Si le planisphère accroché au-dessus de votre bureau vous paraît n'avoir jamais changé, en tout cas depuis vos plus lointains souvenirs, la carte du monde n'est pas destinée à ressembler à ça pour toujours.
Des continents découpés minutieusement, ancrés dans les océans; des îles disséminées au milieu des mers, vissées à leurs coordonnées géographiques? Non. La réalité a en fait de quoi donner le tournis. Il est vrai qu'à l'échelle de l'humanité, la physionomie de notre planète n'a pas ou peu changé. Pour autant, les continents sont bien en mouvement constant depuis la naissance de la Terre il y a 4,5 milliards d'années, conduisant ainsi à de grandes mutations dans l'histoire de notre monde.
La carte du monde change en permanence
La Pangée en est la visualisation la plus célèbre. C'est en effet le dernier supercontinent créé à la surface du globe, il y a environ 300 millions d'années, avant que les territoires ne dérivent et adoptent la configuration qu'on leur connaît aujourd'hui.
«On sait qu'il y a eu d'autres supercontinents dans l'histoire de la Terre: Rodinia [qui s'est scindé] il y a 750 millions d'années, Columbia il y a 1,5 milliard d'années, relate Nicolas Coltice, directeur des études au département de géosciences de l'École normale supérieure à Paris. Il semblerait que tous les 500 millions d'années, un supercontinent se forme puis se disloque. Ce sont des cycles d'ouverture et de fermeture, mais ça ne se passe jamais de la même manière.»
Ne vous attendez donc pas à un mouvement systématique des continents, qui se sépareraient toujours aux mêmes endroits et se rejoindraient sans fin aux mêmes points. La carte du monde change sans cesse, comme a tenté de le reconstituer le géologue américain Christopher Scotese dans des projections qui demeurent hypothétiques.
Pour autant, si les déplacements des continents sont attestés, les chercheurs précisent bien qu'il est difficile de les identifier exactement. Les méthodes scientifiques permettent de reconstruire précisément l'image de la Terre sur ces dernières 300 millions d'années, mais demeurent limitées quand on remonte le temps.
La convection, la subduction et une casserole de lait
Pour comprendre pourquoi les continents bougent, il faut parler de tectonique des plaques. Les plaques tectoniques ou lithosphériques constituent la partie rigide externe de la Terre, c'est-à-dire (pour simplifier à l'extrême) nos continents et nos océans. «La tectonique des plaques est un processus de refroidissement de la Terre, les plaques bougent pour évacuer la chaleur», clarifie Laurent Husson, géologue à l'Institut des sciences de la Terre. En effet, les plaques se déplacent grâce à la convection du manteau, c'est-à-dire grâce aux transferts de chaleur dans cette partie interne de la Terre, située avant le noyau.
«Imaginons une casserole de lait qui bout et crée une peau de lait plus rigide à la surface, schématise le scientifique. C'est ça, la convection. C'est l'ensemble du manteau qui s'écoule et, par là, promène ses continents comme des saletés agglomérées à la surface de la planète, qui viennent entraver le bon déroulement de la convection. Comme les continents représentent un tiers de la surface de la Terre, s'ils sont tous rassemblés dans un supercontinent ils forment un couvercle thermique qui empêche la chaleur du manteau d'être évacuée. Elle s'accumule jusqu'à ce que ça devienne tellement chaud que ça va affaiblir les continents, les rompre en plusieurs morceaux et créer un océan pour permettre d'évacuer cette chaleur.»
Si les continents sont donc des isolants thermiques, les océans permettent, eux, de rejeter la chaleur. Les continents regroupés sont dès lors voués à se disloquer pour évacuer cette fournaise: c'est ainsi que la Pangée a éclaté, en séparant les Amériques de l'Eurasie et de l'Afrique par l'océan Atlantique. En s'ouvrant, l'océan pousse alors les terres de part et d'autre, conduisant à de nouveaux mouvements et obligeant les continents à se rejoindre un jour. La convection fragmente ainsi les territoires, les éloigne puis les rassemble en un supercontinent, avant de recommencer.
Au sein de cette convection, un phénomène permet, en particulier, le mouvement des continents. Il est temps d'évoquer un autre mot rebutant: la subduction. Les plaques sur lesquelles flottent les continents sont constituées de dorsales océaniques d'un côté et de zones de subduction de l'autre. Au niveau des dorsales océaniques, dans les océans, la chaleur est évacuée: il s'agit d'un point chaud.
Plus la matière s'éloigne de ces dorsales, plus elle refroidit et donc s'alourdit, ce sont les zones de subduction, à l'extrémité des plaques. À cet endroit, une plaque plus lourde plonge sous une autre et les continents à la surface se rentrent dedans, c'est la collision. «A priori, la subduction est le moteur principal des mouvements des continents», précise le chercheur Nicolas Coltice.
Une vitesse de croisière
Par leur puissance, les subductions sont le facteur principal de la vitesse de circulation des continents. Mais elles ne s'appliquent pas de la même manière sur chaque plaque, créant des variations de rythmes assez importantes d'une plaque à une autre.
«Certains continents bougent très vite, dépassant la dizaine de centimètres par an. Ce sont ceux qui sont sur une plaque en pleine subduction comme l'Australie, qui évolue de 10 cm chaque année, ou l'Inde qui, avant de rentrer dans l'Himalaya, se mouvait aussi très vite, détaille Nicolas Coltice. On reste sur ces ordres de grandeur-là au cours du temps. C'est la vitesse à laquelle poussent les ongles et les cheveux, pour s'en faire une image.»
Le phénomène est même observable à notre échelle dans certaines situations précises. Le pont entre Rion et Antirion, par exemple, qui relie le Péloponnèse à la Grèce continentale, a été construit à la jonction entre deux plaques tectoniques, à la source de nombreux séismes et qui s'éloignent l'une de l'autre de quelques millimètres tous les ans. L'édifice a donc été conçu pour se déplacer en même temps, jusqu'à 2 mètres.
Selon les chercheurs, une accélération soudaine de ces mouvements de continents est très peu probable. L'équilibre des forces en place depuis des milliards d'années est une constante presque immuable, sur laquelle l'activité humaine n'a aucune influence. «Un continent qui bouge de 1 cm par an ne va pas d'un coup passer à 1 km par an, illustre le géodynamicien. Le manteau terrestre est un gros caillou difficile à bouger. Seule une immense météorite, au moins de la taille de la Lune, pourrait changer les choses en s'écrasant sur Terre.»
Pour autant, les continents connaissent des accélérations et des ralentissements, selon les différentes périodes de l'histoire. «On a parlé des forces motrices, mais il y aussi des forces résistantes. Le mouvement des continents a beaucoup ralenti depuis 100 millions d'années parce qu'il y a beaucoup de collisions, précise Laurent Husson. C'est une entrave à la libre circulation des plaques: plus on a de collisions entre les continents, plus on a d'entraves, plus ça ralentit la vitesse de l'ensemble.»
Des collisions dangereuses?
Quand les continents se télescopent, ils forment d'énormes chaînes de montagnes qui modifient la physionomie de notre planète. La plaque indienne en est un bon exemple: après s'être rapidement déplacée vers l'Eurasie grâce à sa force motrice, elle s'est emboutie dans le continent, créant ainsi l'Himalaya comme témoin de cette collision.
«C'est difficile de parler de brutalité, parce que ce phénomène s'étend sur des centaines de milliers d'années, voire plus. Ce n'est pas comme un accident de voiture, souligne Nicolas Coltice. Malgré tout, les collisions se matérialisent par des roches qui vont se plisser, par des failles et donc des tremblements de terre, par des changements de reliefs et ainsi des modifications du climat. Ça bouleverse forcément l'environnement de la surface.»
Pas de panique, aucune extinction de masse causée par ces mouvements n'est à prévoir. Ces phénomènes se mettent en place sur un temps si long que les êtres vivants ont le temps de s'adapter. Selon les scientifiques, c'est même plutôt un facteur de diversification de la vie. «Quand les continents sont tous ensemble, ils créent des passerelles pour les êtres vivants, puis quand ils se séparent, certaines populations sont isolées et doivent évoluer. Mais plus la vie est diverse, plus elle est costaud et riche», atteste le chercheur.
La carte du futur
Ces bouleversements de notre environnement au travers des collisions ont lieu en ce moment même, bien qu'imperceptibles à l'échelle de nos vies. «L'Afrique est en pleine collision avec l'Europe et a formé les Alpes, l'Himalaya est toujours en construction, même l'Australie entre en collision avec toute l'Indonésie, relève Nicolas Coltice. Nous sommes en train d'amalgamer un très grand continent. La question c'est ce qu'il va se passer entre ce continent et la partie américaine?»
Selon les hypothèses les plus réalistes, les Amériques pourraient continuer leur chemin vers l'Ouest et fermer le Pacifique, ou faire marche arrière et refermer l'Atlantique. De notre côté du monde, c'est carrément la fin de l'histoire si l'on en croit Laurent Husson: «La convergence est quasiment terminée, assure le géologue. L'Afrique et l'Europe se touchent déjà à plusieurs endroits, comme à Gibraltar: on est en collision, même s'il y a la Méditerranée! Elle va peut-être se refermer un peu, mais ce n'est pas une séparation, même si elle perdure. Il faut comprendre que le puzzle ne sera pas forcément parfait.»
Les projections futures sont plus délicates. «Il y a une limite de prédiction. C'est comme la météo, on ne voit pas plus loin que 100 millions d'années et ce n'est probablement pas assez pour prédire le prochain supercontinent», prévient le géodynamicien Nicolas Coltice. La Pangée s'est en effet disloquée il y a seulement 200 millions d'années. Un grain de sable à l'échelle du temps de la planète. La Pangaea Proxima est malgré tout déjà scrutée par nombre de scientifiques, comme l'Américain Christopher Scotese, qui a établi une carte futuriste de notre Terre. Nous ne serons malheureusement plus là pour en vérifier l'exactitude.