Le bilan du violent séisme du lundi 6 février ne cesse de s'alourdir, avec plus de 39.106 morts en Turquie et au moins 3.688 en Syrie. Un bilan global qui devrait encore augmenter considérablement, voire «doubler» selon l'Organisation des Nations unies (ONU). La catastrophe a mis en lumière la situation impossible des 2,6 millions de personnes vivant dans la poche d'Idlib, au nord-ouest de la Syrie, et qui sont dépendantes à 90% d'une aide extérieure que Moscou et Damas font tout pour empêcher.
La région a déjà été dévastée par les bombardements réguliers de l'aviation russe et de l'armée syrienne contre les infrastructures civiles. Sur place, les Casques blancs (ou Défense civile syrienne), organisation non-gouvernementale de secours diabolisée et assimilée aux djihadistes par la propagande syrienne et russe depuis des années, sont les seuls en mesure de pouvoir aider directement les populations locales, malgré la faiblesse de leurs ressources humaines et matérielles.
«Depuis le premier jour, l'aide internationale n'est pas à la hauteur. Durant les trois premiers jours, les secouristes, faute de moyens lourds de relevage et d'étayage, se sont retrouvés à devoir déblayer à mains nues», dénoncent les médecins Ziad Alissa et Raphaël Pitti, respectivement président et responsable formation de l'organisation humanitaire française Mehad (ex-UOSSM France), dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron relayée par Libération.
«Jusqu'à présent, nous avons fait défaut aux gens du nord-ouest de la Syrie», a reconnu Martin Griffiths, secrétaire général adjoint de l'ONU aux affaires humanitaires, le dimanche 12 février. «Ils se sentent à juste titre abandonnés», a-t-il ajouté, avant de promettre de «corriger cet échec au plus vite».
At the #Türkiye-#Syria border today.
— Martin Griffiths (@UNReliefChief) February 12, 2023
We have so far failed the people in north-west Syria.
They rightly feel abandoned. Looking for international help that hasn’t arrived.
My duty and our obligation is to correct this failure as fast as we can.
That’s my focus now.
Mais pour le régime de Damas, ce sont «les sanctions américaines et européennes [qui] entravent la réponse humanitaire». Des sanctions qui lui ont été imposées en réponse aux nombreux crimes qu'il a commis contre le peuple syrien depuis le soulèvement populaire de 2011, et dont il réclame la levée depuis des années déjà. Quatre jours après le séisme, il s'est rendu à Alep, ville touchée par la catastrophe mais aussi détruite en bonne partie par les bombardements indiscriminés de sa propre armée et de son allié russe jusqu'à 2016. Devant les caméras, il a accusé encore les Occidentaux de «faire passer la politique avant la situation humanitaire».
Les VRP français d'Assad
Une petite musique qui a ses interprètes en France, en particulier dans les cercles d'extrême droite. Après le séisme, c'est l'ONG SOS Chrétiens d'Orient qui a été la plus bruyante. Dirigée par des proches du Rassemblement national, l'association est, depuis début 2022, l'objet d'une enquête préliminaire du Parquet national antiterroriste pour complicité de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre, en raison de ses liens avec des milices chrétiennes pro-Assad. Dès le vendredi 10 février, elle a lancé une pétition, déjà signée par plus de 3.500 personnes pour «lever les sanctions contre la Syrie», accusant l'Union européenne de compliquer l'acheminement de l'aide humanitaire.
SOS Chrétiens d'Orient, qui a financé plusieurs programmes dirigés par des organisations liées au régime syrien, en a aussi profité pour diffuser les images de l'opération de communication de Bachar el-Assad à Alep, ainsi que pour appeler aux dons. Un appel relayé par l'hebdo d'extrême droite Valeurs Actuelles, qui compte parmi ses chroniqueuses Charlotte d'Ornellas, elle-même membre du conseil d'administration de l'association.
Omerta, nouveau média pro-Kremlin fondé par Régis Le Sommier, ancien employé de RT France, a également relayé l'appel aux dons avec une interview de Benjamin Blanchard, directeur général de l'association et ancien assistant parlementaire de plusieurs élus du Front national. L'ONG a aussi été invitée à faire sa promotion sur la chaîne très ancrée à droite CNews, le dimanche 12 février.
Sur CNews, interviewé par @ThierryCabannes, SOS Chrétiens d'Orient, association pro-Assad dirigée par des proches du RN et qui fait l'objet d'une enquête préliminaire du PNAT pour complicité de crimes de guerre. pic.twitter.com/n6AtVlU0pZ
— Marc Gral (@MarcGral) February 12, 2023
Deux jours plus tôt, le maire Rassemblement national de Perpignan, Louis Alliot a quant à lui proposé un don de 15.000 euros, dont 5.000 euros à SOS Chrétiens d'Orient. Une aide votée à l'unanimité par le conseil municipal. Contactée, la cheffe de l'opposition à Perpignan, Chantal Bruzi, explique qu'elle ignorait la réputation de l'association et qu'elle souhaitait simplement venir en aide aux victimes du tremblement de terre.
«Il est absolument injuste d'être accusé de ne pas fournir d'aide, alors que c'est ce que nous faisons depuis plus d'une décennie et que nous en faisons bien plus encore en réponse au séisme.»
C'est en fait toute la fachosphère qui s'est mise en marche pour voler au secours de Bachar el-Assad. Le mardi 14 février, Adnan Azzam, organisateur de voyages de propagande en Syrie ainsi que d'une conférence pro-Russie à Paris en juin dernier en présence du complotiste Thierry Meyssan, est venu sur le plateau de la web-télé identitaire TV Libertés pour appeler, lui aussi, à «lever les sanctions contre la Syrie». Tout en dénonçant une «agression anglo-saxonne» contre le pays et la diabolisation de Bachar el-Assad par les médias. «Je vous remercie du fond du cœur de me donner cette occasion de m'exprimer», a-t-il dit au directeur de la rédaction Martial Bild, ancien cadre du Front national.
Chantage
Il aura fallu attendre une semaine pour que le président syrien Bachar el-Assad déclare accepter d'ouvrir temporairement deux nouveaux points de passage transfrontaliers entre la Turquie et le nord-ouest de la Syrie, afin de permettre à l'aide humanitaire d'y arriver enfin. Saluée par l'ONU, l'annonce doit encore être suivie des faits. Elle reste liée au bon vouloir du régime syrien, qui a bombardé la ville de Marea, au nord d'Alep, moins de deux heures après la catastrophe. Enfin, elle intervient alors que les chances de retrouver des survivants sous les décombres relèvent désormais du miracle.
«Si le régime syrien ne respecte pas son engagement de rouvrir deux points de passage, le Conseil de sécurité des Nations unies devra prendre ses responsabilités et adopter une résolution», a souligné Nicolas de Rivière, ambassadeur et représentant permanent de la France aux Nations unies. Ce à quoi Dmitry Polyanskiy, son homologue ambassadeur russe, a répondu qu'il ne pouvait s'agir que d'une «décision souveraine» du régime de Damas, son allié, dont l'intégrité territoriale est déjà transgressée selon lui par le maintien du mécanisme transfrontalier de l'ONU au poste frontière de Bab al-Hawa.
Jusqu'à l'annonce de Bachar el-Assad lundi 13 février, Bab al-Hawa était le seul point de passage pour l'aide humanitaire encore ouvert entre la Turquie et le nord-ouest de la Syrie, contrôlé par les forces d'opposition au régime. La Russie, qui exige depuis des années que cette aide ne transite que par les territoires contrôlés par Damas, n'a de cesse d'essayer de le faire fermer via le Conseil de sécurité des Nations unies. Après de longues tractations, la Russie avait accepté en juillet dernier d'autoriser encore son fonctionnement, mais pour seulement six mois. Une «prise d'otage», dénonçait alors la diplomatie américaine.
Le chargé d'affaires de l'Union européenne en Syrie, Dan Stoenescu, a vivement démenti les allégations de Damas, le dimanche 12 février, affirmant que les sanctions européennes «n'entravent pas l'acheminement de l'aide humanitaire». «Il est absolument injuste d'être accusé de ne pas fournir d'aide, alors que c'est ce que nous faisons depuis plus d'une décennie et que nous en faisons bien plus encore en réponse au séisme», a-t-il ajouté, en rappelant que le régime syrien était connu pour son détournement systématique de l'aide internationale.
En 2019, l'organisation de défense des droits humains Human Rights Watch avait publié un rapport démontrant comment Damas se servait allègrement sur l'aide des Nations unies, ces dernières risquant de se rendre ainsi «complices des violations des droits humains» commises par Bachar el-Assad. Des détails que l'extrême droite française se garde bien de prendre en compte.