Santé

Pour soulager les urgences, il est urgent de soulager les médecins généralistes

Temps de lecture : 7 min

Alors que l'engorgement des urgences provoque de très longues attentes pour les patients ainsi que des drames humains, un meilleur accès à la médecine de ville pourrait faciliter les choses. Mais cette dernière aussi est débordée...

Des patients attendent sur des lits à l'entrée du service des urgences de l'hôpital Émile-Muller à Mulhouse, le 16 janvier 2023. | Sébastien Bozon / AFP
Des patients attendent sur des lits à l'entrée du service des urgences de l'hôpital Émile-Muller à Mulhouse, le 16 janvier 2023. | Sébastien Bozon / AFP

27 décembre 2022, hôpital Avicennes à Bobigny. Au service des urgences, une pancarte indique «douze heures d'attente minimum», témoignant de la saturation du service durant cette période où les épidémies conjointes de Covid et de grippe amenaient nombre de patients à consulter et où certains médecins généralistes étaient en grève.

Le 3 janvier, nous découvrons un chiffre: trente-et-un. C'est le nombre de morts dites «inattendues» recensées par SAMU-Urgences de France aux urgences ou en pré-hospitalier. Ce sont autant de personnes qui n'étaient pas en situation d'urgence vitale à leur arrivée dans les services, et qui ont vu leur état se dégrader en raison des délais d'attente et faute d'être prises en charge suffisamment tôt.

Derrière ces chiffres alarmants se jouent des drames individuels et se tire le constat de conditions aussi préoccupantes qu'insoutenables. Tant pour les personnes qui ont besoin d'être vues par des soignants et leurs proches, que pour les professionnels de santé eux-mêmes. Au-delà, c'est aussi le constat d'un système de santé au bord de l'effondrement qui n'est pas capable de répondre efficacement aux besoins des Français.

Si ce sont des années et des années –sinon des décennies– de politiques de santé qui ont conduit à cette situation et que l'objet n'est pas ici d'en retracer l'historique, voyons quels pourraient être les différents leviers pour réduire le nombre de passages aux urgences. Pour le faire, il faut bien entendre que les urgences ne sont pas une entité isolée et que le volume des patients qu'elles accueillent est intimement dépendant de la situation de la médecine de ville, elle-même débordée.

Un accès restreint aux médecins généralistes

S'il existe une part incompressible de visites aux urgences (de l'AVC ou de l'infarctus en passant par les accidents de la route, les chutes ou les brûlures sévères), d'autres problèmes pourraient être pris en charge en ville. «Souvent, si les personnes malades pouvaient trouver un médecin généraliste près de chez elles rapidement, elles n'iraient pas consulter aux urgences», pointe Carine Vassy, sociologue de la santé et spécialiste de l'organisation hospitalière.

C'est là un aspect qui met tout le monde d'accord. «Un axe majeur pour soulager les urgences est d'améliorer le recours au soin auprès des médecins généralistes», confirme le médecin des urgences pédiatriques «To be or not toubib», auteur de Urgences or not urgences - Manuel de survie en milieu pédiatrique. Il ajoute: «Les urgences sont fragilisées par le fait que les gens ont un accès restreint aux médecins généralistes.» Ces derniers sont supposés être présents pour répondre à des urgences ne nécessitant pas de se rendre à l'hôpital –cela va de la cystite simple à la lombalgie aiguë en passant par l'angine bactérienne.

Mais voilà, les médecins de ville sont en nombre insuffisant et il est souvent rare de pouvoir obtenir un rendez-vous dans la journée. En outre, nombre de Français n'ont pas de médecin traitant et nombreux sont les généralistes contraints de refuser de nouveaux patients faute de disponibilités.

Supprimer des consultations, déléguer et transférer des tâches

Dans ce cadre, il est urgent de libérer du temps chez les médecins généralistes en ville. Pour le Dr Michaël Rochoy, médecin généraliste à Outreau, cela passe par la suppression d'actes inutiles, à commencer par les consultations destinées uniquement à obtenir un certificat, qu'il s'agisse des certificats d'absence d'enfant malade, des certificats d'arrêt de travail courts ou encore des certificats de sport injustifiés. Il en dresse d'ailleurs la liste dans une tribune parue le 5 janvier dernier dans L'Express.

En outre, ce généraliste, contrairement à beaucoup de ses confrères attachés à leur pré carré, ne récuse pas le recours à l'accès direct, dont la proposition de loi relative a été approuvée par les députés le 19 janvier. Elle permettrait à des patients de consulter infirmiers, kinésithérapeutes et orthophoniste en première intention et sans avoir à passer par un généraliste, comme le parcours de soins l'exige actuellement.

«En fonction de ce qu'il voit via les lunettes connectées, le médecin demandera à l'ambulancier d'orienter le patient vers tel ou tel service d'urgence.»
Sylvie Morel, sociologue spécialiste des soins d'urgence et chercheuse associée à l'Université de Nantes

Ainsi, le texte prévoit par exemple de permettre aux infirmiers de prendre en charge les plaies en coordination avec un médecin. Il prévoit également, entre autres, que les pharmaciens puissent renouveler les traitements chroniques pour une durée de trois mois lorsque le médecin prescripteur n'est pas disponible, ou encore que les kinésithérapeutes puissent prescrire une activité physique adaptée aux patients en affection de longue durée. Ce sera une avancée majeure, alors que la voie a déjà été ouverte à l'automne par la possibilité pour les pharmaciens d'administrer tous les vaccins et rappels de vaccin prescrits par les médecins.

D'autres modalités de délégations des tâches médicales existent déjà depuis un moment, telle la possibilité pour les médecins libéraux de recourir à des assistants médicaux qui peuvent se voir confier des tâches administratives ainsi que des tâches d'assistance lors des consultations.

Développer des systèmes de garde médicale

Face à la saturation des médecins traitants mais aussi face à leur indisponibilité les soirs et les week-ends, apparaît également la nécessité de valoriser la création et le maintien de maisons médicales de garde qui assurent des services et peuvent accueillir des patients en soins non programmés pour des urgences non vitales.

On pense aussi aux centres médicaux de soins immédiats (CMSI) qui assurent un relais entre la médecine de ville et les urgences hospitalières et prennent en charge sans rendez-vous les urgences non vitales (petite traumatologie, plaies et sutures, allergies, infections respiratoires…). Le Dr François-Xavier Moronval, médecin urgentiste à Épinal, témoigne ainsi de la capacité du centre –installé à quelque dix minutes de l'hôpital– à décharger un peu le service des urgences, tout particulièrement pour les patients relevant de la filière courte, c'est-à-dire qui ne nécessitent pas d'investigations longues (tout au plus, une radio ou un test d'urine ou de glycémie).

Enfin, il faut penser aux déserts médicaux. «Cela pose la question de la contrainte à l'installation des médecins de ville», note Carine Vassy. Mais à défaut, et pour limiter un peu la casse, il est possible de valoriser la téléconsultation, qui permet de consulter à distance un généraliste depuis chez soi ou depuis une cabine implantée dans une pharmacie.

De plus, la télé-médecine d'urgence permettant d'éviter certains passages à l'hôpital peut aussi constituer un apport pour mieux orienter les patients, comme l'explique Sylvie Morel, sociologue spécialiste des soins d'urgence et chercheuse associée à l'Université de Nantes:

«Des lunettes connectées sont à l'essai à Poitiers et à Nantes, notamment. Quand un ambulancier arrive auprès d'un patient et qu'il contacte le médecin du SAMU, ce dernier peut lui demander de les porter pour voir la scène grâce à la caméra. L'objectif est de visualiser ce que voit l'ambulancier pour confirmer ou non une suspicion de fracture, par exemple, même si les ambulanciers sont formés à les reconnaître. L'image et le son permettent un meilleur diagnostic car le médecin voit le patient respirer, bouger ou non ses membres, ses pâleurs, ses sueurs, etc. En fonction, il demandera à l'ambulancier de l'orienter vers tel ou tel service d'urgence, en évitant peut-être un passage dans un service inapproprié.»

Répondre aux besoins des plus précaires

Mais les raisons qui poussent les personnes à aller aux urgences plutôt que chez le généraliste ne tiennent pas uniquement au manque de médecins en ville. «Une partie des personnes qui consultent aux urgences le font parce que la consultation est payée en différé, affirme Carine Vassy. Il faudrait faciliter la création de dispensaires où les consultations sont gratuites. On peut aussi envisager la gratuité des consultations chez les médecins généralistes, comme cela se fait déjà au Royaume-Uni, sous réserve d'être enregistré auprès d'un médecin généraliste.»

Elle explique que la complexité du système de santé français peut amener certaines populations à concevoir les urgences comme le principal lieu de consultation de premier recours. «Il convient aussi d'améliorer l'accessibilité au soin pour les personnes qui connaissent mal le système de santé français et qui sont en situation de précarité économique et/ou administrative, et qui parfois ne parlent pas bien la langue», suggère ainsi la sociologue.

On le voit, il n'existe pas de solution miracle pour réduire le flux des personnes entrantes aux urgences mais un cumul de dispositifs qui, bout à bout, pourraient apporter une amélioration.

En outre, il faut penser que si les urgences sont saturées, c'est aussi parce que certains patients y sont gardés vingt-quatre ou quarante-huit heures en attendant d'être envoyés dans un service adapté à leur pathologie mais où, là encore, les lits manquent.

Ne pas surestimer la bobologie

Quelques mots, enfin, sur les visites aux urgences jugées inutiles par certains médecins qui se plaignent, notamment sur les réseaux sociaux, de sollicitations pour des motifs considérés comme dérisoires. «Franchement, ce n'est pas ça qui nous encombre et qui plombe les urgences», assure Dr François-Xavier Moronval, qui valorise néanmoins l'éducation des patients via sa chaîne YouTube . «On surestime le poids de la bobologie aux urgences et le plus souvent, les gens ont de bonnes raisons de consulter», abonde Michaël Rochoy.

Selon To be or not toubib, la situation est un peu différente aux urgences pédiatriques où les parents, légitimement inquiets, amènent souvent leur enfant pour des états qui ne nécessitent pas de consultation. «Il faudrait pouvoir enseigner à tout le monde ce qu'il convient de faire lorsqu'un enfant a de la fièvre ou saigne du nez afin d'éviter aux parents de s'affoler», estime-t-il. Reste qu'il n'est pas fondé de faire reposer la saturation des urgences sur la seule responsabilité des patients.

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