La petite ville de Kiruna, dans le nord de la Suède, n'a pas fini de voir défiler les journalistes. C'est sur ce site minier que le gouvernement suédois lançait en janvier sa présidence du Conseil de l'Union européenne, devant un parterre de journalistes auxquels l'entreprise d'État LKAB avait réservé la primeur d'une incroyable découverte: un gisement d'au moins un million de tonnes d'oxydes de terres rares, nichées sous leurs pieds, dans les sous-sols de Laponie.
L'annonce de cette manne a réjoui les Européens, eux qui dépendent très largement de la Chine pour l'importation de cette famille de minerais utilisés pour tout un tas de technologies, dont les éoliennes, essentielles à la transition énergétique. Les terres rares figurent aujourd'hui sur la liste des trente matériaux que la Commission européenne qualifie de «critiques» car indispensables à son industrie –du renouvelable au numérique, en passant par la défense– et risquant des ruptures d'approvisionnement en raison de leur rareté et du contexte géopolitique incertain issu de la crise du Covid-19 et de la guerre en Ukraine.
Figurent également sur cette liste le lithium, nouvel «or blanc» de l'industrie automobile nécessaire aux batteries électriques, le cobalt ou encore le tungstène, le titane, le gallium… Autant de minerais pour lesquels la Commission veut assurer l'indépendance stratégique des Européens.
L'exécutif bruxellois proposera donc en mars prochain une législation devant permettre à l'Union de créer des réserves de ces précieux matériaux au sein de son marché intérieur. Car du sud-ouest de la péninsule ibérique à la Botnie finlandaise, en passant par les massifs granitiques du Massif central français jusqu'aux carpates roumaines, les ressources ne manquent pas sur le Vieux Continent. Cela marquera le retour à la mine des Européens qui jusque-là sous-traitaient volontiers hors de l'Union leur extraction polluante.
L'industrie minière se frotte les mains. Elle espère que l'UE facilitera les procédures d'octroi de permis, qui peuvent prendre des années –de l'attribution de licences d'exploration des sols à l'obtention de permis d'exploitation.
Inquiétudes écologiques
De leur côté, les ONG plaident pour que cette course aux minerais ne se fasse pas au détriment des normes existantes pour la protection de l'environnement. Le marché du recyclage restant embryonnaire, les écologistes acceptent bon gré mal gré d'aller creuser les sous-sols. Au Parlement européen, les Verts prônent toutefois une liste réduite de matières «critiques» et réclament de protéger les zones Natura 2000.
Face aux inquiétudes des écologistes, Rolf Kuby n'a que des mots rassurants. Lorsque nous l'interrogeons, le directeur général du lobby minier Euromines, à Bruxelles, s'installe devant le poster d'une éolienne plantée au beau milieu d'une forêt verte et drue, sur un ancien site minier en Suède: la restauration pratiquée aujourd'hui par son industrie, explique-t-il, permet de rétablir les cours d'eau, la faune et la flore, après le passage des pelleteuses. «Une mine doit être “responsable”. Cette philosophie doit irriguer tout le projet minier, du dirigeant de l'entreprise aux installations du site et à ce que l'on en fait après.»
Le concept de mine «responsable» revient en boucle chez ceux qui prônent le renouveau minier, à Paris comme dans la capitale européenne. Telle sera la mine de l'opérateur Imerys, dans le Massif central, en France: souterraine et «responsable». Le gisement estimé à 34.000 tonnes d'hydroxyde de lithium par an, sur au moins vingt-cinq ans, est une aubaine pour les Français qui pourront équiper en batteries électriques jusqu'à 700.000 véhicules par an. Mais Imerys apporte peu de réponses sur sa future gestion de la ressource en eau –les mines en sont gourmandes– et des déchets issus des procédés chimiques d'extraction.
Balafre dans le paysage ou boyaux trouant les sous-sols, la député européenne conservatrice Hildegard Bentele, autrice d'un rapport sur les matières «critiques», en convient: «Une mine n'est jamais neutre pour l'environnement.» Et elle ne le sera pas de sitôt, bien au contraire, prédit l'ingénieure française de négaWatt Judith Pigneur: «Sur presque toutes les filières, les gisements sont de moins en moins bons, les teneurs diminuent. Il faut donc sortir plus de roche pour moins de métal. Les impacts environnementaux ne vont qu'augmenter.»
Des risques de séisme
En mars, la Commission tentera de définir le concept de mine «responsable», dont personne ne sait bien ce qu'il recouvre, sinon l'autorisation de creuser. Cela permettrait aussi de faire entrer les investissements miniers dans la taxonomie, le label européen attribué aux investissements durables. Certains écologistes ne s'y opposent pas forcément, concédant qu'il existe des techniques d'extraction moins polluantes que les mines à ciel ouvert.
Dans le bassin rhénan, des entreprises parient ainsi sur l'extraction du lithium par la géothermie. La technique consiste à extraire le métal des saumures géothermales, une opération neutre en carbone. Les industriels sondent les sous-sols et, en Alsace, un futur projet d'extraction est annoncé. Mais la population est réservée: entre 2019 et 2020, un opérateur de géothermie trop pressé a causé des mini-séismes allant jusqu'à 3,6 de magnitude.
Le procédé qui plonge parfois jusqu'à 6 kilomètres sous terre n'est pas sans risque. À l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), Hafid Baroudi décrit une technique jeune et complexe: «Malgré toutes les connaissances en surface, nous avons une connaissance incomplète du sous-sol.» Mais pour l'extraction du lithium, assure-t-il, les retours d'expérience sont prometteurs avec une meilleure maîtrise des risques.
Résistances locales
Les États sont à l'affût du moindre filon, mais les populations ne partagent pas toujours leur engouement. En Bretagne, la mobilisation ne s'est pas faite attendre lorsqu'un gisement de lithium a été annoncé sous une zone Natura 2000. À Kiruna, en Suède, le pactole de terres rares menace un sentier de transhumance des éleveurs de rennes samis. Dans l'Estrémadure espagnole, la société australienne Inifinity Lithium affronte la résistance locale en portant son projet devant les tribunaux. Dans la Serbie voisine de l'UE, la population s'oppose également aux visées minières de Rio Tinto. Très politisé, le projet serait à l'arrêt. «Faux», répondent les écologistes qui dénoncent le lobbying du groupe anglo-australien. L'Allemagne lorgnait déjà ce gisement.
Quelles positions défendront les Vingt-Sept sur la future proposition de la Commission? Les stratégies de certains ne font pas de doute: ainsi de la Suède, de tradition minière, ou de la France, positionnée ces dernières années en faveur de la relance de ses mines. Quel sort réserveront les plus avides en minerais aux pays disposant de ressources mais manquant d'investissements? «On reste vigilant sur la Roumanie et la Bulgarie», prévient Diego Marin, du Bureau européen de l'environnement.
L'Espagne, dont le code minier date de l'époque franquiste, promet de son côté une relance assurant la gestion «durable» des minéraux. Les demandes de permis y ont explosé ces dernières années. Les spéculateurs malheureux de la crise immobilière de 2008 se sont rabattus sur le marché des terrains miniers. Sur la péninsule, les opérateurs ne sont toutefois pas qu'espagnols. À l'instar du reste de l'Union, on y trouve des Australiens, des Canadiens ou des Américains.
Sur le nouveau marché intérieur des ressources minières, les Européens devront se faire une place. Mais rien ne dit que les populations les y aideront.