Impossible de raconter l'histoire de Titanic sans arriver à court de superlatifs. Numéro 1 du box-office pendant quinze semaines consécutives, premier film à atteindre plus d'un milliard de dollars de recettes, il a été pendant douze ans le plus grand succès de l'histoire du cinéma, avant d'être détrôné par une autre œuvre de James Cameron –Avatar.
En France, aucun long-métrage n'a encore réussi à surpasser son succès. Tout a déjà été dit sur sa bande-son culte, son tournage pharaonique, sa réputation comme l'un des films les plus chers de l'histoire du cinéma, son immense paquebot reconstitué à échelle réelle, son dépassement de budget de 45%, son bassin de 65 millions de litres d'eau…
Il y a vingt-cinq ans, James Cameron battait tous les records et propulsait par la même occasion Kate Winslet et Leonardo DiCaprio vers une célébrité planétaire. Vendu comme un «Roméo et Juliette sur un bateau» et resté à l'affiche pendant presque dix mois, son film était une histoire d'amour irrésistible doublée d'un spectacle démesuré, que les spectateurs couraient voir et revoir en masse (l'autrice de ces lignes, qui était encore à l'école primaire, l'a vu trois fois à l'époque). Depuis le mercredi 8 février, Titanic est de nouveau visible en salles, en IMAX et en 3D. Et le spectacle est toujours ébouriffant.
Une production démesurée
Titanic est une anomalie dans l'histoire du cinéma. Une production sans précédent qui, à ce jour, reste encore inégalée. Début février 2023, quelques jours avant la ressortie du film en IMAX 3D, James Cameron a convié les journalistes à une conférence de presse mondiale. Il a rappelé que son équipe avait notamment construit une réplique du Titanic à échelle exacte (et non à 90%, comme cela avait été auparavant raconté).
Une ambition jusqu'au-boutiste qu'on peinerait à retrouver dans l'écosystème hollywoodien actuel, de plus en plus dominé par les fonds verts et images de synthèse. «En matière de technique, tout est différent aujourd'hui. On aurait utilisé beaucoup plus d'images de synthèse, on aurait construit beaucoup moins de décors… On aurait fait des foules en images de synthèse à la place des figurants, parce que maintenant, on sait comment faire ça et faire en sorte que cela soit indistinguable de la réalité. Je pense que le résultat final aurait sans doute été similaire, mais on n'aurait pas opéré de la même manière.»
Sur grand écran, le réalisme tactile des scènes est pourtant incomparable avec la majorité des blockbusters produits aujourd'hui. Passionné par la plongée et le monde sous-marin, James Cameron a aussi attaché un soin sans pareil à la reconstitution méticuleuse de chaque pièce du paquebot. Les décors, de la promenade à la grande coupole en verre, en passant par la salle des machines, sont à couper le souffle. La 3D, déjà ajoutée au film lors d'une ressortie en 2012, est subtile, mais rend les scènes d'action encore plus palpables et haletantes.
Un récit moderne et féministe
De sa scène de baiser au soleil couchant à l'image culte d'une main qui glisse sur la vitre embuée d'une voiture, Titanic est resté dans les mémoires comme une des plus grandes histoires d'amour du cinéma. Mais c'est surtout, à travers l'histoire de Rose, un récit féministe toujours aussi moderne. Prisonnière d'un mariage arrangé avec un homme abusif, c'est sa rencontre avec Jack qui va lui permettre de s'affranchir et mener une vie accomplie.
Le film est ponctué de rappels à la condition étouffante des femmes de l'époque. «À l'extérieur, j'étais tout ce qu'une jeune femme bien élevée devrait être. À l'extérieur, je hurlais», nous dit la voix off de Kate Winslet au début du long-métrage. La scène la plus emblématique, et lourde de symbolisme, reste celle dans laquelle la mère de la jeune femme l'aide à lacer son corset, tout en lui rappelant qu'elle n'a d'autre choix que d'épouser un homme riche pour survivre. «Bien sûr que c'est injuste. Nous sommes des femmes.»
«Quand vous allez au cinéma, vous prenez une décision. [...] Vous vous engagez à être assis et vivre une expérience. [...] Et parce que vous êtes entièrement investi face à l'écran, l'émotion monte et vous terrasse.»
Lors de sa rencontre avec la presse, James Cameron a reconnu que le succès du film auprès d'un jeune public féminin pouvait en partie être attribué au charme de Leonardo DiCaprio, déjà renversant du haut de ses 22 ans. Mais pas seulement. «Je pense que ce qui s'est produit, c'est que juste après l'adolescence, les jeunes femmes sont à un stade de leur vie où la société leur dit de ne pas être qui elles sont. De ne pas être les personnes incroyables et sans limites qu'elles sont réellement, et de s'asseoir, la fermer, resserrer le corset et faire ce que la société dominée par les hommes attend d'elles. Or, ce film était sur Rose et son accomplissement personnel. Certes, Jack était un catalyseur pour elle, mais elle a survécu au naufrage. Et à la fin, on voit toutes ces photos qui montrent qu'elle a vécu une vie remplie. Elle a réalisé son potentiel. Et je pense que ça, ça parle aux femmes dans le public.»
Surprenant, quand on voit les clichés rétrogrades qu'Avatar: La voie de l'eau véhicule sur le genre, de constater à quel point le message féministe de Titanic perdure aujourd'hui. Depuis quelques années, on assiste même à la relecture du film comme une œuvre subtilement queer. «Leonardo DiCaprio, c'est une icône lesbienne», a carrément affirmé Céline Sciamma. Dans Portrait de la jeune fille en feu, la réalisatrice française invoque ouvertement le film, que ce soit avec ses scènes de portraits, ou son histoire d'amour égalitaire, furtive et émancipatrice.
Un quart de siècle plus tard, le discours politique de Titanic n'a lui non plus rien perdu de sa force. Interrogé sur le sujet, James Cameron a établi un parallèle entre la lutte des classes dépeinte dans son film et les populations touchées par le réchauffement climatique. «Nous sommes face à une crise du climat. Nous avons été prévenus depuis des années, nous l'avons vu venir, et nous ne pouvons pas faire demi-tour. C'est exactement comme avec ce sacré iceberg. Nous allons nous y écraser la tête la première et devinez qui va souffrir le plus? Les pauvres. Pas les nations riches qui ont pourtant créé le problème. Sur le Titanic, la cause du problème, c'étaient les riches, leur impatience d'arriver à New York; ainsi que le capitaine et le propriétaire de la compagnie qui ont voulu satisfaire leur base de riches clients. Et ce sont les pauvres qui ont souffert, statistiquement.»
Une expérience de cinéma
Est-il vraiment nécessaire de le voir dans un cinéma, alors que les téléviseurs et home cinema actuels permettent déjà une excellente qualité de visionnage? «Il y a une chose qui fait la différence, estime le cinéaste. Quand vous allez au cinéma, vous prenez une décision. Vous vous habillez, vous prenez votre voiture, vous traversez la ville, vous dépensez un paquet d'argent pour les billets et le pop-corn. Vous vous engagez à être assis et vivre une expérience pendant trois heures quinze. Vous ne pouvez pas faire pause, vous ne pouvez pas faire à manger en même temps ou commander une pizza. Et parce que vous êtes entièrement investi face à l'écran, l'émotion monte et vous terrasse.»
Vingt-cinq ans après notre première découverte au cinéma et un nombre incalculable de rediffusions sur écrans de télé ou d'ordinateur, on peut le confirmer: voir Titanic en salles procure une émotion que l'on peut difficilement reproduire chez soi.
En grand 2023 t'as encore des mecs assez bêtes pour faire des blagues et grogner à haute voix au ciné pendant chaque moment romantique de TITANIC, c'est désespérant. Heureusement le reste de la séance était génial, et le voir en salle est clairement une expérience unique : pic.twitter.com/mq49xWYbM2
— 🧛🕸️ Captain Jim 🐈⬛🎃 (@RenaudActual) February 9, 2023
Au-delà des effets spéciaux qui n'ont pas pris une ride, des séquences d'action sublimées par la 3D, ou encore de la vision époustouflante du paquebot en train de se briser en deux, c'est surtout l'occasion de (re)découvrir le film avec un tout nouveau public. D'entendre les spectateurs rire à l'unisson lorsque Rose s'exerce au crachat, pleurer en cœur pendant la scène des musiciens ou chanter la chanson du générique à tue-tête… Et revivre une expérience de cinéma qui ne connaît, encore aujourd'hui, aucun équivalent.