Culture

L'épisode 3 de «The Last of Us» est tout simplement miraculeux

Temps de lecture : 5 min

«Long Long Time» prouve toute l'ambition et l'intelligence de la nouvelle série HBO.

Murray Bartlett et Nick Offerman dans l'épisode «Long Long Time» de The Last of Us. | Capture d'écran via Amazon Prime Video
Murray Bartlett et Nick Offerman dans l'épisode «Long Long Time» de The Last of Us. | Capture d'écran via Amazon Prime Video

Attention: cet article comporte des spoilers.

Le mot d'ordre dans la plupart des récits post-apocalyptiques, c'est la survie. Se procurer des armes, apprendre à se battre, s'endurcir pour mieux tuer ses ennemis: la virilité y occupe une place centrale, et si on y trouve parfois des histoires d'amour, elles restent généralement périphériques au récit. Diffusé le 30 janvier sur Amazon Prime Video, l'épisode 3 de la série post-apocalyptique The Last of Us fait le choix de placer l'amour au centre, et la survie à la marge.

La série, adaptée du célèbre jeu vidéo du même nom, est produite par Craig Mazin, créateur de la minisérie Tchernobyl, et Neil Druckmann, développeur et scénariste du jeu. Vingt ans après la propagation d'un virus qui a anéanti la planète et transforme toutes les personnes infectées en zombies sanguinaires, on suit les aventures de Joel, un homme quinquagénaire qui a perdu sa fille, et Ellie, une adolescente qui semble immunisée (incarnés par Pedro Pascal et Bella Ramsey).

Captivante, confectionnée avec talent et très fidèle à l'univers du jeu, la série est déjà un immense succès: elle a réalisé le deuxième meilleur démarrage de la décennie pour la chaîne HBO. Mais c'est son troisième volet, première déviation narrative par rapport au jeu vidéo, qui confirme la qualité et l'ambition de cette œuvre surprenante.

Vingt ans d'histoire en un épisode

Dans les récits de zombies, le destin des personnages peut basculer en une seconde. Quand le moindre pas dans la mauvaise direction peut s'avérer fatal, le temps est un luxe inestimable. «Long Long Time» commence avec ce rappel brutal, alors que Joel raconte à Ellie les événements qui ont mené à l'apocalypse zombie. Un vendredi de 2003, certaines personnes ont mangé de la nourriture infectée et ont commencé à tomber malades. «Lorsque lundi est arrivé, tout avait disparu.»

Après cette ouverture, l'épisode fait un pas de côté et nous ramène vingt ans plus tôt, auprès d'un nouveau personnage nommé Bill. Planqué dans son bunker sous-terrain en attendant que son quartier soit évacué, ce survivaliste armé jusqu'aux dents sait exactement quoi faire. Une fois seul, il fait le tour de la ville, amasse des provisions, allume son générateur électrique, et se crée un havre de paix au milieu de l'apocalypse.

Jusqu'au jour où arrive devant chez lui un certain Frank, seul et affamé. Bill décide à contrecœur de le recueillir le temps d'une douche et d'un repas, mais les deux hommes créent rapidement une connexion, et tombent amoureux. Ils passeront vingt ans ensemble.

Pour cet épisode suspendu dans le temps, la série laisse la place à deux excellents acteurs, connus pour leur talent comique mais tout aussi talentueux dans le registre dramatique: Nick Offerman, célèbre pour avoir incarné Ron Swanson dans Parks and Recreation, et Murray Bartlett, Australien qui brillait dans Looking ou plus récemment la saison 1 de The White Lotus.

Un amour gay loin des clichés

Bill et Frank ne sont pas les premiers personnages LGBT+ à vivre une idylle post-apocalyptique (rien que dans The Walking Dead, nous avions eu droit à Tara et Denise, ou encore Yumiko et Magna). Mais leur histoire dans la série marque une vraie rupture avec celle du jeu vidéo. Dans ce dernier, Bill n'a jamais vraiment réussi à baisser sa garde, et après leur séparation, Frank a fini par se suicider. Dans «Long Long Time», Bill apprend à s'adoucir aux côtés de Frank, et les deux hommes ne se quitteront jamais.

Survolant vingt ans d'amour, l'épisode vient ainsi renforcer une des thématiques centrales de la série: la vulnérabilité masculine. La relation des deux hommes fait écho à celle qui unit les deux personnages principaux de la série. Joel, qui a vu sa fille adolescente mourir sous ses yeux au début de la pandémie, va progressivement s'attendrir au contact de la jeune Ellie. Et Bill, un survivaliste agressif qui ne fait confiance à personne et n'a jamais osé vivre son homosexualité, trouve l'amour pour la première fois de sa vie après le grand effondrement.

Avec cet aparté tendre et lumineux, The Last of Us nous montre une vie post-apocalyptique qui n'est pas que sombre ou terrifiante –une idée déjà explorée dans la récente Station Eleven. L'utilisation d'un morceau de Max Richter évoque aussi la série The Leftovers, la référence lorsqu'il s'agit de parler d'amour post-catastrophe.

Quant à la fin bouleversante de l'épisode, elle rejette intelligemment le cliché «bury your gays». Dans la pop culture, les personnages queer sont souvent marginalisés, et lorsqu'ils existent, leurs destins sont le plus souvent tragiques, marqués par la mort ou la souffrance.

«Long Long Time», titré d'après la chanson que partagent Bill et Frank le jour de leur rencontre, évite ce cliché nocif. Certes, les deux personnages meurent à la fin. Mais il s'agit d'un geste apaisé et romantique, alors qu'ils ont atteint leurs vieux jours. «Je suis vieux. Je suis satisfait. Et mon but, c'était toi», affirme Bill. Dans un monde ravagé par la mort, le fait qu'ils aient survécu ensemble aussi longtemps n'est rien d'autre qu'un miracle.

Comme «San Junipero», l'épisode de Black Mirror sur deux femmes qui se retrouvent après la mort, ou «A Life in the day», le plus bel épisode de la série fantastique The Magicians, «Long Long Time» s'ajoute à la poignée d'œuvres télévisuelles qui laissent leurs personnages queer trouver le bonheur.

Digression narrative

Ce volet de The Last of Us s'inscrit dans une tendance omniprésente dans les séries contemporaines: celle des épisodes «standalone», ou indépendants, qui nous éloignent de l'intrigue centrale pour se focaliser entièrement sur un personnage jusqu'alors secondaire (à ne pas confondre avec les «épisodes bouteille», qui se déroulent dans une unité de lieu et de temps restreinte, permettant à l'équipe de tournage d'économiser de l'argent).

De Ramy à Stranger Things, ces digressions narratives occupent une place de plus en plus importante dans les séries, au risque de se transformer en procédé artificiel (parfois, certaines intrigues feraient mieux de rester secondaires). Si «Long Long Time» fonctionne aussi bien, c'est parce que son histoire s'intègre parfaitement au récit global de The Last of Us. La mort de Bill et Frank n'est pas seulement là pour renforcer les thèmes sous-jacents de la série, ni même pour permettre à Joel et Ellie de trouver une voiture. Elle marque aussi un point de bascule dans leur relation; le moment où cette ado et son père de substitution abandonnent leur posture méfiante, et décident pour de bon de parcourir le pays ensemble.

Faire une telle embardée aussi tôt dans une série était certainement un choix osé. Mais ce choix prouve à ceux qui en douteraient encore que The Last of Us n'est pas une «simple» adaptation de jeu vidéo. Il s'agit d'un objet culturel à part entière, dont la puissance émotionnelle n'a pas fini de nous surprendre.

Retrouvez chaque semaine Peak TV, le podcast séries d'Anaïs Bordages et Marie Telling.

Newsletters

Comment les femmes DJ ukrainiennes se sont hissées au sommet de la scène mondiale

Comment les femmes DJ ukrainiennes se sont hissées au sommet de la scène mondiale

Malgré la guerre, elles font toujours danser la planète.

Pourquoi refuse-t-on à Madonna de vieillir?

Pourquoi refuse-t-on à Madonna de vieillir?

Les jugements liés à l'âge de la reine de la pop sont symptomatiques d'une société qui a moins de mal à voir les hommes vieillir que les femmes.

Du T-Rex à l'irritator, comment on baptise les dinosaures

Du T-Rex à l'irritator, comment on baptise les dinosaures

Avec une quarantaine de nouvelles espèces découvertes chaque année, les paléontologues ont intérêt à faire preuve d'imagination.

Podcasts Grands Formats Séries
Slate Studio