Égalités / Culture

Tous ces films réalisés par des femmes que les César ont oubliés

Temps de lecture : 4 min

Une seule cinéaste dans la catégorie «meilleur film», aucune pour la meilleure réalisation: une fois encore, les récompenses du cinéma français s'apprêtent à laisser les femmes de côté.

Alice Diop présente Saint Omer au Festival de Venise, le 7 septembre 2022. Trois jours plus tard, elle recevra un Lion d'argent pour ce film. | Andreas Solaro / AFP
Alice Diop présente Saint Omer au Festival de Venise, le 7 septembre 2022. Trois jours plus tard, elle recevra un Lion d'argent pour ce film. | Andreas Solaro / AFP

Un pas en avant, trois pas en arrière? L'an dernier, dans la catégorie «meilleure réalisation» des César, parmi les sept nominations on trouvait trois femmes (Audrey Diwan pour L'Événement, Julia Ducournau pour Titane, Valérie Lemercier pour Aline). Même score, à savoir trois sur sept, du côté du meilleur film, avec Audrey Diwan, Valérie Lemercier, et Catherine Corsini pour La Fracture.

C'était décidément une année incroyable pour les cinéastes françaises: après le Lion d'or de L'Événement et la Palme d'or de Titane, les César semblaient enfin décidés à les accueillir par la grande porte. Pendant un court instant, on a cru que c'était réglé, et que désormais, le monde du cinéma français saurait juger les réalisatrices de talent à leur juste valeur. Et puis les nominations 2023 sont arrivées, et il a fallu se rendre à l'évidence: le cru 2022, avec sa quasi-parité dans les catégories les plus en vue, n'était sans doute qu'une exception.

En 2023, les César sont rentrés dans le rang, et pas qu'un peu: aucune femme parmi les cinq personnes nommées pour la meilleure réalisation, et une seule dans la catégorie «meilleur film»: Valeria Bruni Tedeschi, dont les Amandiers n'a pas fait couler de l'encre que pour ses –indéniables– qualités cinématographiques. Aucune femme non plus du côté des meilleurs films étrangers.

Seconde zone

C'est certes un peu mieux dans la catégorie documentaire, où la présence de Charlotte Gainsbourg (Jane par Charlotte) et Annie Ernaux (Les Années Super-8) ravit –même si la présence de réalisatrices moins visibles dans les médias aurait également été appréciée. Et, incroyable mais vrai, les femmes sont même majoritaires dans les nominations pour le César du premier film, puisque Charlotte Le Bon (Falcon Lake), Lise Akoka et Romane Gueret (Les Pires) et Alice Diop (Saint Omer) y figurent. Mais faudra-t-il longtemps se contenter de satisfactions aussi dérisoires?

Justement, des films comme Saint Omer et Les Pires auraient mérité mille fois de figurer bien plus haut dans ces nominations. Le film d'Alice Diop, sorti le 23 novembre dernier dans les salles françaises, a notamment été récompensé par un superbe Lion d'argent à la dernière Mostra de Venise, qui s'est tenue en septembre dernier, mais aussi par le prestigieux prix Louis-Delluc, décerné ex aequo avec Pacifiction d'Albert Serra.

Qualifié d'œuvre majeure par une grande partie des observateurs et observatrices, Saint Omer a beau cumuler quatre nominations, les catégories dans lesquelles il figure montrent que l'Académie des César ne le considère que comme un film de seconde zone. Meilleur premier film, meilleur espoir pour Guslagie Malanda, meilleur scénario et meilleur photographie: on se dirait presque que c'est déjà ça, mais le travail incroyable accompli par Alice Diop méritait davantage d'exposition et de reconnaissance de la part de la France.

Du style, du fond, et pas une nomination? Allons bon.

De son côté, Les Pires, sorti le 7 décembre, a été distingué à Cannes dans la catégorie Un Certain Regard, dont il a remporté le grand prix. Ce film atypique, que son hyperréalisme n'empêche pas d'atteindre des sommets de grâce, aurait sans doute été plébiscité s'il avait été signé par un grand nom masculin (au hasard: Bruno Dumont). Mais il est réalisé par deux jeunes femmes, et n'est nommé que dans les catégories «Meilleur premier film» et «Meilleur espoir» (pur l'hallucinante Mallory Wanecque). Et c'est regrettable.

Bruyantes absences

Bien entendu, pas de quoi ruer dans les brancards: quatre nominations pour Saint Omer et deux pour Les Pires, c'est déjà une sorte de marque de reconnaissance. Parlez-en à Rebecca Zlotowski et Lola Quivoron, qui figurèrent en 2022 parmi les cinéastes les plus étincelant·es de tout l'Hexagone, et qui repartent bredouilles de la grande pêche aux nominations: elles n'auraient sans doute pas craché sur quelques accessits.

La première, qui s'est fait connaître avec Belle Épine et Grand Central, a signé avec Les Enfants des autres un film empreint de simplicité et de pertinence sur un sujet encore trop peu abordé: la place de la belle-mère sans enfant au sein de la famille recomposée. La seconde a fait des débuts fracassants avec Rodéo, film trop beau et trop exaltant pour pouvoir être rabaissé à un vulgaire statut d'œuvre polémique. Du style, du fond, et pas une nomination? Allons bon.

Il y a aussi ces deux films certes présents dans la liste (à condition de bien chercher) mais qui ne semblent exister que grâce à l'abattage de leur actrice principale, puisque leur seule nomination concerne la catégorie «meilleure actrice». C'est le cas de Revoir Paris, de l'excellente Alice Winocour, qui vaut à Virginie Efira sa cinquième nomination en tant que meilleure actrice depuis 2017 –à ce rythme, l'actrice belge, qui joue ici la rescapée d'un attentat survenu à Paris, va d'ailleurs finir par exploser tous les records.

Idem pour Rien à foutre, proposition de cinéma jubilatoire et dépressive qui aurait mérité des tas de distinctions –mais n'a attrapé qu'une nomination, pour Adèle Exarchopoulos, incroyable en hôtesse de l'air au bout de sa vie. Coréalisé par Julie Lecoustre (avec Emmanuel Marre), le film offre une immense liberté à l'actrice, qui s'en saisit avec un brio qui décoiffe. Mais c'est aussi parce qu'il n'a de cesse d'explorer d'autres façons de raconter, de faire rire, de percuter son public, que Rien à foutre brille à ce point. Et il est dommage de réduire cela à un seul numéro d'interprétation.

Sourde oreille

Adèle Exarchopoulos aurait d'ailleurs pu être nommée une deuxième fois pour les étranges et fascinants Cinq diables, de Léa Mysius. Et puis rien. Ni pour elle ni pour aucun autre membre de l'équipe de ce film. De même, Annie Colère de Blandine Lenoir, Un beau matin de Mia Hansen-Løve, Vous ne désirez que moi de Claire Simon, Entre les vagues d'Anaïs Volpé, Bowling Saturne de Patricia Mazuy, ​​​​​ou encore Petite Solange d'Axelle Ropert manquent désespérément à l'appel.

L'institution fait visiblement la sourde oreille, trop habituée à cette idée si confortable selon laquelle le cinéma et la compétition sont avant tout des trucs de bonshommes. On souhaite bonne chance à Cédric Klapisch, Albert Serra, Louis Garrel, Dominik Moll ou encore Cédric Jimenez, nommés pour le meilleur film et/ou la meilleure réalisation. Mais on espère avant tout que s'ils gagnent une statuette le 24 février prochain, ils auront le cran d'évoquer avec bruit l'invisibilisation quasi permanente dont font l'objet les réalisatrices et leurs films.

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