Politique

Le RN, vainqueur silencieux de la bataille sur les retraites

Temps de lecture : 4 min

Volontairement discret, le parti de Marine Le Pen regarde avec gourmandise les macronistes et la gauche s'écharper.

Marine Le Pen, députée du Pas-de-Calais et présidente du groupe Rassemblement national (RN), au côté de Sébastien Chenu (à gauche), député du Nord et vice-président de l'Assemblée nationale, lors d'une niche parlementaire du RN, le jeudi 12 janvier 2023.
Marine Le Pen, députée du Pas-de-Calais et présidente du groupe Rassemblement national (RN), au côté de Sébastien Chenu (à gauche), député du Nord et vice-président de l'Assemblée nationale, lors d'une niche parlementaire du RN, le jeudi 12 janvier 2023.
Quel tumulte! L'Assemblée nationale a repris, ce lundi 13 février, l'examen du texte de la réforme des retraites, après deux jours de pause qui n'auront pas suffi à dissiper l'ambiance délétère de la semaine passée.

Hurlements, psychodrames et injures, l'hémicycle a ressemblé tour à tour à une cour de récréation, un ring de boxe et une émission de télé-réalité. La chambre basse fut celle des bassesses.

Ainsi, Thomas Portes, député La France insoumise (LFI), a été exclu pour quinze jours, après avoir refusé de s'excuser pour une photo postée sur les réseaux sociaux. On l'y voit, ceint de son écharpe tricolore, mettre le pied sur un ballon à l'effigie du ministre du Travail, Olivier Dussopt. «Un appel au meurtre», a dénoncé Éric Woerth (Renaissance), sans craindre l'exagération, au milieu des huées et des applaudissements.

Autre instant de poésie: «Ferme ta gueule», a lâché Louis Boyard (LFI) à son homologue Erwan Balanant (Modem). Celui-ci s'indignait de la diffusion d'une liste de députés ayant refusé d'étendre à tous les étudiants les repas à 1 euro, jusque-là réservés aux boursiers. Un «appel au cyberharcèlement», selon les macronistes, qui ont relayé les messages de menaces reçus. Un procédé digne de la collaboration, a même osé un député Renaissance, avant de retirer son tweet.

En séance, nouvelles tensions quand Sandrine Rousseau (EELV) accuse Olivier Dussopt de «sexisme». Le ministre du Travail venait de demander à la députée de Paris de lui «parler calmement», plutôt que de le «haranguer».

Avant cela, les débats ont dû être suspendus, après que le député Sébastien Delogu (LFI) a lancé «vous allez tous y passer (à faire des rappels au règlement)», en direction des parlementaires de la majorité; ces derniers s'estimant «menacés». Atmosphère étouffante. Ambiance de vendetta, encouragée par la recherche du buzz et par la course à la radicalité.

Le tout exacerbé par le rythme imposé par l'exécutif grâce à l'usage de l'article 47.1 de la Constitution, qui permet d'accélérer la procédure d'examen du texte (vingt jours de débats à l'Assemblée nationale, puis quinze au Sénat). En somme, la majorité verrouille, LFI dérouille.

Aux retraites, le RN préfère le retrait

Pendant ce temps, le Rassemblement national (RN) jubile. Quel plaisir de voir ainsi les deux camps adverses, mélenchonistes et macronistes, s'agonir de coups et d'injures –et, ce faisant, s'affaiblir l'un l'autre! Marine Le Pen, présentée par ses adversaires comme la «candidate du chaos», se régale du spectacle: le chaos n'a pas besoin d'elle.

Encravatés et costumés, les parlementaires RN surjouent la sobriété. Par leur modération calculée, ils étalent leur loyalisme envers les institutions. Ils délaissent volontairement l'attaque ad hominem (qui était pourtant une spécialité de la maison depuis quatre décennies), pour se concentrer sur les procédures et les règlements. Trop heureux de faire oublier la sortie de leur collègue Grégoire de Fournas («qu'il(s) retourne(nt) en Afrique»), seul accroc à la stratégie de lissage depuis le début de cette législature.

Sur le dossier des retraites, le RN n'a d'ailleurs guère intérêt à monter au front. Tiraillé entre son aile ouvrière et son aile libérale, le parti ne sait plus où il habite. Le Front national défendait, jusqu'en 2007, le report de l'âge légal à 65 ans. Puis Marine Le Pen a promis le départ à 60 ans pour tous. Avant de limiter cette promesse aux travailleurs qui ont commencé avant 20 ans. Ce n'est pas la girouette qui tourne, c'est le vent… D'où cette discrétion du RN dans ce débat. Aux retraites, il préfère le retrait.

Plus Renaissance et LFI en viennent aux mains, plus le Rassemblement national se frotte les siennes. Le RN, pour reprendre une formule de l'écrivain Emmanuel Bove, a ce «regard où brille la joie d'assister à un drame sans en être l'un des acteurs».

«Halte au feu!»

Existe-t-il un risque de faire monter le RN, en le normalisant, par contraste? Un sondage Ipsos et Sopra Steria pour Le Monde, la Fondation Jean-Jaurès et le Cevipof révèle que 53% des personnes interrogées jugent «trop radicale» la méthode d'opposition choisie par La France insoumise. Ce chiffre tombe à 34% pour le parti de Marine Le Pen.

Après les scènes de tension, ces derniers jours, plusieurs dirigeants politiques et syndicaux mettent en garde LFI. «Stop à toute violence, même symbolique», avertit le député Guillaume Garrot (PS). Fabien Roussel (PCF), lui, «condamne» la photo du ballon de football piétinée par Thomas Portes.

Au moment d'ouvrir une nouvelle séance de débats, le vendredi 10 février, la vice-présidente socialiste de l'Assemblée nationale, Valérie Rabault, a appelé au calme en citant Pierre Mendès France: «La démocratie, c'est un type de mœurs, de vertus, de scrupules, de sens civique, de respect de l'adversaire. C'est un code moral.»

Même Laurent Berger, le chef de file de la CFDT, est sorti de sa réserve habituelle. Le débat à l'Assemblée? «Lamentable», «médiocre», «c'était le plateau de Cyril Hanouna», regrette-t-il sur RTL, Le Figaro et LCI. Pour le dirigeant du premier syndicat français: «Ce spectacle [...] n'a rien à voir avec la dignité du mouvement de la rue.»

En effet, quel paradoxe! Quel contraste entre l'atmosphère lugubre, pesante et saturée de haine à l'Assemblée, et les manifestations joyeuses, déterminées et pacifiques dans les rues de France ce samedi 11 février.

Pourtant, le parlement est souvent vu comme une catharsis. Un organe qui absorbe la violence de la société pour la transformer en débat politique. Ces jours-ci, il semble que ce soit l'inverse. L'antagonisme civilisé est dans la rue, la violence est dans l'hémicycle. Qui l'eût cru?

Au sein de La France insoumise, la stratégie de conflictualité à outrance suscite d'ailleurs des doutes. Et perd des adeptes. François Ruffin, notamment. Le député de la Somme a troqué le clash sonore contre le réquisitoire à froid. En octobre, au micro de France Inter, il expliquait ainsi sa mue récente: «Je n'ai plus envie de hurler sur les bancs de l'Assemblée nationale. Je l'ai dit au groupe [LFI]: ça ne sert à rien. Ça renforce le RN.»

En 2017, François Ruffin fut le rebelle bruyant d'une Assemblée trop compassée. En 2023, sera-t-il le rebelle sérieux d'un hémicycle trop chaotique?

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