Culture

Festival d'Angoulême 2023: nos cinq BD préférées de la compétition officielle

Temps de lecture : 6 min

Parce que même si le grand prix a été décerné à Riad Sattouf, il y a beaucoup d'autres bandes dessinées capables d'émouvoir, de questionner, de faire rire ou trembler.

Après un marathon de lecture, nous avons sélectionné cinq ouvrages qui nous ont particulièrement séduits. | Montage Slate.fr
Après un marathon de lecture, nous avons sélectionné cinq ouvrages qui nous ont particulièrement séduits. | Montage Slate.fr

Elle n'avait pas encore débuté que l'édition 2023 du Festival de la BD d'Angoulême faisait déjà couler beaucoup d'encre, engluée dans une polémique autour de l'exposition consacrée à l'illustrateur Bastien Vivès, accusé de faire l'apologie de la pédophilie et de l'inceste. Finalement annulée par les organisateurs, inquiets pour la sécurité du dessinateur et des festivaliers, l'exposition de la discorde n'éclipsera pas le reste de la programmation de cette 50e édition, qui fait la part belle au manga.

Mais ce qu'attendent bon nombre de fans de bande dessinée (et d'éditeurs), c'est la remise des prix. Le grand prix, qui récompense un auteur pour l'ensemble de son œuvre, ayant été attribué à Riad Sattouf, restent les douze «fauves», décernés par plusieurs jurys différents.

Le jury principal, présidé par le comédien Alexandre Astier et composé de la dessinatrice Nine Antico, de la libraire Axelle Boitelle, du journaliste Éric Fottorino, de la photographe Alice Moitié et des musiciens Victor Solf et Lous and the Yakuzas, doit départager les quarante-six albums en compétition officielle. Un choix difficile, les ouvrages différant tant par leur style graphique que par leurs thématiques. Après un marathon de lecture, nous en avons sélectionné cinq qui nous ont particulièrement séduits.

«La Couleur des choses»

Simon, un adolescent anglais rondouillard et peu populaire, grandit en Angleterre auprès d'un père alcoolique et d'une mère victime de violences conjugales. Un peu par hasard, il parie sur une course de chevaux et devine le quinté dans l'ordre. Butin: 16 millions de livres sterling, il va donc enfin pouvoir sauver sa mère. Seul hic: Simon est mineur, il a besoin d'un adulte pour empocher le pactole. Sa mère étant dans le coma à l'hôpital et son père en cavale, il se lance en quête d'un adulte qui n'essaiera pas de lui voler son ticket gagnant.

Outre cette histoire touchante d'adolescent plongé dans la violence du monde des adultes, ce roman graphique marque par la façon dont il réinvente complètement les codes de la BD. Dans La Couleur des choses, ni cases ni bulles ni silhouettes, mais des points de couleur qui représentent des personnages vus en plongée façon Pac-Man et des décors à mi-chemin entre jeu vidéo et infographie.

Aussi touchant que drôle, le roman graphique de Martin Panchaud propose une nouvelle expérience de lecture, où l'absence de réalisme n'empêche pas d'être tenu en haleine du début à la fin. Un objet littéraire non identifié à mettre entre les mains de tous ceux qui n'ont pas peur d'être un peu bousculés.

La Couleur des choses

Martin Panchaud (Suisse)

Çà et là

236 pages

24 euros

Parue le 9 septembre 2022

«Animan»

Francis est chauve, moustachu, et n'a pas beaucoup d'amis à part Fabienne, sa compagne, qui se trouve être une grenouille. Mais même Fabienne ne connaît pas le grand secret de Francis: il a un super-pouvoir. Dès qu'il le souhaite, il peut se transformer en n'importe quel animal. Un lynx s'il a besoin de voir loin, un oiseau pour aller chercher un ballon dans un arbre, une mouche pour espionner les autres discrètement… et même tout ça à la suite quand il doit échapper à son ennemi juré, Objecto, un homme qui peut se transformer en objets plus ou moins utiles (une échelle, par exemple).

Signée Anouk Ricard, cette bande dessinée déjoue les codes des récits de super-héros, qui fonctionnent étrangement moins bien lorsque le protagoniste principal ressemble plus à Gérard Jugnot dans Les Bronzés font du ski qu'à Superman. Inspirée par la sérié télévisée des années 1980 Manimal, nanar parmi les nanars, l'autrice alterne gags et scènes d'action avec une grande fluidité. Cette BD au trait naïf et coloré et à la graphie façon école primaire (qui n'est pas sans rappeler la mythique série pour enfants Tom-Tom et Nana) est peut-être l'album le plus drôle de la sélection officielle.

Animan

Anouk Ricard (France)

Exemplaire

80 pages

21 euros

Parue le 25 septembre 2022

«Le Manoir de Chartwell»

Dans les années 1970, alors qu'il redouble sa classe de 5e, le jeune Glenn Head est envoyé par ses parents dans un pensionnat «à l'anglaise» dans le New Jersey. L'adolescent y fait la connaissance de Monsieur, un Anglais ventripotent qui dirige le manoir de Chartwell d'une main de fer, multipliant les châtiments corporels sur les élèves.

Mais Glenn Head découvre rapidement que Monsieur fait plus que frapper les adolescents: le soir, il les rejoint dans les dortoirs et les agresse sexuellement. Lorsqu'il quitte le pensionnat après une année scolaire, Glenn ne réalise pas encore l'ampleur du traumatisme qu'il a vécu et les répercussions qu'il aura sur sa vie d'adulte.

Inspiré par le style graphique des comics underground des années 1970, avec un dessin en noir et blanc et le souci du détail dans les décors, Glenn Head livre ici un récit autobiographique qui explore les instants les plus sombres de son existence. Celui d'un jeune homme réduit au silence par des adultes qui préféraient ne pas voir et qui tombe peu à peu dans des addictions au sexe et à l'alcool.

Chargé aussi bien visuellement –l'auteur va jusqu'à insérer des bulles pour faire entendre un dialogue au second plan qui n'a rien à voir avec l'histoire– qu'émotionnellement, ce roman graphique sous forme de mise à nu ne laissera aucun lecteur de marbre. L'élément le plus glaçant reste sûrement les photos de Glenn Head et de son passage au manoir de Chartwell tapissant la deuxième et la troisième de couverture de l'ouvrage, qui rendent ce récit impossible à mettre en doute.

Le Manoir de Chartwell

Glenn Head (États-Unis)

Delcourt

240 pages

27,95 euros

Parue le 30 mars 2022

«Eden»

«Voilà une histoire qui s'annonce délicieuse pour qui aime s'ennuyer», lit-on au début d'Eden, de Sophie Guerrive. Pour qui aime philosopher, surtout. Dans ce cinquième tome des aventures de l'ours Tulipe (le quatrième à être sélectionné à Angoulême), nous voici plongés dans un univers médiéval, dans un couvent à l'univers bleu nuit.

Tulipe est devenu moine, et les sermons du corbeau Cosmos le font s'interroger sur le jardin d'Eden: le paradis sur Terre existe-t-il? Plutôt que d'éprouver sa foi dans la prière du froid monastère, l'ours décide de prendre son bâton de pèlerin pour chercher le jardin d'Eden, le vrai, qui se trouve sûrement au bout de tous ces paysages colorés qu'il n'a jamais explorés. Resté au monastère, Cosmos fait face à une crise de foi.

Malgré un trait à l'apparence naïve et un scénario avare en dialogues, Eden est un récit initiatique et philosophique d'une poésie rare. À la façon des contes pour enfants, il propose plusieurs niveaux de lecture: les enfants y verront le voyage d'un ours qui parle aux arbres et aux pierres; les adultes en comprendront la portée théologique, avec une réflexion passionnante sur la foi. «Est-ce un mensonge?», s'interroge Tulipe lorsqu'il choisit de ne pas dire aux autres moines ce qu'il a trouvé au bout du chemin. «C'est une histoire», conclut-il. Et quelle histoire!

Eden

Sophie Guerrive (France)

2024

88 pages

23 euros

Parue le 21 octobre 2022

«Spa»

Las de l'odeur des cadavres qui se décomposent dans son appartement, un couple (qui n'a l'air ni étonné par la situation ni coupable de meurtre) se rend dans un hôtel spa de luxe pour un séjour de détente all inclusive. Accueillis par un staff aux petits soins, prêt à répéter à l'envi des phrases tout droit sorties de brochures publicitaires («Gardez vos sens en éveil. Ouvrez-vous à l'inconnu et recouvrez votre énergie»), tous deux enfilent leurs peignoirs pour se détendre dans la piscine.

Mais d'autres cadavres en putréfaction apparaissent dans le restaurant de l'hôtel, dans la piscine, dans les couloirs... et une matière noire suinte des murs, dans l'indifférence la plus totale des clients et de l'équipe, que même l'arrivée de créatures monstrueuses ou d'hommes sans visage ne perturbe pas outre mesure.

On plonge dans Spa comme dans un cauchemar sans fin, où tout est étonnant et où rien ne l'est à la fois. Les personnages fixent le lecteur de leurs yeux vides, parlent sans ouvrir la bouche, tous les éléments de leur visage sont un peu trop rapprochés. L'atmosphère anxiogène tient aussi au décor de cet hôtel et à l'objet livre lui-même, dont la tranche des pages est colorée du même rouge que celui utilisé pour les textes, seule touche de couleur (macabre) de l'ouvrage. Un bon thriller suédois qui dénonce l'indifférence des plus riches et l'absurdité de la tendance du self-care dans un monde qui pourrit.

Spa

Erik Svetoft (Suède)

L'Employé du moi

328 pages

28 euros

Parue le 3 juin 2022

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