Sports / Culture

Comment le show de la mi-temps du Super Bowl a supplanté le match

Temps de lecture : 6 min

En 1993, la NFL avait invité Michael Jackson à se produire à la mi-temps du Super Bowl. Le coup médiatique a tellement fonctionné que, depuis, les stars de la pop sont devenues l'argument majeur de l'événement, quitte à éclipser le match.

Sans ballon ni touchdowns, le spectacle de la mi-temps du dernier Super Bowl était peut-être le moment le plus fort de la saison 2021-2022 de NFL, avec Eminem, Kendrick Lamar, Dr. Dre, Mary J. Blige, 50 Cent et Snoop Dogg réunis sur une même scène pour un show déjà culte. | Capture d'écran NFL via YouTube
Sans ballon ni touchdowns, le spectacle de la mi-temps du dernier Super Bowl était peut-être le moment le plus fort de la saison 2021-2022 de NFL, avec Eminem, Kendrick Lamar, Dr. Dre, Mary J. Blige, 50 Cent et Snoop Dogg réunis sur une même scène pour un show déjà culte. | Capture d'écran NFL via YouTube

Ce dimanche 12 février, la ville de Glendale, dans la banlieue de Phoenix (Arizona), va être le théâtre de l'événement médiatique le plus important de l'année outre-Atlantique. L'attente est forte pour la 57e édition du Super Bowl, et pas seulement pour la finale du championnat de la Ligue nationale de football américain (NFL). Car, à la mi-temps du match entre les Chiefs de Kansas City et les Eagles de Philadelphie, Rihanna va se produire pour la première fois depuis décembre 2017.

Cinq ans sans concert, autant dire une éternité pour n'importe quel artiste, d'autant plus pour une mégastar de la pop. Une pause tellement longue qu'entre-temps, les Chiefs du spectaculaire Patrick Mahomes ont déjà participé deux fois au Super Bowl (2020 et 2021) et les Eagles ont gagné la 52e finale en février 2018. Or, pour un grand retour, Rihanna a sans doute choisi la meilleure occasion.

Aujourd'hui, la NFL est de plus en plus controversée, avec des polémiques à répétition: le nom Redskins abandonné par la franchise de Washington, le cas de Colin Kaepernick, les joueurs accusés d'agressions sexuelles à peine sanctionnés... Le sport lui-même inquiète pour ses conséquences sur la santé des joueurs.

Mais le Super Bowl garde une aura particulière, le moment qui réunit les États-Uniens devant la télé comme aucun autre. Il compte pour vingt-neuf des trente plus grosses audiences de tous les temps aux États-Unis et les éditions de la dernière décennie sont tout en haut du classement.

De l'autre côté, c'est aussi un luxe dont la NFL ne peut plus se passer. Le spectacle de la mi-temps est passé de la simple animation, pour occuper le public, au moment phare de la soirée.

Une grande fête vieillissante

Le Super Bowl est l'aboutissement de la saison, mais le match n'est pas forcément un grand moment de divertissement. Dans un sport où les phases de jeu sont très courtes, les pauses et coupures publicitaires extrêmement répétitives (comptez plus de trois heures de direct), il faut apporter un peu de ferveur dans les stades et pour les téléspectateurs.

Dès la première édition en janvier 1967, on a repris la tradition des matchs universitaires en invitant les fanfares des écoles voisines. Des stars de la chanson ont vite été invitées au spectacle, mais toujours dans un cadre précis, avec orchestres scolaires ou militaires, et surtout un thème pour chaque édition (souvent en lien avec la «grandeur de l'Amérique».) Dans les années 1970, sont apparus aussi des shows plus grands, plus visuels, avec costumes, décors et reprises de chansons pop, à l'image du spectacle célébrant le bicentennaire du pays en 1976.

Le Super Bowl devient un événement national et familial avec les spectacles récurrents de Disney, et aussi très patriotique dans un pays jamais avare de symboles. En 1985, c'est même l'US Air Force qui est en charge d'un spectacle clairement propagandiste (intitulé «World of Children's Dream»).

Mais côté programmation, ça commence à tourner en rond. Les thèmes se concentrent sur des fêtes anniversaires, des célébrations nostalgiques et souvent aseptisées de la culture d'autrefois. Surtout, on revoit souvent les mêmes: l'organisation Up The People et ses célébrations dansantes et gentillettes va participer six fois et paraître de plus en plus fade et superficiel.

En janvier 1991, l'événement perd de sa superbe: le spectacle des 25 ans du Super Bowl est éclipsé par l'actualité de la guerre du Golfe, dix jours après le début de l'opération «Tempête du désert». Le fait marquant de la soirée se passe en fait avant le match, quand l'hymne national est interprété par Whitney Houston.

L'année d'après, la NFL et la chaîne CBS subissent un affront: le spectacle «Winter Magic», en lien avec les Jeux olympiques d'hiver d'Albertville, désintéresse les téléspectateurs. Plutôt que de regarder du patinage artistique, ils ont zappé sur la Fox, qui a volontairement programmé pour la mi-temps un épisode de la série comique In Living Color.

Pour l'édition suivante, en 1993, cette énorme baisse d'audimat pousse la NFL à miser sur un coup difficile, mais au succès garanti: inviter le roi de la pop.

On sent l'excitation du public, même trente ans après. Michael Jackson est alors tellement iconique qu'il peut rester près de deux minutes sans rien faire et inspirer l'admiration. En moins d'un quart d'heure, il offre un medley ultra calibré, qui ressemble à un extrait de sa tournée et finit entouré de 3.500 enfants sur scène... Le pic d'audience d'une mi-temps à l'autre est inédit et le concert est le point fort d'une finale oubliable (et à sens unique, 52-17 pour les Cowboys de Dallas face aux Bills de Buffalo). La recette a été trouvée. Impossible de faire marche arrière.

Davantage de stars, et la logique s'inverse

Comme on ne peut pas aisément égaler l'aura de Michael Jackson, la NFL va faire le pari des groupes de stars. D'abord par genre musical, avec des hommages à la country (1994), au blues (1997) ou au label Motown (1998), puis avec des castings parfois improbables mais marquants, comme Aerosmith et NSYNC, accompagnés de Britney Spears, Mary J. Blige et Nelly en 2001.

On vise un public plus jeune, avec des stars de la pop un peu moins lisses qu'avant. Arrive alors 2004 et le moment qui cristallise le goût de la provocation et le puritanisme états-unien: le sein de Janet Jackson dévoilé par Justin Timberlake en plein direct. L'inconscient collectif en a oublié le reste du concert: l'incident baptisé «nipplegate» est resté dans l'actualité jusqu'à l'année suivante. Il a provoqué une vague de censure et une nouvelle réglementation sur ce qui pouvait être dit ou montré à la télévision (avec notamment le recours au différé de cinq minutes pour la cérémonie des Oscars, quelques semaines après).

Peut-être en réponse, dès l'année suivante, une nouvelle tendance s'affirme: une seule tête d'affiche. Et généralement des gloires du rock d'autrefois, comme Paul McCartney (2005), les Rolling Stones (2006), Prince (2007), Bruce Springsteen et son E Street Band (2009) ou les Who (2010).

La NFL redore son image auprès de son public fidèle (et conservateur), les artistes ont un regain de popularité (et de ventes d'albums). Le modèle va vite être actualisé pour accueillir des stars plus récentes, avec des performances plus dansantes, des chorégraphies et mises en scène clinquantes. On avait eu Diana Ross qui concluait son concert dans un hélicoptère en 1996, on aura Madonna avec le Cirque du Soleil (2012), Beyoncé qui reforme les Destiny's Child (2013), Katy Perry sur un lion mécanique (2015) ou Lady Gaga qui saute du toit du stade de Houston (2017).

Si le Super Bowl a longtemps offert des rencontres déséquilibrées, celles des récentes éditions ont été souvent très serrées. Pourtant, depuis plusieurs années, des sondages auprès des spectateurs montrent le désintérêt grandissant pour le match en lui-même. Il est même arrivé que la mi-temps attire plus de monde devant la télé que les deux équipes sur le terrain.

Ce n'est plus tellement une question de football américain. D'ailleurs, en comparaison, les finales de conférences AFC et NFC, jouées deux semaines plus tôt, n'atteignent même pas la moitié des chiffres d'audience du Super Bowl.

Les saisons s'enchaînent, mais le show de la mi-temps est devenu un marqueur culturel durable. Sur la chaîne YouTube de la NFL, les concerts du Super Bowl sont de très loin les contenus les plus regardés. Le duo Shakira et Jennifer Lopez en 2020 explose les scores (plus de 264 millions de vues), déjà suivi par la réunion cinq étoiles de légendes du rap et du hip-hop de février 2022 (Dr. Dre, Snoop Dogg, Eminem, Mary J. Blige, Kendrick Lamar, accompagnés de 50 Cent et Anderson .Paak).

Rihanna n'a pas le choix, elle doit être au même niveau de maîtrise que ses prédécesseurs. La NFL non plus n'a plus le choix: son spectacle musical a une portée plus large, plus internationale, que celui qui se joue avec un ballon. Son domaine de prédilection n'est plus vraiment la raison de son succès, mais un excellent prétexte.

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