Santé / Sports

Le port du casque n'est pas l'alpha et l'oméga de la sécurité à vélo

Temps de lecture : 18 min

Aujourd'hui, pour se sentir (un peu) en sécurité, les cyclistes ne peuvent faire qu'une chose: essayer de protéger leur crâne des impacts, et croiser les doigts.

Au cours des cinquante dernières années, alors que la conception des casques s'est perfectionnée, le nombre de décès de cyclistes adultes aux États-Unis n'a pas baissé. Au contraire, il a quadruplé. | Mika Baumeister via Unsplash
Au cours des cinquante dernières années, alors que la conception des casques s'est perfectionnée, le nombre de décès de cyclistes adultes aux États-Unis n'a pas baissé. Au contraire, il a quadruplé. | Mika Baumeister via Unsplash

En février 2022, les autorités sanitaires de Seattle, dans l'État américain de Washington, ont décidé de ne plus obliger les cyclistes à porter un casque. En 2020, une étude indépendante révélait déjà que près de la moitié des amendes pour non-respect du port du casque dressées à Seattle durant les années précédentes concernaient des personnes sans domicile, et que les cyclistes noirs et amérindiens avaient respectivement quatre fois et deux fois plus de chances d'être sanctionnés que les personnes blanches.

Girmay Zahilay, membre du conseil du comté de King, expliquait à l'époque que cette abrogation n'était pas motivée par la question de savoir si les gens devaient ou non porter un casque lorsqu'ils circulent à vélo, mais par celle «de savoir si la loi, dont l'application est contrôlée par la police, produi[sait], dans l'ensemble, des résultats compensant ses inconvénients». Et pour les législateurs, la réponse était claire: les avantages étaient inférieurs aux préjudices que cette obligation causait aux résidents marginalisés de Seattle.

Certains militants de la cause cycliste ont fait valoir un deuxième point positif de l'abrogation de cette loi: elle pourrait rendre la pratique du vélo plus sûre. Selon eux, le port obligatoire du casque pourrait rebuter les aspirants cyclistes en présentant la pratique du vélo comme dangereuse, puisqu'elle nécessiterait de revêtir une armure. Ils estiment qu'il risquerait aussi de décourager certaines personnes et de freiner la généralisation de la bicyclette sur la voie publique, laquelle présente des avantages. En effet, plus les cyclistes occupent d'espace sur la route, plus ils deviennent visibles pour les conducteurs; et plus les voitures seront confrontées aux vélos, plus ces derniers seront pris en compte dans les discussions sur la sécurité et les infrastructures routières.

D'autres juridictions ont également rendu le casque facultatif: Tacoma, dans l'État de Washington, en 2020; Dallas (Texas) en 2014, mais uniquement pour les adultes. Ces abrogations s'opposent à l'idée selon laquelle le port du casque serait l'alpha et l'oméga de la sécurité et suggèrent que ces lois pourraient en fait présenter un risque pour les cyclistes. Certains adeptes du deux-roues vont jusqu'à proclamer haut et fort qu'ils ne portent pas le casque par principe.

Est-ce que mon casque me protège vraiment des accidents?

Je me suis déplacée à vélo dans toutes les villes où j'ai vécu adulte, à savoir Minneapolis (Minnesota), Milwaukee (Wisconsin), Chicago (Illinois), Columbus (Ohio) et New York. Je circule en deux-roues pour faire de l'exercice et être à l'air libre, pour des raisons environnementales et pour jouir d'une mobilité indépendante et efficace.

Cependant, je me sens toujours exposée à des risques, et ce pour de bonnes raisons. Je me suis fait renverser à Times Square; je suis obligée de slalomer sur les bandes cyclables pour éviter les véhicules qui y stationnent et s'y attardent en permanence; je retiens mon souffle lorsque les flancs métalliques d'un camion passent à quelques centimètres de ma chair tremblante.

Je fais ce que je peux pour me protéger. J'utilise des feux avant et arrière; j'opte pour les routes dotées de bandes cyclables; je tends mes bras pour indiquer que je vais tourner, et fais tinter la sonnette de mon guidon pour attirer l'attention des conducteurs inattentifs; et je ne pars jamais, jamais, sans mon casque jaune fluo. Mais comme de nombreux cyclistes et législateurs, je suis de plus en plus amenée à me demander si ce dernier m'aide vraiment et si nous n'avons pas tort de lui vouer une confiance absolue.

Au cours des cinquante dernières années, alors que la conception des casques s'est perfectionnée, le nombre de décès de cyclistes adultes aux États-Unis n'a pas baissé. Au contraire, il a quadruplé. En m'intéressant de plus près à l'histoire de ces humbles coques de mousse et de plastique, j'ai appris que la relation entre casques et sécurité à vélo est beaucoup plus ambigüe qu'on ne semble le croire en général.

Une auto-destruction qui peut sauver des vies

En 1883, la League of American Wheelmen (en français la «Ligue des cyclistes américains») a défilé à Manhattan pour célébrer le troisième anniversaire du groupe. À l'époque, la roue avant surdimensionnée du grand bi permettait de meilleures performances que son prédécesseur, le vélocipède, mais présentait aussi le risque de chutes plus hautes.

La roue avant surdimensionnée du grand bi étaient à la source d'un grand nombre de chutes à l'avant, y compris lors de la première marche de la League of American Wheelmen. | Domaine public via Wikimedia Commons

Les culbutes en avant étaient monnaie courante. Le nombre de cyclistes à avoir piqué une tête lors de leur manifestation sur la Cinquième Avenue a ainsi été assez important pour attirer l'attention du New York Times: «Vingt bicyclettes ont été cassées, mais les cyclistes ont juste été bien secoués», notait ainsi le journal à l'époque.

À mesure que la production de masse faisait baisser son prix, rendant le vélo plus populaire, protéger la tête des usagers est devenu incontournable. Les cyclistes ont d'abord opté pour un modèle en matières végétales, ressemblant au casque colonial, et qui se brisait à l'impact. Il a ensuite été remplacé par un casque en cuir rembourré de laine ou de coton (l'équivalent du casque à boudins en France). Celui-ci se bornait à protéger les oreilles et le visage du cycliste «pour éviter qu'ils ne balaient le sol en cas de chute», comme l'explique le site d'évaluation de produits Gearist.

Ce n'est qu'en 1975 que le premier casque de vélo moderne, le casque Bell, est apparu, avec une doublure en polystyrène expansé et une coque en plastique rigide. Contrairement à ses prédécesseurs, il avait été conçu pour amortir les impacts de collision, absorbant les chocs à la place de la tête. Il pouvait donc sauver la vie en cas de chute lente –par exemple si un motard heurtait un nid-de-poule et perdait le contrôle. «Ils protègent votre tête principalement en s'auto-détruisant», explique David Halstead, ingénieur en biomécanique à l'université du Tennessee et fondateur du Southern Impact Research Center, une société privée. «Je ne roulerais jamais sans.»

Une conception qui évolue, et des normes imposées

En 1972, environ 60 millions de vélos étaient en circulation en 1972: on assistait à un véritable boom de la bicyclette. Une tendance favorisée par la prise de conscience des enjeux environnementaux, une crise énergétique nationale et la popularité croissante de l'activité physique, rappelle un article retraçant l'histoire de l'obligation du port du casque, publié en août 2020 par l'American Journal of Public Health.

Même si le casque n'est pas encore le principal emblème de la sécurité à vélo, sa conception évolue. Il devient plus léger, grâce au polyéthylène téréphtalate (ou PET, également présent dans les bouteilles de soda ou les barquettes en plastique) et à d'autres plastiques nouveaux, fins mais résistants. Des sangles en nylon et des boucles en plastique permettent quant à elles de maintenir le tout en place.

«L'énergie doit aller quelque part:
ce sera votre tête ou votre casque.»
Steve Rowson, ingénieur en biomécanique

Peu de temps après, en raison de l'inquiétude suscitée par les traumatismes crâniens chez les enfants pratiquant le vélo, les juridictions du pays ont commencé à appliquer les premières lois sur le port obligatoire du casque pour les mineurs. Dans les années 1980, les partisans du cyclisme, les médias et la littérature médicale l'ont également encouragé.

«Je suis en vie aujourd'hui parce que je portais un casque», déclarait ainsi au New York Times, en 1986, le coordinateur des cyclistes de l'État de New York, en évoquant sa collision avec un taxi quelques années auparavant. En 1999, la Commission américaine de surveillance des produits de consommation votait à l'unanimité en faveur de la création de normes de sécurité fédérales obligatoires pour les casques de vélo.

Ces normes exigent des fabricants qu'ils évaluent les performances de leurs produits en faisant tomber une tête de mannequin en magnésium, chapeautée d'un casque, d'une hauteur d'environ 2 mètres sur diverses enclumes en acier. Des accéléromètres et des gyroscopes placés à l'intérieur du mannequin mesurent l'énergie cinétique de l'impact. Le test dure moins de deux secondes au total; l'impact lui-même se produit en un tiers du temps qu'il faut pour cligner des yeux.

Ce test, bien que rudimentaire, rend compte en partie des dangers encourus par une tête non protégée, qui peut subir une fracture crânienne ou intracrânienne potentiellement mortelle après une chute d'une hauteur de seulement 45 centimètres. «L'énergie doit aller quelque part: ce sera votre tête ou votre casque», commente Steve Rowson, ingénieur en biomécanique et directeur du Helmet Lab de Virginia Tech, un laboratoire travaillant à réduire le risque de blessure –en particulier de commotion cérébrale– dans tous les domaines, du sport aux contextes militaires.

Des tests qui ne reflètent pas les conditions réelles

Toutefois, ces essais en laboratoire mimant une chute libre verticale ne reflètent pas la façon dont la plupart des gens se frappent la tête à vélo. Certes, étudier les accidents du «monde réel» dans un dispositif artificiel est en soi un défi scientifique. On ne peut pas prévoir une chute de vélo comme on le fait pour les collisions lors d'un match de football américain, par exemple: il y a plus de variables sur la route que sur un terrain de jeu.

Pour contourner ce problème, le laboratoire de Steve Rowson procède à une rétro-ingénierie de la dynamique, en se procurant des casques provenant d'accidents réels. Il procède ensuite à un CT scan pour créer des modèles 3D des dommages, et reproduit les conditions de la chute telles que la vitesse, l'angle d'impact et les conditions de surface, en couvrant l'enclume du test avec du papier de verre adhésif et d'autres matériaux, afin d'imiter l'asphalte ou le gravier.

Les tests en laboratoire ne permettent pas non plus de restituer l'expérience subie par un corps entier et en mouvement, ce qui, selon certains experts, aboutit à une sous-estimation des forces d'impact. Dans la réalité, il est rare qu'une personne tombe directement sur le sommet du crâne. Il est en revanche beaucoup plus courant de frapper le sol selon un angle compris entre 30 et 60 degrés.

De plus, les expériences standard ne tiennent pas compte des forces de rotation en jeu lorsqu'un cycliste chute non seulement vers le bas, mais aussi vers l'avant. Or, on sait depuis longtemps que ces forces peuvent occasionner des lésions cérébrales traumatiques invalidantes ou potentiellement mortelles.

Pour ce qui est des commotions cérébrales liées au sport, «le cyclisme arrive habituellement en tête de liste», souligne par ailleurs Steve Rowson. Ces dernières années, les fabricants ont donc mis au point de nouvelles technologies dites «anticommotion» pour réduire l'impact des forces de rotation sur la tête. Mais les experts sont divisés concernant l'efficacité de cette protection supplémentaire.

Les cyclistes, présents sur les routes mais absents des statistiques

Hors du laboratoire, les chercheurs s'efforcent d'étudier la protection conférée par les casques au sein de la population. «Les données relatives aux accidents de vélos sont très limitées», commente cependant Elise Omaki, épidémiologiste au Centre Johns Hopkins pour la recherche sur les blessures. Elles sont aussi souvent incomplètes, ou biaisées.

La plupart d'entre elles proviennent de systèmes de surveillance dédiés à la sécurité routière qui, de manière aléatoire, enregistrent les blessures et les décès liés aux véhicules motorisés. Or, les dossiers médicaux des victimes d'accidents de vélo se concentrent sur le diagnostic, le traitement et ses résultats, omettant généralement le détail des circonstances de la chute. Ils ne tiennent pas non plus compte des personnes qui roulent à vélo sans jamais avoir besoin d'assistance médicale.

S'ils sont très efficaces lors d'un accident impliquant seulement un vélo, les casques offrent «une protection limitée lorsqu'un cycliste est renversé par un véhicule motorisé». | Leonardo Zorzi via Unsplash

Les demande d'indemnités auprès des assurances et les rapports de police répertorient certains accidents de vélo, mais en omettent beaucoup: une étude réalisée par le service de santé publique de San Francisco, publiée en 2019, révélait ainsi que 39% des cyclistes ayant dû être transportés en ambulance n'étaient pas répertoriés dans les fichiers de la police. Les États-Unis ne sont même pas en mesure d'évaluer avec précision le respect du port du casque à vélo.

Et la prudence, dans tout ça?

En l'absence de telles données, plusieurs méta-analyses ont regroupé les travaux existants pour évaluer l'effet protecteur des casques. L'une d'entre elles, qui regroupe 55 études réalisées entre 1989 et 2017, estime que le port du casque réduit de 60% les blessures graves à la tête, d'environ 50% les blessures crâniennes légères et les traumatismes cérébraux, et de 34% le nombre total de cyclistes gravement blessés ou tués. Mais l'autrice, Alena Høye, chercheuse dans le domaine de la sécurité routière à l'Institut norvégien de recherche sur les transports, émet quelques réserves importantes.

Tout d'abord, la scientifique souligne que les casques offrent une meilleure protection dans les accidents n'impliquant qu'un vélo, et «une protection limitée contre les blessures graves à la tête lors d'impacts à haute énergie ou lorsqu'un cycliste est renversé par un véhicule motorisé». Elle note également que de nombreux travaux indiquant que les porteurs de casque sont moins susceptibles de subir un traumatisme crânien ne tiennent pas compte du simple fait qu'ils pourraient être plus prudents. (L'inverse est également vrai: les cyclistes non casqués sont plus souvent sous l'emprise de l'alcool ou roulent tous feux éteints dans l'obscurité, et sont plus susceptibles d'avoir un accident n'impliquant qu'un vélo.)

Ian Walker a découvert
que les automobilistes et les conducteurs de camions commerciaux accordaient moins d'espace (et non davantage) aux cyclistes casqués.

Les chercheurs qui ont étudié les lois sur le port obligatoire du casque ont tiré des conclusions mitigées: certains pointent une réduction du nombre de traumatismes crâniens, quand d'autres suggèrent que ces tendances s'expliquent davantage par l'amélioration des infrastructures cyclistes, ainsi que par les campagnes de sensibilisation à la sécurité qui incluent la fourniture de casques ou l'enseignement de techniques préventives.

Dans les années 2010, Ian Walker, psychologue environnementaliste à l'université de Swansea, au Royaume-Uni, a entrepris d'étudier l'effet des casques sur les conducteurs. Sa série expérimentale consistait à rouler dans diverses tenues de cycliste: en endossant une «longue perruque féminine» destinée à le faire passer pour une femme; une tenue stéréotypée en élasthanne; et un gilet portant l'inscription «Cycliste novice». Dans chacune de ces tenues, il a mesuré l'espace que les voitures laissaient à chaque type de cycliste.

Ian Walker –qui a été heurté aussi bien par des bus que par des camions au cours de ses recherches–, affirme que les véhicules passaient beaucoup plus près lorsqu'il roulait loin du bord de la route, et qu'ils laissaient plus d'espace aux cyclistes perçus comme «féminins». Le psychologue a également découvert que les automobilistes et les conducteurs de camions commerciaux accordaient moins d'espace (et non davantage) aux cyclistes casqués. Dans sa deuxième expérience, la seule tenue qui a permis d'augmenter la distance moyenne était un gilet sur lequel figurait en évidence le mot «Police», et qui avertissait que le cycliste enregistrait son trajet en vidéo.

Protéger sa tête des chocs: c'est bien, mais pas suffisant

Nous savons que les casques ne constituent pas une protection suffisante contre la menace la plus dangereuse à laquelle sont confrontés les cyclistes sur la route. «Considérer le casque comme une solution dénote un manque de clairvoyance», insiste notamment Alison Dewey, directrice du département «éducation» de la League of American Bicyclists. «Parmi les mesures qui renforcent votre sécurité, il arrive au mieux en troisième place.»

Les personnes circulant à vélo sont, d'une part, statistiquement plus susceptibles de mourir dans les zones urbaines si l'alcool est impliqué et s'ils sont de sexe masculin. D'autre part, en 2020, les deux-tiers des décès de cyclistes américains (au nombre de 938 cette année-là, soit près de 100 de plus qu'en 2019) sont survenus au cours d'accidents de la circulation impliquant des véhicules motorisés, selon les données du National Center for Health Statistics. Dans cinq accidents sur six impliquant un véhicule, la voiture, le camion ou le bus a d'abord heurté le cycliste par derrière, le conducteur l'ayant probablement repéré trop tard.

«La morale de l'histoire, c'est que vous êtes exposé au danger que représentent les voitures. Vous sortez de chez vous et c'est à vous de faire attention. C'est votre boulot de vous protéger. »
Robert Davis, président du Road Danger Reduction Forum

En 2006, lorsque le cycliste Eric Ng est mort, renversé à Manhattan par un conducteur ivre roulant à 100 km/h dans sa BMW de 1.500 kg, le New York Times a souligné le fait qu'il ne portait pas de casque. Or, «mentionner le fait qu'Eric porte ou non un casque revient à reprocher à un œuf de se briser contre la paroi d'une casserole», écrit à ce propos Jessie Singer, journaliste et amie de Ng, dans le livre There Are No Accidents, publié en 2022. Depuis longtemps, comme elle, les défenseurs du vélo affirment que pointer du doigt le non-port du casque revient à rejeter injustement la responsabilité sur les personnes les plus vulnérables sur la route, au lieu de cibler les risques à leur source.

«La morale de l'histoire, c'est que vous êtes exposé au danger que représentent les véhicules automobiles», déclare Robert Davis, président du Road Danger Reduction Forum, un groupe de défense des cyclistes basé au Royaume-Uni. «Vous sortez de chez vous et c'est à vous de faire attention. C'est votre boulot de vous protéger.»

Aux Pays-Bas, le vélo est roi

D'un point de vue plus global, le casque n'est tout simplement pas la panacée que nous espérions. Plusieurs analyses suggèrent notamment que les cyclistes américains sont plus susceptibles de porter un casque que ceux d'autres pays, tout en affichant le taux de mortalité le plus élevé par distance parcourue.

Parallèlement, les recherches montrent également que, parmi un groupe de quatorze pays, les Pays-Bas affichent le plus faible taux par kilomètre parcouru. Or, les Néerlandais se passent très largement du casque: 73% des adultes et 84% des enfants néerlandais déclarent ne jamais le porter. Et il y a une raison simple à cela. Les enquêtes prouvent que les Néerlandais se sentent en sécurité sur leur bicyclette, et qu'ils attribuent ce sentiment à une culture du vélo solidement ancrée dans le pays et à un réseau de pistes cyclables mis en place il y a longtemps.

«Ils ont créé des conditions de sécurité telles que les gens ne ressentent pas le besoin de porter un casque», insiste Robert Davis. «Ils considèrent le cyclisme comme une activité normale», et non comme intrinsèquement dangereuse. Ce paradoxe du casque néerlandais montre à quel niveau –culturel et infrastructurel– il faut résoudre les problèmes si l'on veut sécuriser les routes. Difficile à faire avaler dans des États où l'on privilégie le confort des automobilistes. «Nos routes et nos systèmes ont vraiment été conçus pour les voitures», souligne Elise Omaki. Robert Davis opine de son côté de l'Atlantique: «Nous conservons l'idée que les routes sont faites pour les voitures.»

Mais faire reposer la responsabilité en matière de sécurité sur les seules épaules des individus est une garantie d'échec, estime Kathleen Bachynski, chercheuse spécialisée dans les questions de santé publique et enseignante au Muhlenberg College, à Allentown (Pennsylvanie). «C'est une charge énorme», ajoute celle qui a étudié les casques et les blessures liées au sport.

Demander aux gens d'acheter des casques, des feux et des équipements réfléchissants sans investir dans une meilleure culture du transport, c'est ignorer que le véritable danger pour les cyclistes vient de derrière le volant, pas le guidon. «On parle des casques de vélo parce que cela nous permet d'incriminer les décisions individuelles», affirme Alison Bateman-House, éthicienne et historienne de la médecine à l'université de New York, qui a étudié les lois sur le port du casque.

«Les automobilistes oublient qu'ils ont affaire à des personnes»

En 2019, le Conseil américain de la sécurité des transports a publié un rapport analysant la sécurité des cyclistes –ce qu'il n'avait pas fait depuis quarante-sept ans. Ce dernier ciblait de nombreuses recommandations visant à modifier le comportement des conducteurs et l'infrastructure routière.

Il suggérait notamment de réduire la vitesse de circulation, s'appuyant pour cela sur des données qui montrent que les accidents impliquant des cyclistes dans des zones limitées à 80 km/h ou plus sont cinq fois plus susceptibles d'entraîner des blessures graves ou mortelles que dans des zones limitées à 40 km/h ou moins. Le Conseil formulait également le souhait que les normes fédérales relatives aux véhicules motorisés exigent l'évaluation des phares dans des conditions réelles, et invité l'industrie automobile à modifier les systèmes anticollision pour détecter les vélos.

Il encourageait enfin les municipalités à investir dans des grilles de caniveau et des plaques d'égout compatibles avec les vélos, ainsi qu'à réaménager les voies de circulation pour créer des pistes cyclables, à augmenter l'espace réservé aux piétons ou à ajouter des places de stationnement.

L'augmentation des déplacements à vélo –stimulée par les systèmes de vélos en libre-service et l'adoption croissante de tricycles, de vélos couchés, de tandems et de vélos pliables– pourrait également transformer notre culture centrée sur la voiture en une culture plus sûre pour tous les usagers de la route, note Alison Dewey. «De nombreux automobilistes ont tendance à oublier qu'ils ont affaire à des personnes, souligne-t-elle. Plus nous pourrons ouvrir cet espace et y faire entrer de gens, plus les automobilistes seront, selon moi, susceptibles de faire preuve d'empathie.»

Ne négligez pas le port du casque pour autant!

Face aux dangers qui menacent les cyclistes, porter un casque revient à se défendre avec un couteau dans une fusillade. Le modèle de véhicule le plus vendu aux États-Unis, le Ford F-Series, pèse jusqu'à 3.400 kg. Son capot mesure 2,3 m de haut –il m'arrive à hauteur du menton. La peur que je ressens en faisant du vélo en ville n'est pas une peur du vélo, c'est une peur des voitures.

Seule une modification globale des infrastructures sera à même de sécuriser le quotidien des cyclistes. Les casques ne suffisent pas. Un porte-parole du fabricant de casques Giro regrettait ainsi, interrogé par Cycling Industry News, un magazine de cyclisme, en 2020: «Il y a beaucoup de malentendus sur les casques, malheureusement. […] Nous ne concevons pas les casques spécifiquement pour réduire les risques ou la gravité des blessures lors d'impacts impliquant une voiture».

Le casque ne vous sauvera peut-être pas lors d'un accident de voiture, mais en cas de chute lente, «il peut vous sauver la vie», affirme Steve Rowson, qui dirige le Helmet Lab.

Quoi qu'il en soit, les experts auxquels j'ai parlé sont unanimes: il ne faut pas négliger le casque pour autant. Tous incitent à le porter. «Chaque fois que je vois quelqu'un rouler à vélo dans New York sans casque, ça me rend malade», confie même Alison Bateman-House. (Je partage sa réaction.) Le casque ne vous sauvera peut-être pas dans un accident de voiture, mais en cas de chute lente, «il peut vous sauver la vie», affirme de son côté Steve Rowson, qui dirige le Helmet Lab.

Pendant la pandémie de Covid-19, les experts en santé publique ont popularisé le modèle de réduction des risques dit «de l'emmental»: la notion selon laquelle des mesures de protection imparfaites conjuguées peuvent offrir plus de sécurité qu'une seule couche.

Ian M MacKay via Wikimedia Commons

Pour les maladies infectieuses, il s'agit idéalement de combiner des mesures individuelles, telles que le port du masque et le lavage des mains, avec des politiques d'envergure telles que les arrêts maladie payés, la généralisation du travail à distance et l'accès universel aux tests, aux traitements et aux vaccins. Pour la sécurité à vélo, il s'agirait de combiner des comportements personnels, comme le port du casque et l'utilisation de feux, et des infrastructures, comme des pistes cyclables et des limitations de vitesse réduites.

Pendant la pandémie, une grande partie des États-Unis a fait preuve de résistance face à ce type de changement social et structurel profond, qui aurait sauvé des vies mais également nécessité de l'argent, des sacrifices et un consensus. «Nous avons choisi de ne pas le faire», souffle Alison Bateman-House. Pour l'instant, nous abordons la sécurité à vélo avec la même attitude. Ceux qui aimeraient rouler plus sereinement n'ont plus qu'à enfiler leur casque et à croiser les doigts.

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