«Impossible n'est pas français.» Impossible, surtout, de s'assurer avec certitude que la citation prêtée à Napoléon Ier a vraiment été prononcée par l'empereur. Toujours est-il qu'Éric Zemmour l'a choisie comme slogan de campagne de l'élection présidentielle l'an dernier. Une façon de rappeler son penchant pour l'histoire de France et de se mettre dans la lignée d'un des personnages les plus célèbres de son passé. Mais aussi une référence politique. «Je suis gaullo-bonapartiste», répète, à l'envi, le président de Reconquête.
Éric Zemmour, bonapartiste? Rien n'est moins sûr pour ceux qui s'en revendiquent. «Le bonapartisme, lui, n'est pas ethnocentré, tacle David Saforcada, président de L'Appel au peuple, unique parti bonapartiste de France. D'une part, l'image de Napoléon n'appartient à personne, contrairement à ce que pensent certains politiciens qui se l'approprient. Et sur le côté politique, nous n'oublions pas que le prince Louis Napoléon [l'arrière petit-fils de Jérôme Bonaparte, frère cadet de Napoléon Ier, ndlr] était dans la Résistance. Nous n'avons aucune accointance avec l'extrême droite identitaire ou antisémite. Dans son histoire, le bonapartisme a toujours fait attention à ce piège.»
Dans un communiqué publié en mars 2022, L'Appel au peuple avait même indiqué ne se reconnaître «dans aucun des candidats présents» de la dernière présidentielle et n'appelait «à voter pour aucun d'entre eux». Le polémiste a beau convoquer la figure de l'empereur, il est encore loin d'obtenir le soutien de ses fidèles.
Le gaullisme est-il un bonapartisme?
À défaut de soutenir Éric Zemmour, les bonapartistes se sont retrouvés par le passé dans des figures souverainistes, comme Nicolas Dupont-Aignan, Philippe Séguin et Jean-Pierre Chevènement. Mais le bonapartisme pourrait n'être jamais mort. C'est, en tout cas ce qu'affirmait René Rémond, l'auteur de l'une des théories les plus célèbres de la science politique française, dès 1954 dans son ouvrage Les Droites en France. Pour le vénérable politologue, la droite n'est pas un courant unitaire. Ce camp serait divisé entre droite légitimiste, orléaniste et bonapartiste; cette dernière reposant sur un exercice autoritaire du pouvoir et sur une recherche du soutien du peuple par plébiscite.
La théorie est critiquée, notamment pour la filiation qu'elle permet d'établir entre bonapartisme et gaullisme. «Sous De Gaulle, il y avait des élections libres et régulières, insiste Arthur Chevallier, auteur d'ouvrages sur Napoléon et l 'un des commissaires de l'exposition sur Napoléon visible en 2021 à la Villette. Des plébiscites sous le Second Empire [1852-1870], il y en a eu très peu en vingt ans. La théorie de René Rémond est intéressante, mais elle n'est pas valide dans les faits.» Pour cet éditeur, le troisième courant des droites n'aurait même jamais existé, ne survivant pas à l'absence d'un héritier, à la suite de la mort du prince impérial en 1879.
Il n'empêche, des nostalgiques s'en revendiquent toujours au XXIe siècle et s'estiment ni de droite ni de gauche. «Nous ne sommes ni ethnocentrés, ni woke, ni en faveur de la lutte des classes, avance David Saforcada. Ce que nous défendons, c'est la participation des salariés dans le capital de leur entreprise, l'exception culturelle, la souveraineté et le développement de l'Outre-mer.» Pour promouvoir ces idées, le militant et les siens se sont retrouvés dans L'Appel au peuple, fondé en 2021. Près de deux ans plus tard, ils revendiquent plus d'un millier de membres.
Un parti se réclamant républicain
L'engagement politique du président de L'Appel au peuple et de ses soutiens vient de loin. Durant la IIIe République, les bonapartistes se retrouvent déjà dans un groupe parlementaire éponyme. Ils font élire des centaines de députés, avant de péniblement décliner, pas aidés par le décès du fils unique de Napoléon III, tué par des Zoulous le 1er juin 1879. «Cela vient doucher leur vision dynastique, raconte David Saforcada. Avec le temps, le peuple français se met à accepter cette nouvelle république. Le mouvement prend alors un virage républicain.» Le mouvement ne séduit pas pour autant les électeurs et finit par disparaître, avant d'être donc relancé il y a peu.
Républicains, les bonapartistes? La chose n'est pas incompatible admet Arthur Chevallier. «Beaucoup de personnalités politiques revendiquent un amour pour Napoléon, qui a participé à la création d'un État de droit et de la machine administrative. Même s'il n'était pas un grand démocrate, il y a une grande part républicaine dans l'aventure napoléonienne.» Souvent confondues, démocratie et république ne vont pas toujours de pair. La nuance a son importance, puisque l'exercice d'un pouvoir autoritaire peut très bien se coupler avec une république, moins avec une démocratie.
Un héritier comme figure de proue?
L'Appel au peuple assure accepter le jeu de la démocratie représentative d'autant mieux que le parti politique estime que la Ve République résulte d'une vision bonapartiste du pouvoir. Quid de la descendance de l'empereur? Après la mort du prince impérial en 1879, la famille du dernier frère de Napoléon Ier a pris la relève. Et son descendant, Jean-Christophe Napoléon Bonaparte, n'est pas général, mais managing partner pour une société de capital-investissement. S'il se rend volontiers aux cérémonies et protocoles, il ne revendique pas le trône.
Le parti bonapartiste français peut néanmoins compter sur le soutien d'un autre descendant de la famille Bonaparte, en la personne de Joachim Murat, homonyme du beau-frère de Napoléon Ier. «Joachim Murat n'a aucune prétention sur le trône de France ou de Naples dont il est l'héritier, lance David Saforcada. Il s'implique à nos côtés, sans pour autant avoir une fonction officielle. Mais il soutient notre combat bonapartiste.»
De là à se présenter un jour à une élection? «On ne va pas insulter l'avenir, je ne peux pas dire qu'il le sera un jour… ni affirmer l'inverse», répond, tout en pirouette, le président du parti bonapartiste. En attendant, Joachim Murat profite de la visibilité qui lui est offerte par certains médias, comme Libération ou le très droitier Livre Noir, à qui il a accordé un entretien en mai 2021.
Les militants de L'Appel au peuple espèrent que le jeu démocratique leur permettra d'obtenir un peu plus de visibilité. L'information n'a pas fait grand bruit sur le plan national, mais le parti a tout de même présenté des candidats aux dernières législatives. Les bonapartistes se sont retrouvés au sein d'une coalition de partis souverainistes, avec pour tête de gondole République souveraine de Georges Kuzmanovic, ancien conseiller de Jean-Luc Mélenchon. Ces investitures n'ont pas porté leur fruit, mais cela n'empêche pas le parti d'être mobilisé et de repartir à la charge. Le dernier combat des bonapartistes est déjà tout trouvé: s'opposer à la réforme des retraites.