«2022 a probablement été l'année la plus difficile pour la Hongrie depuis la chute du communisme.» Le 21 décembre, lors de sa rituelle conférence de presse internationale annuelle, Viktor Orbán ouvrait les hostilités par un aveu de gravité sur la situation de son pays. Une rareté dans la bouche du dirigeant magyar, qui a ensuite repris sa partition habituelle en taclant Bruxelles et les sanctions contre la Russie. Les bases de sa stratégie économique chancellent. L'augmentation du salaire minimum (200.000 à 230.000 forints bruts, soit 590 euros) et celle des retraites (15% au 1er janvier) ne compensent pas l'inflation record, qui atteignait 24,5% en décembre chez le champion d'Europe de la hausse des prix.
Mi-juillet 2022, le gouvernement Orbán sacrifiait l'encadrement complet des tarifs du gaz et de l'électricité instauré en 2013, l'une de ses principales martingales électorales. Le 6 décembre, après plusieurs semaines de pénuries et de chaos dans les stations-service, l'exécutif dérégulait le tarif des carburants bloqué depuis plus d'un an. Résultat: les Hongrois remplissent désormais leurs voitures dans les pays voisins comme la Croatie, la Serbie ou la Roumanie. Et ce 25 janvier, le site économique G7.hu révélait que la Hongrie importait bien plus cher le gaz de Moscou que la moyenne des États membres de l'Union européenne.
«Les experts estiment que le gouvernement renforcera sa propagande domestique pour accuser des acteurs étrangers des difficultés économiques intérieures. La première moitié de l'année sera en mode survie: énergie chère, inflation, faibles réserves étrangères, pression sur la monnaie nationale et stagflation laisseront peu de marge de manœuvre à Orbán, pointe la journaliste Edit Inotai. Les investissements d'État sont bloqués et l'actuel taux de chômage bas de 4% devrait augmenter, tandis que la pauvreté, les inégalités et les privations empireront de façon quasi certaine.»
Subventions européennes bloquées
Orbán déploie l'écran de fumée pour dissimuler les turbulences. Dans toute la Hongrie, des affiches gouvernementales clament que les Hongrois adressent un cinglant «97% de non aux sanctions» à la suite de la «consultation nationale» organisée du 14 octobre au 15 janvier. Oui mais voilà: derrière l'autocongratulation ronflante, seuls 1,363 million de Magyars ont répondu au questionnaire, soit à peine 16,6% du corps électoral. Un spot officiel s'adjoignant au matraquage taxe Bruxelles et les sanctions d'avoir favorisé l'inflation, l'explosion des tarifs de l'énergie et des prix des produits alimentaires.
Près de Debrecen, deuxième ville du pays et fief orbániste, une fronde se lève face à l'installation d'une usine de batteries électriques du géant chinois CATL. Les détracteurs du chantier, fustigeant les autorités locales lors de réunions publiques houleuses, dénoncent un projet imposé sans consultation doublé d'un gouffre écologique, car le complexe consommera chaque jour autant d'eau que Debrecen et ses 200.000 habitants. Le giga-projet de CATL suscite un mécontentement comparable à l'accueil futur du premier campus européen de l'université shangaïenne Fudan, envisagé à Budapest d'ici à 2024.
Par ailleurs, le conflit avec Bruxelles perdure. L'UE retient des milliards d'euros de subventions à cause des entorses à l'État de droit et menace, en outre, de priver les universités gérées par des fondations liées au pouvoir des fonds des programmes Erasmus et Horizon. Les remous autour d'Olivér Várhelyi, commissaire européen à l'Élargissement accusé de favoriser les intérêts hongrois au détriment de ceux de l'UE, témoignent de l'affaiblissement de la position d'Orbán à Bruxelles. Ce dernier plaisante sur un «Huxit» devant des journalistes admiratifs, mais sait qu'un tel choix serait un suicide économique et politique.
Les médias «orbánisés» ferment ou dégraissent
Les partenaires régionaux de l'exécutif Fidesz, notamment la Pologne, se sont éloignés d'Orbán à cause de sa position pro-russe sur la guerre en Ukraine. Les ultraconservateurs du PiS, au pouvoir à Varsovie, continuent néanmoins de défendre la Hongrie à Bruxelles. En Tchéquie, la défaite d'Andrej Babis face au «général» Petr Pavel lors du récent scrutin présidentiel prive Budapest d'un soutien à Prague. Mais en Slovaquie, les élections anticipées de cet automne provoquées par la démission du cabinet Heger pourraient signer le come-back des populistes Peter Pellegrini et Robert Fico, chantres de l'orbánisme.
Fragilisés par la baisse des aides, les médias «orbánisés» ferment ou dégraissent tant en Hongrie que dans les pays alentour abritant des minorités magyarophones, séparées de la «mère patrie» après le traité de Trianon de 1920. Comme le relate une enquête du média anglophone Balkan Insight, les éditions imprimées du quotidien conservateur Magyar Hírlap et de l'hebdomadaire économique Figyelő n'existent plus depuis juillet. Les rédactions des quotidiens régionaux DélMagyar et Zalai Hírlap ont été limitées au strict nécessaire. La chaîne PestiTV destinée aux jeunes n'émet depuis l'été dernier.
Le journal Nemzeti Sport, lecture favorite du mordu de football Viktor Orbán, vient d'être sauvé grâce à un renflouement d'État de 7,5 millions d'euros. En Transylvanie roumaine, les quotidiens papier magyarophones ont cessé de paraître ce 1er janvier dans la foulée de la diminution du soutien de Budapest. En Voïvodine (nord de la Serbie), la chaîne PannonRTV, financée à 67% par l'exécutif hongrois, se prépare à une année ardue. En Slovénie, deux investisseurs hongrois ont revendu leurs parts dans le magazine Demokracija et la chaîne NovaTV juste après la chute du dirigeant Janez Janša, allié «illibéral» d'Orbán.
Opposition inaudible et gênante
Reste que malgré la victoire du maire sortant d'opposition lors d'une récente municipale partielle à Jászberény, les adversaires d'Orbán n'ont toujours pas digéré la déroute de 2022. Le Fidesz perd des plumes mais continue d'écraser les sondages face à ses concurrents inaudibles, éparpillés et gênants. Péter Márki-Zay, candidat du front anti-Orbán largement battu l'an dernier, veut monter son écurie libérale de droite. La Coalition démocratique de l'ex-Premier ministre Ferenc Gyurcsány ne propose qu'un shadow cabinet d'alternance. Les socialistes du MSZP avancent déjà leurs pions pour les municipales de 2024. L'actuelle contestation enseignante et lycéenne se distancie des partis politiques.
Pis, des documents publiés sur le site du Parlement hongrois affirment que le mouvement de Péter Márki-Zay, maire de Hodmezővásárhely, aurait perçu quelque 4,5 millions d'euros de l'ONG américaine Action for Democracy, dirigée par un conseiller diplomatique du maire de Budapest. Le rapport étaye la campagne du pouvoir contre la «gauche dollar», soutenue en sous-main par le milliardaire honni George Soros et les États-Unis. Márki-Zay admet le soutien financier de l'ONG, mais affirme qu'il n'a pas enfreint la législation magyare puisque son mouvement n'est pas enregistré comme parti politique.
«Les électeurs n'approuvent pas forcément la gestion orbánienne de crise et ne pensent pas forcément que les affaires du pays vont dans le bon sens, mais cela ne suffit pas à les détacher de leur soutien. [...] Les partis d'opposition, quant à eux, ont encaissé leur échec le plus grave de ces douze dernières années, et les électeurs ne voient pas les signaux progressifs du droit d'inventaire et du réajustement politique promis», estiment les politologues Andrea Szabó et Balázs Böcskei dans une analyse commune. En clair, les anti-Orbán doivent encore sérieusement cravacher pour détrôner «Viktor» malgré ses torts.