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Séisme en Turquie: ce n'est pas seulement la magnitude qui détermine le nombre de morts

Temps de lecture : 3 min

La survie dépend de plusieurs conditions. Dans le cas de la Turquie et de la Syrie, de nombreux facteurs jouent contre les sauveteurs.

Un garçon de 13 ans est secouru le 8 février 2023 à Kahramanmaras, en Turquie, cinquante-cinq heures après le tremblement de terre. | Izzet Mazi / Agence Anadolu / AFP
Un garçon de 13 ans est secouru le 8 février 2023 à Kahramanmaras, en Turquie, cinquante-cinq heures après le tremblement de terre. | Izzet Mazi / Agence Anadolu / AFP

Ils approchent la quarantaine, mais au Mexique, ils seront toujours les «bébés miracles». Lors du tremblement de terre de 1985 qui a dévasté Mexico, quatorze nourrissons ont survécu à l'effondrement de l'hôpital Juárez. Le dernier d'entre eux a été tiré vivant des décombres plus d'une semaine après le séisme. Pour les Mexicains ébranlés par une catastrophe qui a fait au moins 10.000 morts et laissé un bien plus grand nombre de personnes sans abri, les bébés miracles étaient un symbole de résilience et d'espoir.

Ils attestent également de ce phénomène étonnant observé lors des tremblements de terre: de nombreuses personnes, peut-être la plupart, survivent aux effondrements de bâtiments qui caractérisent les pires d'entre eux, comme le tremblement de terre de magnitude 7,8 qui a frappé la Turquie et la Syrie lundi 6 février au matin. À ce jour, plus de 11.200 personnes sont mortes dans ces deux pays et l'Organisation mondiale de la santé s'attend à ce que le bilan s'alourdisse de «milliers» de victimes.

Les facteurs qui jouent contre les sauveteurs

Cela contribue à expliquer pourquoi le nombre de morts ne peut être rapidement déduit du nombre de personnes disparues –et souligne le caractère d'urgence que revêt la recherche de survivants dans les jours qui suivent. Un examen d'études de cas réalisé en 2017 par des ingénieurs de l'UNAM (Université nationale autonome du Mexique) à Mexico a permis de conclure qu'en moyenne, plus de la moitié des personnes piégées dans les décombres d'un bâtiment survivent.

Ce chiffre ne doit pas être considéré comme un motif d'optimisme. D'une part, les bâtiments étudiés, qu'ils soient situés au Mexique, en Chine ou en Haïti, avaient tous fait l'objet d'une analyse antérieure –ce qui correspond à une sorte de biais en faveur des structures importantes et des situations ayant bénéficié d'une couverture médiatique.

Lors des tremblements de terre en Turquie, ce sont les constructions plus récentes qui ont subi le plus de dégâts.

Plus important encore, l'analyse montre à quel point cette survie dépend des conditions. Dans le cas de la Turquie et de la Syrie, de très nombreux facteurs jouent contre les sauveteurs.

Le premier est la météo: il faisait -6 °C la nuit dernière à Gaziantep, en Turquie, la grande ville la plus proche de l'épicentre. Le froid entrave les opérations de sauvetage, diminue les chances de survie dans les décombres et oblige à se concentrer sur d'autres types de secours, comme la prise en charge des sans-abri.

Le deuxième est l'état de la société civile: la Syrie déchirée par la guerre, en particulier, aura du mal à mobiliser les secours de la même manière que le Japon ou Taïwan. Lorsque les services sont très sollicités, même le personnel hospitalier peut être amené à s'occuper de ses amis et de sa famille au lieu d'aller travailler.

La négligence des constructeurs «équivaut à un meurtre»

Le troisième est la qualité des bâtiments: la mauvaise qualité des constructions est un problème récurrent en Turquie. On pourrait s'attendre à ce que les bâtiments anciens soient plus dangereux en cas de tremblement de terre; ce fut le cas lors du séisme de 1995 à Kobe, au Japon, où la plupart des décès ont eu lieu dans des bâtiments traditionnels à structure en bois. Mais lors des tremblements de terre ultérieurs en Turquie, ce sont les constructions plus récentes qui ont subi le plus de dégâts, en raison peut-être du non-respect des normes parasismiques.

On peut citer l'exemple des tremblements de terre qui ont frappé l'est de la Turquie en 2011, tuant plus de 600 personnes. Le président Recep Tayyip Erdoğan avait alors déclaré que le pays n'avait pas tiré les leçons des séismes précédents: «Nous voyons que les gens paient les conséquences d'un béton qui s'est pratiquement transformé en sable, ou de son affaiblissement au niveau du rez-de-chaussée. Les municipalités, les constructeurs et les contremaîtres devraient maintenant se rendre compte que leur négligence équivaut à un meurtre.»

Gaziantep constitue un test particulièrement éprouvant pour le secteur de la construction turque. En effet, des pressions sans précédent ont été exercées sur la ville pour qu'elle construise de nouveaux logements afin d'accueillir les réfugiés syriens. Longtemps ville jumelle d'Alep, située à 130 kilomètres au sud, Gaziantep a connu une croissance de 20 à 30% au cours de la dernière décennie avec l'arrivée de 500.000 Syriens. La ville a fait des efforts particuliers pour aider ces personnes à trouver un logement durable dans la ville, y compris dans de nouveaux bâtiments, plutôt que de les garder dans des camps de réfugiés.

Tout cela rend le tremblement de terre doublement tragique, car Gaziantep était une exception heureuse dans le contexte tragique de la guerre civile syrienne. Autrefois connue pour ses pistaches, la ville était devenue célèbre en tant que modèle d'installation et d'intégration des réfugiés. Cette fois, la tragédie se déroule des deux côtés de la frontière.

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