Société

Que revienne le temps des lettres d'amour

Temps de lecture : 3 min

[BLOG You Will Never Hate Alone] Entre chatbot, émojis et applications de rencontres, il faut se rendre à l'évidence: l'époque n'est plus au romantisme.

On guettait leur arrivée transi de peur. | Edward Howell via Unsplash
On guettait leur arrivée transi de peur. | Edward Howell via Unsplash

Parfois –parfois seulement– je plains la nouvelle génération. Avec l'avènement de l'intelligence artificielle, de ces troublants chatbots, de ces applications de rencontres, toute cette robotisation de l'âme, je me demande s'il existe encore de la place pour des sentiments vrais. Tout désormais va si vite, l'information, la communication, l'échange, qu'on en oublie la qualité essentielle aux communications amoureuses, l'attente, ce laps de temps où jadis entre l'envoi d'une lettre et son éventuelle réponse, l'imagination avait tout loisir pour remplir le manque et anticiper le plaisir à venir.

Aujourd'hui nous consommons l'amour comme n'importe quelle autre marchandise. On prend, on jette, on recommence. En deux, trois messages, le lien est établi, la rencontre programmée, et dans l'heure, l'intérêt satisfait. Plus de mystères, plus d'interrogations infinies, plus de tourments, la relation exige un circuit court, un condensé d'attentes où c'est en minutes qu'on compte le temps entre le premier message et le premier rendez-vous et si jamais un imprévu survient, qu'importe, d'un simple passage sur une application de rencontres, on aura tôt fait de trouver un suppléant.

Il en allait différemment de mon temps. Pour les grands timides comme moi, pour ceux incapables d'aborder une jeune fille sans mourir sous le poids de son bégaiement, il fallait passer par l'épreuve redoutable de la lettre, du courrier, de ces mots couchés sur le papier où entre mille circonvolutions, l'on disait son envie d'approfondir une relation qui jusqu'alors appartenait au domaine des chimères. Il fallait se lancer, se décrire, se dévoiler et dans un post-scriptum écrit d'une main tremblante, demander si jamais on pouvait convenir d'un rendez-vous.

Et puis la lettre une fois postée, commençait le supplice de ces jours où on devait s'armer de patience et prier tous les dieux de l'univers pour qu'elle arrive à bon port. On imaginait sa réaction quand elle finirait par la recevoir. Serait-elle surprise, ravie, décontenancée ou simplement agacée, si peu encline à partager vos sentiments, qu'aussitôt lue votre lettre échouerait directement dans sa corbeille à papier? Mais non, ce n'était pas possible. Forcément, elle prendrait le soin de répondre. Il y avait déjà eu des regards, peut-être même quelques paroles échangées, on ne rêvait pas, vous la troubliez, c'était certain; d'ici à demain, au plus tard, après-demain, sa lettre vous parviendrait.

Le facteur devenait alors le personnage le plus important de la terre. On guettait sa venue avec la fébrilité d'un mourant inquiet de ne pas recevoir l'extrême-onction à temps. Même si on connaissait par cœur l'heure de sa tournée, comme si on voulait précipiter son arrivée, mille fois on ouvrait sa fenêtre pour tâcher de reconnaître sa silhouette parmi la foule qui passait. Enfin, au bout d'un temps infini, il apparaissait au bout de la rue. Dans l'escalier, le cœur agité comme jamais, on attendait l'ouverture de la porte d'entrée, le bruit de sa sacoche qui s'ouvrait, les lettres qui une à une tombaient dans leur boîte réservée –celle tant espérée en faisait-elle seulement partie? Cela durait une éternité et quand enfin le facteur s'en allait, on se précipitait pour voir si dans la liasse des factures et autres publicités, la lettre, sa lettre à elle, surnageait.

Rien!

Trois fois, on vérifiait. Rien. Le cœur lourd, on remontait vers ses pénates. Elle n'avait pas daigné répondre. Pire, désormais elle vous haïssait. La prochaine fois que vous la croiseriez, dans les couloirs de l'université ou chez des amis communs, elle vous giflerait ou, plus grave encore, détournerait le regard. Les heures passaient, l'espoir revenait. Votre lettre avait dû arriver mardi, on était seulement vendredi, elle n'avait pas forcément répondu sur-le-champ. Rien ne l'y obligeait, après tout. Elle avait pu laisser passer une journée et c'est seulement jeudi que sa lettre était partie. Elle arriverait donc demain, oui c'est ça, demain, c'est demain que vous la recevriez…

Et ainsi de jour en jour, parfois de semaine en semaine, dans une attente qui vous consumait le cœur. Jusqu'au moment où:

Puis l'adorée, un soir, a daigné vous écrire…!
Ce soir-là, vous rentrez aux cafés éclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade…
On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.

Bon, je dois avouer que j'ai dû écrire plus de lettres que je n'ai reçu de réponses. Ou bien alors c'était pour me demander de ne plus jamais recommencer. Peut-être que dans ces années-là, nous espérions l'amour plus que nous le vivions. L'imagination avait encore toute sa place. Les films porno ne couraient pas les rues, l'amour avait des mystères qui se dévoilaient seulement dans des magazines de charme achetés augustement par le bon père de famille. Tout le reste, les étreintes comme les caresses, la luxure bestiale de l'accouplement, c'est à son esprit qu'il revenait de le créer.

Sûr que de nos jours, avec le pragmatisme de l'époque, l'immédiateté des temps modernes, j'aurais plus «consommé». Encore que. Doué comme je suis, entre chatbots et émojis, j'aurais parfaitement été capable de collectionner des râteaux virtuels, un cimetière entier d'illusions perdues.

Pourtant, je ne regrette rien.

C'est que par la magie de la correspondance et de sa latence inhérente, grâce au travail de l'imagination, j'ai été amoureux toute ma jeunesse!

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