Les débats autour du projet de réforme des retraites, visant à reporter l'âge légal de départ de la vie active de 62 à 64 ans, doivent commencer le 30 janvier à l'Assemblée nationale, sous la pression d'une majorité ne cessant de rappeler la nécessité absolue de le voter. Selon les élus soutenant le gouvernement, il en irait directement de la survie du modèle de financement par répartition, en déséquilibre structurel.
À la lecture du rapport du Conseil d'orientation des retraites (COR), on peut effectivement aller dans ce sens. Dans l'ensemble des scénarios établis, le déficit serait de 0,5 à 0,8 point de PIB d'ici à 2032. Pour autant, d'après les mots de Pierre-Louis Bras, le président du COR, il n'y aurait pas de quoi s'inquiéter.
«Les dépenses de retraites sont globalement stabilisées et même, à très long terme, elles diminuent dans trois hypothèses sur quatre. Dans l'hypothèse la plus défavorable, elles augmentent, sans augmenter de manière très importante […]. Donc les dépenses de retraites ne dérapent pas, elles sont relativement maîtrisées», a-t-il ainsi affirmé lors d'une audition devant la commission des finances de l'Assemblée nationale, le 19 janvier.
Ne pas réformer serait procrastiner
Cela serait dû aux premiers effets budgétaires des réformes précédentes du régime des retraites, dont la réforme Touraine votée en 2014, ainsi qu'aux gains en productivité attendus dans les prochaines années. Mais alors pourquoi vouloir à tout prix réformer? Bien qu'il ne soutienne pas le projet du gouvernement d'Élisabeth Borne, l'économiste Vincent Touzé admet qu'un changement est nécessaire afin d'éviter tout risque paramétrique et générationnel.
Le chercheur de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) considère en effet que les estimations sur un temps long sont risquées et qu'il est dangereux d'établir des plans de rattrapage et de rééquilibrage dans un futur lointain (ici entre 2032 et 2070) à partir de paramètres fixés aujourd'hui.
De plus, un conflit générationnel pourrait se produire du fait d'une «procrastination». Ne rien faire maintenant, ce serait ainsi espérer que des changements soient faits demain, par les générations suivantes, mais sous pression, sans anticipation ni construction.
«La procrastination a nécessairement un prisme générationnel puisqu'il appartient alors aux générations suivantes de réformer, cette fois-ci dans l'urgence, et de subir intégralement le poids de la réforme. L'anticipation précoce des problèmes de financement et la mise en place progressive de mesures correctrices peut œuvrer en faveur d'un meilleur partage générationnel», écrivait-il le 18 janvier dernier dans un article de blog.
Une hausse des cotisations retraites, voilà la solution?
Néanmoins, il n'existe pas qu'un seul moyen d'action. Le paramètre «âge légal de départ à la retraite» n'est qu'une variable parmi d'autres pour rétablir l'équilibre du régime. Vincent Touzé en cite notamment deux autres: l'augmentation du taux de cotisation et la réaffectation des impôts ou des dépenses fiscales «dont l'efficacité est sujette à débat». Sur le premier point, il est rejoint par Michaël Zemmour, économiste de l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et opposant déclaré à la réforme des retraites.
D'après les calculs de ce dernier, il suffirait, pour rétablir un équilibre dès 2027, d'augmenter de 0,8 point de pourcentage les taux de cotisations sociales, soit 336 euros par an de prélèvements obligatoires supplémentaires sur un salaire annuel moyen de 32.172 euros, 168 euros par an (14 euros par mois) sur un salaire minimum. Selon l'économiste, ces hausses assureraient l'équilibre et la pérennité du modèle, et pourraient même être supprimées dès 2040, «à condition que l'État maintienne son niveau actuel d'engagement dans le système», précisait-il dans un post de blog le 27 octobre dernier.
Le président du Mouvement démocrate (MoDem), François Bayrou, pourtant soutien et allié d'Emmanuel Macron, adhère en partie à cette solution puisqu'il appelle à augmenter le montant des cotisations patronales retraites, les faisant passer de 16,5% à 17,5% du salaire brut. «Pour résoudre un déséquilibre aussi grave, peut-être serait-il nécessaire que tout le monde fasse un pas.»
Des milliards qui ne sont pas si difficiles à trouver
Concernant la seconde proposition –«la réaffectation des impôts ou des dépenses fiscales dont l'efficacité est sujette à débat»–, Vincent Touzé fait référence à plusieurs mesures considérées comme coûteuses et peu efficaces: le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), le crédit d'impôt recherche (CIR) et certaines exonérations de charges.
Le CICE, voté et mis en place en 2013, est un avantage fiscal accordé aux entreprises créatrices d'emplois qui a été transformé, en 2019, en un allègement des cotisations sociales pérenne de 6% des rémunérations versées. Or, selon un rapport commandé par l'Assemblée nationale dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2019, cette mesure fiscale coûterait entre 10 et 40 milliards d'euros par an, pour un effet modéré: 100.000 emplois créés et sauvegardés.
Idem concernant le crédit d'impôt recherche, budgété à 5 milliards d'euros par an. Cette réduction fiscale vise à soutenir la recherche et le développement des entreprises innovantes. Mais selon un rapport de l'OFCE paru en 2017, son coût est bien plus important que les effets générés sur l'emploi et l'activité économique. Par exemple, selon leur calcul économétrique, les chercheurs estiment qu'un soutien de 10% de l'innovation ne provoquerait qu'un rebond de croissance de 0,7% –un effet positif, certes, mais relativement faible.
Pour résumer, alors que le gouvernement chercherait à réaliser au moins 10 milliards d'euros d'économie en réformant le système des retraites, certains économistes lui rappellent qu'il pourrait tout simplement supprimer des mesures jugées coûteuses et inutiles, voire inefficaces.