Société / Culture

Aucune envie de vivre dans un monde dominé par les robots ou l'intelligence artificielle

Temps de lecture : 3 min

[BLOG You Will Never Hate Alone] Qu'est-ce donc qu'un être humain s'il cesse de penser par lui-même, si sa curiosité naturelle se heurte à la froideur d'un monde régi par le déterminisme de la technique?

La technologie a tout recouvert. | Alex Knight via Unsplash
La technologie a tout recouvert. | Alex Knight via Unsplash

Nous n'en sommes qu'au début et pourtant cela sonne déjà la fin. La fin de l'humanité telle qu'on a pu la définir depuis des siècles à travers sa tentative presque désespérée de donner un sens à un monde qui n'en possède aucun. On a essayé les dieux, les arts, voilà venu le temps des robots et de l'intelligence artificielle, l'avènement d'un monde dépourvu de sensibilité et de grâce.

La technique a tout recouvert. Omniprésente, elle nous engloutit sous la force de ses algorithmes, ces nouvelles divinités qui se jouent du destin avec la fiabilité d'un maître-chanteur. Peu à peu mais d'une manière inéluctable, l'humain disparaît de nos vies. D'autres décident à notre place. Des intelligences froides qui dictent la marche du monde. Bientôt nous n'apprendrons plus à lire à nos enfants mais à coder.

D'où cette angoisse qui monte, monte sans que personne ne soit à même de lui résister. L'angoisse de la dépossession. De la dématérialisation. De l'absence de toute chose qui puisse ressembler de près ou de loin à ce que le cœur humain a appris à éprouver depuis toujours: la pitié, la compassion, la résilience, le langage de l'âme, notre pauvre petite âme, prise dans le piège de sa propre et grandiose complexité.

Qu'est-ce donc qu'un être humain s'il cesse de penser par lui-même, si sa curiosité naturelle se heurte à la froideur d'un monde régi par le déterminisme de la technique, si ses grandes interrogations disparaissent au profit de réponses dictées par l'enfer de la machine, du robot, de cette chose sans visage qui ne sachant rien prétend précisément avoir réponse à tout?

Désormais, les sentiments sont affaire de synapses. Le talent aussi. Dans le monde merveilleux de la technique, tout a une explication, une raison d'être. Aujourd'hui, on refuse un but parce qu'une machine a repéré un hors-jeu d'un millimètre. Demain, au jour de sa naissance, selon la cartographie de son cerveau et la mappemonde de ses gènes, on sera à même de déterminer la destinée de chacun –les neurosciences ou la mort programmée de la psychologie.

Les humanités ont vécu. Un docteur de nos jours en sait plus sur la manière d'utiliser le bras d'un robot que sur les peurs tapies au fond de nos consciences. Il guérit mieux mais ne soigne plus. À ses yeux, vous n'êtes plus un patient mais une statistique, un morceau de viande traversé de tuyaux plus ou moins abîmés. Hormis le champ très précis de sa spécialité, il resplendit d'ignorance, d'une absence totale de curiosité comme si plus rien ne l'intéressait hormis la mise à jour de son scalpel automatique. Le corps s'en porte mieux; l'âme, elle, sanglote de solitude.

Mais la technique ne serait rien sans la diversion du divertissement qui lui permet d'opérer en toute tranquillité. À force de rester des heures à visionner des séries plus moins réussies, nous sommes devenus des somnambules de notre propre existence. Nous ne sommes plus vraiment au monde, nous vivons comme des toxicomanes à qui il faut chaque soir leur dose d'évasion sans quoi ils risquent de perdre la raison.

Tout ce qui demande un peu d'effort, un brin de concentration, d'exigence par rapport à soi-même, n'a plus cours. Il faut être satisfait immédiatement, dans la seconde même où naît votre envie, comme si l'ennui, l'attente et la contemplation étaient devenus des notions superflues, néfastes, dont il faudrait à tout prix se débarrasser.

Toute innovation, sans même qu'on puisse prendre le temps de s'interroger sur son originalité ou sa nécessité, conquiert le monde à la vitesse d'un tweet. Du jour au lendemain, comme des perroquets serviles, on se met à «tiktoker», à feindre des engouements qui, aussitôt consommés, laissent la place à d'autres trivialités dont on s'entiche comme de poupées vaudous.

La victoire de la bêtise sera totale.

Déjà, nous vivons dans une ère où les œuvres des philosophes, réduites à une simple citation, servent juste à illustrer ce qu'on croit être une inclinaison de notre pensée, une apologie du vide derrière laquelle on tente de se singulariser –le succès des influenceurs est là pour le prouver. Nous avons rétréci. La métaphysique de nos pères a laissé place à une sorte de cosmologie de l'identité où, las de nous interroger sur les fondements même de l'univers et de ses enjeux, nous préférons nous passionner sur des questions de toilettes supplémentaires dans l'espace public.

Ce que la technique ne comprend pas, c'est qu'elle aura beau multiplier les prouesses, jamais elle ne contentera la part d'infini qui sommeille chez chacun de nous, notre besoin inné de consolation. Face à la mort qui s'avance, la machine n'a rien à proposer si ce n'est le moyen le plus approprié de recycler les cadavres. Pour supplanter Dieu, elle devra d'abord tuer notre âme. La seule question qui se pose est de savoir si nous la laisserons faire, si nous participerons à notre propre génocide.

On aimerait penser que non.

Pour suivre l'actualité de ce site, c'est par ici: Facebook-Un Juif en cavale

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