladie dérogatoires pour Covid, l'isolement obligatoire en cas de test positif ainsi que le «contact tracing». Dans son communiqué, le ministère de la Santé explique:
«Ces évolutions interviennent dans un contexte épidémique favorable, marqué par une très faible circulation virale en France métropolitaine et en Outre-mer. Elles s'inscrivent par ailleurs dans la continuité de stratégies similaires constatées dans l'ensemble des pays européens. Ces évolutions visent in fine à mettre en place une stratégie globale de lutte contre les infections respiratoires aiguës de l'hiver (Covid-19, grippe, bronchiolite), qui sera pleinement déployée pour la prochaine saison 2023-2024.»
De fait, en Europe et même dans le monde, la plupart des pays ont désormais mis fin à la majorité des mesures sanitaires contre le Covid-19, qu'il s'agisse du port du masque obligatoire, des tests requis ou encore des limitations de déplacement.
Dans le même temps, et même si les cieux semblent s'éclaircir grâce à la vaccination et à l'immunité acquise par les vagues précédentes, le virus circule toujours à un niveau probablement plus élevé qu'on le rapporte, car largement sous-estimé. Il continue d'affecter la vie des personnes les plus vulnérables et à frapper plus ou moins au hasard des individus chez qui il provoque des Covid longs.
Deux scénarios
Il est impossible de prédire de quelle manière le virus va évoluer. Tout ce que nous pouvons dire est qu'outre un scénario catastrophe caractérisé par l'émergence d'une nouvelle souche très virulente et contagieuse –éventualité à mettre de côté car rien n'indique son imminence–, deux alternatives plus plausibles sont aujourd'hui sur la table.
La première consisterait en une atténuation progressive du taux de reproduction du virus. Cela signifierait donc une baisse de la transmissibilité des nouveaux variants, accompagnée ou non d'une diminution de la virulence de la souche. Ce scénario conduirait à une baisse progressive de l'intensité des épidémies estivales, c'est-à-dire à une forme de «grippisation» du Covid-19.
Peut-on accepter cet état de tension hospitalière quasi continue?
Si c'est une évolution possible de la pandémie, force est de constater que nous n'en sommes pas là: c'est d'ailleurs plutôt le contraire qui se produit, puisque le taux de reproduction effectif a grimpé à chaque nouveau variant puis sous-variant d'Omicron depuis le début de la pandémie.
La seconde alternative verrait persister le rythme actuel de quatre (voire cinq) vagues épidémiques par an, comme en 2022, en raison d'une très forte transmissibilité des souches virales circulantes, associée à des taux de reproduction limitant l'action du frein estival sur la propagation du virus.
Ce second scénario ne serait pas fondamentalement différent de celui de la grippe saisonnière au niveau de la gravité observée par vague, mais un Covid trimestriel représenterait alors un défi pour nos sociétés: peut-on accepter cet état de tension hospitalière quasi continue? Cette mortalité annuelle due au Covid-19 quatre à cinq fois supérieure à celle de la grippe? Cette épidémie silencieuse de Covid longs invalidants?
Reste que, malgré l'incertitude et en dépit de la succession de vagues –qui n'a pas de raison de s'arrêter net en 2023–, nous avons clairement, après trois ans, quitté l'état d'alerte et d'urgence que nous avons connu avant l'obtention d'une immunité large de la population.
Le bout du tunnel
Dans ce contexte, nous devons nous préparer à ce que l'Organisation mondiale de la santé en vienne à déclarer prochainement la fin de la pandémie de Covid-19. Rappelons-nous que Tedros Adhanom Ghebreyesus, le directeur général de l'OMS, avait déclaré l'état de pandémie le 11 mars 2020 par ces mots: «Nous sommes profondément préoccupés à la fois par les niveaux alarmants de propagation et de gravité, et par les niveaux alarmants d'inaction. Nous avons donc estimé que le Covid-19 pouvait être qualifié de pandémie.»
Qu'est-ce que la déclaration par l'OMS de la fin de la pandémie changerait aujourd'hui? Pour le comprendre, il faut se retourner vers un passé récent, celui de la dernière pandémie de grippe, et le discours prononcé par la Dre Margaret Chan, alors directrice générale de l'OMS, le 10 août 2010. Elle avait annoncé la fin de la pandémie de grippe A (H1N1). Voici les premières phrases de son discours:
«Le monde n'est plus en phase 6 d'alerte pandémique grippale. Nous passons maintenant en période post-pandémique. Le nouveau virus H1N1 a largement suivi son cours. [...] Lorsque nous entrons dans la période post-pandémique, cela ne signifie pas que le virus H1N1 a disparu. D'après l'expérience des pandémies passées, nous nous attendons à ce que le virus H1N1 adopte le comportement analogue à celui du virus de la grippe saisonnière et continue de circuler pendant quelques années encore. Dans la période post-pandémique, des épidémies localisées de différentes ampleurs pourront montrer des niveaux significatifs de transmission du H1N1.»
Il sera crucial de poursuivre la surveillance du Covid-19, la vaccination, les traitements ainsi que les recherches à son sujet.
La première remarque à faire ici est la suivante: lorsque l'OMS déclare la fin d'une pandémie virale et l'entrée dans une phase post-pandémique, elle ne prétend pas que le virus a été éradiqué, ni même qu'il est devenu inoffensif. Il ne s'agit pas d'une capitulation.
«Les actions des autorités sanitaires en Nouvelle-Zélande, mais aussi en Inde, en matière de vigilance, de dépistage rapide, de traitement et de vaccination recommandée fournissent un modèle de la manière dont d'autres pays pourraient devoir réagir dans la période post-pandémique immédiate», avait d'ailleurs ajouté Margaret Chan pour expliquer la poursuite des mesures dans les pays qui continuaient à être affectés par des vagues hivernales de H1N1.
Elle ajoutait même: «La vigilance continue est extrêmement importante et l'OMS a publié des conseils sur la surveillance, la vaccination et la prise en charge clinique pendant la période post-pandémique.»
Vigilance maintenue
En 2010, la fin de la pandémie de grippe ouvrait une nouvelle période post-pandémique qui ne devait en aucun cas être une période de déni ou de relâchement total. Appelant haut et fort les gouvernements, malgré la levée de l'alerte, à ne pas dégrader leur veille sanitaire, à ne pas cesser de vacciner les populations fragiles, et à correctement traiter les personnes malades, les mots prononcés par Margaret Chan en 2010 résonnent fort avec ce que nous vivons actuellement avec le Covid-19.
Enfin, la directrice de l'organisation onusienne appelait la communauté scientifique à poursuivre ses efforts de recherche: «Les questions seront nombreuses et nous n'aurons des réponses claires que pour certaines d'entre elles.»
Il sera tout aussi crucial de poursuivre la surveillance du Covid-19, la vaccination, les traitements ainsi que les recherches à son sujet. Nous devons mieux comprendre l'immunité face au SARS-CoV-2; mieux investiguer les conditions d'émergence de nouveaux variants; mais aussi continuer à chercher et évaluer les vaccins et les traitements.
L'annonce de la fin d'une pandémie doit représenter un changement de paradigme.
D'ailleurs, il ne faudra pas cesser de vérifier que l'immunité de la population continue à la protéger. Il sera aussi nécessaire de se donner les moyens de soigner les malades, et notamment de prodiguer des antiviraux et des anticorps monoclonaux efficaces aux plus vulnérables –ce qui signifie de maintenir une accessibilité aux tests diagnostiques.
En outre, il faudra savoir tirer les leçons de trois ans de pandémie, par exemple dans le domaine de la prévention de la transmission des virus respiratoires par voie aérosol, en investissant massivement sur l'amélioration de la qualité de l'air intérieur.
Annoncer que nous entrons dans une période post-pandémique serait certes un immense soulagement pour tous, mais ne devra pas rimer avec l'abandon des personnes vulnérables à elles-mêmes, elles qui redoutent l'arrivée de la grippe chaque hiver et désormais une nouvelle vague de Covid-19 à chaque saison.
Vers une refonte de la veille sanitaire
Cette annonce de l'OMS, qui ne devrait pas tarder beaucoup, devrait être celle d'une exigence de l'engagement des autorités sanitaires à maintenir une veille sanitaire fiable, et à prévenir davantage la circulation et les méfaits de ces virus respiratoires faucheurs, tant dans leur phase aiguë que dans les manifestations post-infectieuses qu'ils génèrent.
L'annonce de la fin d'une pandémie doit représenter un changement de paradigme, celui qui privilégie la prévention sur l'intervention d'urgence, l'anticipation sur la réaction. La période post-pandémique doit aussi signer le relâchement de la pression sur la population, la fin officielle des restrictions de nos libertés individuelles et de nos obligations sanitaires «pour le bien commun».
L'entrée en période post-pandémique nous indique que nous pouvons nous détendre car l'exigence individuelle vis-à-vis du contrôle de la propagation du virus n'est plus d'actualité. Mais elle ne délestera pas les pouvoirs publics de la refonte de la veille sanitaire, ni du maintien des campagnes de rappel vaccinal. Ceux-ci devront également assurer un accès aux traitements pour les plus vulnérables, continuer à soutenir les efforts de recherche, et s'engager dans une politique de prévention de la circulation des virus respiratoires, domaine dans lequel nous n'excellons pas particulièrement.