Économie

Pourquoi le système de retraite par capitalisation ne séduit pas en France

Temps de lecture : 4 min

Alors que le débat sur la réforme des retraites semble se durcir, personne ne parle d'un régime pourtant largement développé à l'étranger: la retraite par capitalisation.

Membre du Cercle des économistes, Philippe Trainar retient trois arguments franco-français en défaveur du régime par capitalisation: le risque lié aux marchés financiers, l'équivalence de long terme entre système par capitalisation et système par répartition, et la hausse des inégalités. | Christian Dubovan via Unsplash
Membre du Cercle des économistes, Philippe Trainar retient trois arguments franco-français en défaveur du régime par capitalisation: le risque lié aux marchés financiers, l'équivalence de long terme entre système par capitalisation et système par répartition, et la hausse des inégalités. | Christian Dubovan via Unsplash

Tout le monde reconnaît la situation. Le déficit du système des retraites serait compris entre 0,5 et 0,8 point du PIB d'ici à 2032, selon le Conseil d'orientation des retraites. Tout le monde accepte l'idée de réformer, selon différentes modalités à chaque fois: de l'allongement de l'âge légal de départ à la retraite, à la hausse des impôts et celle des cotisations. Mais personne ne propose une révolution de paradigme: la retraite par capitalisation.

Rares sont les défenseurs de la retraite par capitalisation

Seul le maire Les Républicains (LR) de Cannes, David Lisnard, en a soumis l'idée, dans une tribune récente parue dans Le Figaro. Dans celle-ci, il appelle à sortir d'une forme «de sado-réformisme des retraites», d'une incapacité à maintenir durablement un système par répartition, dont «la dégradation financière [sera] inéluctable» et pousse à se tourner rapidement vers une capitalisation des retraites.

Selon lui, l'actuel fonctionnement, fondé sur la répartition, est assimilable à une pyramide de Ponzi, où les dépôts des uns font les rémunérations des autres, où le système n'est pas capable d'assurer un équilibre durable sans apport permanent, sans croissance démographique et sans soutien public.

L'élu LR veut changer le fusil d'épaule et se tourner vers les fonds d'investissement et les fonds de pension pour financer et faire fructifier une partie des retraites, «avec en amorçage un investissement public temporaire et décroissant». D'inspiration anglo-saxonne, où le modèle est mixte entre une part de répartition et une part de capitalisation, l'idée de David Lisnard consisterait à garantir une retraite minimum universelle, puis à assurer des retraites complémentaires à travers un engagement auprès des marchés financiers.

Le maire de Cannes rappelle que cette idée est déjà largement appliquée dans de nombreux pays étrangers, comme le prouve l'étude de l'économiste Philippe Trainar. Le professeur titulaire de la chaire assurance du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), dans un article paru en 2017 dans la Revue d'économie financière, montre en effet que «le reste du monde accorde en général une place plus importante aux fonds de pension» dans le financement des retraites individuelles.

Dans le total des pensions versées, des pays comme la Corée du Sud, l'Australie, le Canada ou les États-Unis ont même une part des pensions par capitalisation supérieure à 60%. Alors qu'en France, la part des plans épargne retraite pèse moins de 5% de l'ensemble. «En montant absolu, les investissements suisses, néerlandais et américains au titre de la retraite par capitalisation des fonds de pension et des compagnies d'assurance représentent respectivement quatre fois plus, six fois plus et cent fois plus que les investissements français à ce titre», indique l'étude de Philippe Trainar.

Une peur des incertitudes financières

Comment expliquer ce refus historique de capitalisation en France, alors que la chose est appliquée dans de nombreux pays à l'étranger? Philippe Trainar retient trois arguments franco-français en défaveur d'un tel concept: le risque lié aux marchés financiers, l'équivalence de long terme entre système par capitalisation et système par répartition, et la hausse des inégalités.

Le premier argument, celui du risque financier, est ancré dans l'histoire française des retraites. Avant 1941 et le premier régime de retraite par répartition, les retraites des travailleurs avaient été confiées à des fonds de pension privés et le tout fonctionnait sous l'aune de la capitalisation. Or, la crise de 1929 et l'hyperinflation, dans l'entre-deux-guerres, ont altéré la rentabilité des placements financiers et provoqué une très lourde dépréciation des pensions.

Comme le précise Philippe Trainar, «entre 1914 et 1939, les prix vont augmenter de 600% au total, divisant par sept le pouvoir d'achat des rentes sur la période». L'État français va alors se tourner rapidement vers l'assurance publique et le système par répartition indexé sur les salaires et l'inflation. Ses fondements sont donc liés à une peur de l'incertitude financière, renforcée par les crises boursières récentes, depuis les années 2000.

Peu de différence entre répartition et capitalisation

Ensuite, lorsqu'on regarde l'évolution, sur un temps long, entre valorisation des pensions par capitalisation et valorisation des pensions par répartition, on ne constate pas beaucoup de différence, ce qui rendrait le changement peu attractif.

«Les économistes ont démontré qu'à l'équilibre stationnaire, la capitalisation et la répartition sont équivalentes: leur rendement est similaire et le transfert de richesse qu'elles opèrent en faveur des retraités est a priori identique, reprend Philippe Trainar. À l'équilibre stationnaire, le taux d'intérêt est en effet égal au taux de croissance de l'économie augmenté du taux de dépréciation du capital. En d'autres termes, les revenus du capital et les revenus du travail croissent au même rythme.» Quel serait l'intérêt d'aller vers plus de capitalisation si son taux de croissance est similaire à celui des pensions par répartition?

Vers une hausse des inégalités?

Enfin, et c'est l'une des craintes révélées par l'économiste Thomas Piketty, le financement des retraites par capitalisation risquerait d'aggraver les inégalités entre les détenteurs de capital et les autres. Ici, il faut revenir aux fondements de l'économie financière pour comprendre un tel processus. Une partie de la manne des retraites, si on passe par un degré de capitalisation, serait confiée à des fonds de pension et à des fonds d'investissement, dans le but de la faire fructifier et de la redistribuer valorisée a posteriori.

Or, ce surplus d'investissement «intéresserait principalement les plus hauts revenus», déjà propriétaires du capital et donc bénéficiaires de la hausse des investissements sur les marchés. Les inégalités risqueraient ainsi de croître à travers la dynamique de croissance des revenus du capital.

C'est parce qu'il y a déjà de très fortes inégalités qu'elles seraient renforcées. La capitalisation soutiendrait des placements détenus par les classes les plus aisées et leur richesse se renforcerait alors. Thomas Piketty, à l'inverse, appelle plutôt à une révolution fiscale, afin de réduire le poids de ces inégalités, avant d'envisager une refonte totale du système de retraite.

Vous l'aurez compris, il existe donc des raisons à la fois historiques, psychologiques et économiques pour expliquer l'absence de régime, même hybride, de capitalisation en France. Avec ce choix, reste maintenant à s'assurer de la pérennité et de la durabilité du système par répartition.

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