Économie

Conflits ou coopérations? (2)

Temps de lecture : 7 min

La crise financière et la récession ont bouleversé l'ordre du monde.

Les rencontres 2010 du Cercle des économistes qui se déroulent du 2 au 4 juillet ont pour thème les modèles de croissance après la crise. Nous publions à cette occasion une série d'articles des principaux intervenants. Celui-ci de Jacques Mistral est le deuxième.

Nous avons vécu pendant deux décennies l'ère d'une mondialisation triomphante. Mais la combinaison d'une crise financière gigantesque et d'une récession sévère ont bouleversé l'ordre du monde. Celui que nous avons connu est définitivement derrière nous. Que nous annonce le monde qui vient. Malgré la reprise en cours, l'avenir reste opaque, la croissance à elle seule ne résoudra pas toutes les questions, elle peut même en aggraver certaines. Le chômage, en particulier en Europe, un malaise social sans doute persistant, les difficultés financières des États, un peu partout dans le monde, la nécessité pour les émergents, en particulier la Chine, de trouver de nouvelles sources de croissance au moment où le marché mondial progresse moins vite, la rareté des ressources, sur laquelle les rencontres économiques d'Aix en Provence ont attiré l'attention en 2006, tout cela crée un contexte qui peut être source de tensions internationales.

D'un autre côté, face à la crise, les gouvernements semblent avoir bien retenu les leçons des années trente: en témoignent l'utilisation massive des politiques budgétaires et monétaires et, plus que tout, le climat de coopération internationale qui a présidé à la constitution d'un nouveau forum pour traiter des affaires du monde, le G20, et à la définition de politiques coordonnées pour faire face aux défis les plus immédiats: coordination des politiques macroéconomiques, rejet du protectionnisme, aide aux pays en difficulté pour compenser l'arrêt des flux de capitaux internationaux privés, projets de régulation financière pour éviter la répétition de pareille tragédie. Tout cela constitue évidemment un facteur d'espoir que les réunions du G20 au Canada puis en Corée doivent permettre de consolider.

Il importe cependant de mesurer les risques de tensions auxquels nous restons exposés (protectionnisme, ressources en matières premières, volatilité des taux de change...), les difficultés sociales que cela peut faire naître (mouvements sociaux face à des circonstances compliquées en matière d'emplois, de revenus ou d'impôts) et les obstacles nouveaux auxquels peuvent se heurter les entreprises dans leur activité internationale (accès aux marchés, protection de la propriété intellectuelle, application des règles de concurrence).

Mais nous devons surtout mettre en lumière les éléments qui permettront de perpétuer et de renforcer l'esprit de coopération international décrit plus haut en imaginant quelles innovations, quelles nouvelles pratiques permettront de surmonter ces obstacles sans, finalement, mettre en péril la poursuite de la mondialisation.

Les espoirs et défis du G20

Le G20 avait été convoqué il y a 18 mois dans l'urgence et il avait été accueilli avec scepticisme, comme une initiative sans grand lendemain. Il s'est depuis imposé comme le premier International Economic Forum appelé à supplanter le G8 dans ce rôle. Le G20 présente évidemment l'énorme atout, dans sa composition, de mieux refléter que son prédécesseur les réalités du monde contemporain.

D'un autre côté, sa légitimité ne sera vraiment établie que s'il parvient à dégager des réponses concrètes aux défis qui s'imposent à l'économie internationale et à réaliser l'intégration pleine et entière des économies émergentes.

Avoir le potentiel pour atteindre ce but est une bonne chose, certainement nécessaire, mais ce n'est pas non plus en soi une garantie de succès. Plongés dans la «grande récession», les leaders avaient une sorte d'obligation de résultat: il fallait démontrer pour chacune des opinions domestiques  que quelqu'un était aux commandes, d'où une forte pression en faveur d'une action coopérative. Avec la reprise, cette pression s'estompe, la politique redevient, comme on le dit en Amérique, une affaire «locale» et les défis politiques auxquels sont confrontés les dirigeants allemands, brésiliens, américains, chinois et autres ne sont plus aussi simplement convergents; il y a un danger de voir d'autres intérêts nationaux prendre naturellement le dessus.

Si demain le G20 n'était pas capable d'exercer le leadership attendu pour définir ce que devront être les stratégies de sortie de crise, l'achèvement coordonné des réformes financières, la modernisation des institutions internationales, les doutes sur son efficacité se répandraient rapidement et sa légitimité pourrait être remise en cause. Ce scénario aurait évidemment des conséquences dommageables sur les perspectives de croissance et il faut tout faire pour éviter qu'il se concrétise.

Il importe de s'interroger sur les conditions propres à assurer le meilleur fonctionnement possible du G20 et les priorités qu'il est souhaitable de lui fixer pour les présidences à venir, celle de la Corée au second semestre, celle de la France en 2011.

Le mythe de l'autorégulation des marchés

On peut par exemple partir des origines de la crise financière pour vérifier que se mettent en place les mécanismes propres à éviter sa répétition. Cela met en cause l'innovation financière, son utilisation, sa supervision. C'est un sujet sur lequel les vues américaines et celles de l'Europe continentale n'ont pas toujours été en phase.

Il est clair pour tous que l'innovation est la matière première de la croissance. C'est de son usage dévoyé, de son mauvais contrôle qu'est venu le danger, non de l'innovation elle-même. Certes, les entreprises de l'économie réelle savent fort bien l'utilité des instruments financiers «sophistiqués» auxquels elles ont couramment recours. Mais prenons le cas de l'industrie nucléaire. Imaginez ce qui se passerait si les ingénieurs de l'industrie nucléaire avaient rejeté l'idée de superviseurs extérieurs et affirmé que « l'autorégulation de l'industrie nucléaire » était la meilleure façon d'assurer à la fois la sécurité de la fourniture d'électricité et la sécurité des populations de l'autre.

C'est pourtant cette solution de facilité qu'ont acceptée les autorités publiques aux États-Unis et en Grande-Bretagne, avec les résultats que l'on a vus. Elles ont avec naïveté considéré qu'il était non seulement possible mais souhaitable de faire fonctionner les «réacteurs» de la finance sans superviseurs, ou presque. Et bien, l'expérience a été faite, les marchés ont finalement démontré que l'auto-régulation des marchés était un mythe. Mais c'est une chose d'arriver à cette conclusion très générale, c'est tout à fait autre chose d'aboutir à un degré de coopération internationale suffisamment poussé qui permette de créer un ordre financier international plus stable et plus favorable à la poursuite des échanges.

Quelle future pour la «ChineAmérique» ?

A un niveau plus macroéconomique, la tendance internationale la plus marquante de la première décennie du siècle, celle aussi qui soulève le plus de questions pour l'avenir, est certainement l'interdépendance croissante entre la Chine et l'Amérique. Cette interdépendance croissante a donné naissance à l'expression «ChineAmérique»: on l'entend partout mais que recouvre-t-elle exactement? Il y a le poids des intérêts économiques partagés, les exportations et l'emploi en Chine, les flux de capitaux et le financement à bon marché des déficits pour l'Amérique.

Mais si elles sont évidemment partenaires, l'Amérique et la Chine sont tout aussi évidemment concurrentes et parfois rivales. La Chine est une superpuissance en devenir qui entend affirmer sa présence dans les affaires mondiales, l'Amérique est une hyper puissance qui s'interroge sur son avenir : pour elle la Chine est avant tout un défi. La direction que prendra cette relation est sans doute ce qui déterminera le plus directement l'avenir de la planète.

Ces deniers mois, des sujets comme les mesures protectionnistes, Taiwan, le dalaï-lama, Google, la gesticulation sur le taux de change ont donné l'impression d'une relation de plus en plus épineuse. Heureusement, la préparation du sommet nucléaire de Washington en mai a été l'occasion de replacer cette relation sur un terrain moins mouvant. On voit à travers cet épisode qu'il y a souvent trop d'émotion et pas assez d'analyse dans l'approche de ces questions. L'idée lancée un peu vite de G2, en tout cas, apparait désormais mal adaptée.

Il convient de réfléchir à l'avenir de cette relation, à la contribution que les autres partenaires peuvent apporter et la façon de donner à la Chine les meilleurs moyens d'atteindre son objectif d'insertion harmonieuse dans l'économie internationale.

Que peut-on attendre de la coopération européenne?

Au  niveau régional, le désastre qu'a représenté la gestion de la crise grecque est une expérience qui doit faire réfléchir à nouveau sur les mécanismes de coopération à l'échelle européenne. Ils étaient imparfaits, c'est certain, mais leur histoire suggérait que chaque crise était l'occasion de pousser l'intégration européenne un peu plus loin, de corriger les insuffisances, de prendre de nouvelles initiatives.

Pour la première fois depuis des décennies, c'est l'inverse qui s'est produit: un niveau de discorde entre gouvernements sans précédent, l'incapacité à dépasser une vision politique provinciale, la Commission incapable mais jalouse de ses prérogatives. Les leçons devront en être tirées.

Il y a une mauvaise façon d'aborder le sujet, mettre en cause l'égoïsme de l'Allemagne: l'électeur allemand n'a pas tort de considérer qu'il a fait de sérieux efforts pour traiter le problème des retraites à son échelle, il n'a guère de motivation à payer à nouveau pour éviter à son voisin grec les mêmes efforts, dont acte.

Partant de là, et en supposant au moment où cette note est écrite que le problème grec aura trouvé une issue, quelle stratégie mettre en œuvre pour faire face de manière coopérative aux défis qui resteront posés: le contrôle des déficits publics et le retour à des positions de compétitivité soutenables entre pays font peser de sérieux risques sur les perspectives de financement et de croissance de l'Europe.

Pour dégager l'horizon, il faut redonner sens à un mécanisme crédible de prise de décision économique dans l'eurozone. Ce qui n'a pas été possible à chaud, en janvier et février 2010, est-il maintenant envisageable à froid?

Jacques Mistral

Le Cercle des économistes

LIRE EGALEMENT: Croissance ou décroissance? (1).

Image de Une: Soldats de l'armée russe Grigory Dukor / Reuters

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