Politique

La gauche socialiste ferait bien d'analyser l'histoire politique des années 1960

Temps de lecture : 6 min

Face à la domination de La France insoumise, les opposants à la ligne d'Olivier Faure, à l'intérieur comme à l'extérieur du PS, se posent la question de la refondation d'un courant social-démocrate. Ce n'est pas gagné.

La maire de Nantes, Johanna Rolland, le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, la maire de Vaulx-en-Velin, Hélène Geoffroy, et le maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol tiennent une rose rouge sur scène lors du 80e congrès du parti, à Marseille, le 29 janvier 2023. | Clément Mahoudeau / AFP
La maire de Nantes, Johanna Rolland, le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, la maire de Vaulx-en-Velin, Hélène Geoffroy, et le maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol tiennent une rose rouge sur scène lors du 80e congrès du parti, à Marseille, le 29 janvier 2023. | Clément Mahoudeau / AFP

Et si on se hasardait à dresser un parallèle entre la situation du Parti socialiste (PS) en 2023 et celle de la Section française de l'Internationale ouvrière (SFIO) au début des années 1960? En prenant une précaution de taille: les événements ne se reproduisent jamais deux fois de façon identique. Karl Marx a d'ailleurs eu une formule célèbre sur la question. Selon lui, l'histoire se répète au moins deux fois, sinon plus, mais «la première fois comme une tragédie, la deuxième fois comme une farce».

Dans le cas qui nous intéresse, on ne peut pas dire que la première fois ait été une tragédie, puisque la fin de la SFIO et la lente agrégation des morceaux éparpillés de la social-démocratie –expression sans doute impropre, au regard de ce qu'elle signifie véritablement comme moteur politico-syndical– a donné naissance au PS. Un parti qui a connu près d'un demi-siècle de succès électoraux, avec des hauts et des moins hauts. Si une deuxième fois advenait, se transformerait-elle en farce?

Des opposants internes et des opposants externes

Sauf à être doué de prescience, il est difficile d'avoir une opinion tranchée et définitive sur la question. Cela dépend aussi, et peut-être surtout, de l'endroit d'où les acteurs les plus concernés observent la chose. Il va de soi que le point de vue du premier secrétaire du parti, Olivier Faure, et de ses amis partisans de l'alliance avec La France insoumise (LFI) au travers de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) n'est pas en phase avec celui de leurs opposants, qu'ils soient internes ou externes au PS. Encore faut-il remarquer que ces internes et ces externes ne sont pas forcément voire pas du tout, jusqu'à aujourd'hui du moins, sur la même longueur d'onde.

À cette aune, la question légitime de l'avenir du Parti socialiste, ou de sa refondation pour les opposants à Olivier Faure, ou encore de son dépassement pour ceux qui ont toujours un pied dedans et l'autre déjà dehors, ne se pose pas de la même manière. Ces interrogations sont par ailleurs d'autant plus légitimes que le premier secrétaire sortant vient de vivre une réélection compliquée au 80e congrès du parti qui s'est tenu à Marseille entre le 27 et le 29 janvier dernier.

La bataille intérieure fait rage

Cette élection a été si compliquée qu'elle a donné lieu sur Twitter à une empoignade virile, sinon violente, entre ses deux derniers protagonistes. Et si a été effectué le décompte des voix recueillies, dans chaque fédération départementale, par Olivier Faure et son concurrent, le maire de Rouen (Seine-Maritime) Nicolas Mayer-Rossignol, l'affaire n'est pas totalement terminée: des accusations de fraudes électorales flottent toujours.

Certes, Nicolas Mayer-Rossignol est devenu premier secrétaire délégué, une concession de taille faite à son opposition par Olivier Faure, et qui a évité la scission du parti. Mais la bataille interne se poursuit aussi avec l'élection des premiers secrétaires fédéraux, qui doit s'achever fin février. On saura alors qui, du camp Faure ou de la coalition Mayer-Rossignol-Geoffroy a la plus forte implantation interne.

Quoi qu'il en soit, le partage des sièges au conseil national (sorte de Parlement du PS) montrera, une fois de plus, que le parti est coupé en deux malgré la mise en place –illusoire– d'une direction collégiale alliant les contraires. Reconnaissons toutefois qu'il s'agit là d'une forme de tradition au Parti socialiste tant elle s'est déjà incarnée dans le passé avec les tandems François Mitterrand-Jean-Pierre Chevènement, François Mitterrand-Michel Rocard, Lionel Jospin-Laurent Fabius ou Martine Aubry-Ségolène Royal.

Du délitement de la SFIO à la création du PSA

La seule différence –mais elle est de taille– avec les événements passés, c'est que le PS était à l'époque dans des phases électorales conquérantes, en osmose avec une fraction importante des classes moyennes et populaires, et dominant à gauche ou en situation de le devenir face à son principal concurrent, le Parti communiste français (PCF).

Autant dire que son bilan de santé actuel n'est en rien comparable. Le PS se trouve aujourd'hui en position de marginalisation au sein de la gauche, voire de soumission, selon ses opposants internes et externes. Rappelons-nous des résultats de ses candidats aux deux derniers scrutins présidentiels: un peu plus de 6% pour Benoît Hamon en 2017; un peu moins de 2% pour Anne Hidalgo en 2022.

Il faudra attendre l'après-Mai 68 et
le revers électoral de la présidentielle de 1969 pour voir se précipiter
la refondation de la gauche
non communiste.

Le rapprochement avec le début des années 1960 et le délitement de la SFIO permettent de rappeler que la rénovation est alors venue de l'extérieur. Divisés sur l'attitude à adopter face au général de Gaulle, qui préside aux destinées du pays depuis 1958 et gère la sortie du conflit militaire colonial en Algérie (baptisé «opération de maintien de l'ordre»), les socialistes se déchirent. Une minorité de la SFIO, opposée au gaullisme, quitte donc la formation pour fonder le Parti socialiste autonome (PSA). Des représentants de la gauche non communiste tels que François Mitterrand et le radical Pierre Mendès France (qui ne sont pas membres de la SFIO) dénoncent quant à eux le «coup d'État» du général.

Petit à petit, le PSA se rapproche de petits clubs animés par des chrétiens de gauche ou des dissidents communistes. Cette agrégation donne naissance au Parti socialiste unifié (PSU). Du côté syndical, la déconfessionnalisation de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) fait émerger un nouveau syndicat dans l'espace de réflexion de la gauche non communiste: la Confédération française démocratique du travail (CFDT), qui place son action dans le cadre de la «lutte des classes».

Une refondation, ça prend du temps

Cette tectonique des plaques politiques aboutit à une candidature de François Mitterrand, représentant de la Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS), à l'élection présidentielle de 1965. Le futur président de la République –il sera élu seize ans plus tard– met alors Charles de Gaulle en ballotage en obtenant 32% des voix au premier tour.

Il faudra attendre l'après-Mai 68 et le revers électoral de la présidentielle de 1969, lors de laquelle Gaston Defferre, candidat du nouveau Parti socialiste, obtient à peine plus de 5% des suffrages, quand Michel Rocard fait 3,6% pour le PSU, pour voir se précipiter la refondation de la gauche non communiste.

Deux congrès successifs, celui d'Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) en 1969 et celui d'Épinay (Seine-Saint-Denis) en 1971, permettent d'insérer les dernières pièces manquantes du puzzle et de cimenter le tout avec l'élection de François Mitterrand comme premier secrétaire du parti. Sa mission principale est de signer un accord de gouvernement avec le PCF. Finalement, celui-ci est également signé par les radicaux de gauche.

Dès lors, les socialistes vont supplanter les communistes dans toutes les élections intermédiaires. Et si François Mitterrand est battu d'un cheveu par Valéry Giscard d'Estaing au second tour de la présidentielle de 1974 –l'écart entre eux est d'un peu plus de 400.000 suffrages exprimés–, il prend sa revanche sept ans plus tard en le devançant de plus d'un million de voix.

Sans projet, sans troupes et sans leader

Le leader de la gauche socialiste restera quatorze ans à l'Élysée. Quatorze années, c'est aussi à peu près le temps qu'il aura fallu au courant social-démocrate –expression décriée et presque insultante tant elle était synonyme pour la gauche radicale de trahison dans les années 1950 et 1960– pour se constituer, se solidifier et se fortifier. Ce temps long donne la mesure du défi d'aujourd'hui.

D'autant que pour réussir ce pari, il faut un projet politique, des troupes pour le faire vivre, un homme ou une femme pour l'incarner et des résultats électoraux tangibles lors des consultations nationales. Force est de constater que le PS et ses opposants internes ou externes sont dépourvus, au moins publiquement, de la plupart de ces paramètres indispensables à l'espoir de réussite d'une rénovation ou d'une refondation. Gageons que les plus lucides ont conscience, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du parti, de la réalité brutale de cette situation.

L'expérience des années 1960 peut justement être une bonne conseillère en la matière, pour éviter les écueils et les faux pas. Mais l'histoire du PCF montre aussi que toutes les vagues successives qui ont tenté de le transformer, des rénovateurs aux refondateurs, en passant par les reconstructeurs, se sont cassé les dents. Finalement, c'est l'écroulement de l'URSS et de l'empire soviétique qui a eu raison de ce parti, le premier de France dans les années qui ont suivi la Libération. Ses électeurs ont fui et ne sont pas revenus. Pour le PS, l'espoir fait vivre. Ou survivre.

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