Life

Le Nutella ressuscité

Temps de lecture : 4 min

Au croisement de l'alimentaire et du sanitaire, l'affaire Nutella est à bien des égards exemplaire.

Le mardi 29 juin 2010 restera une journée bien étrange dans la déjà longue histoire de Nutella. A l'aube, la célébrissime pâte à tartiner née dans le Piémont il y a un demi-siècle était annoncée comme morte, trucidée sur l'autel européen de la sécurité sanitaire des aliments. Elle ressuscitait au crépuscule. Comment comprendre? Rapide retour sur une étrange affaire qui voit cette association de noisette et de cacao jouer le rôle du bouc émissaire alimentaire.

Acte I

Matin du 29 juin. On apprend, de diverses sources bien informées que l'Union européenne venait de dénoncer dans une récente étude l'absence de conformité de Nutella aux nouvelles normes nutritionnelles. Or le Parlement s'apprête à promulguer de nouvelles normes dans le cadre de sa lutte contre l'obésité, fléau croissant sur le Vieux Continent. L'affaire est grave, tant pour les millions d'amateurs inconditionnels de cette pâte  à tartiner que pour le géant italien Ferrero qui est l'un des leaders mondiaux du marché du chocolat et de la confiserie réunis (Kinder Bueno...). Nutella: entre (selon les sources) 100.000 et 230.000 tonnes vendues par an. Nutella délicieux, certes. Mais Nutella trop riche, trop gras, trop sucré; a fortiori quand il est tartiné sur de la brioche, des crêpes, des gaufres, à l'intérieur de croissants au beurre. Nutella et ses secrets de fabrication qui laissent penser à certains qu'il ne peut procurer tant et tant de plaisirs aux adolescents sans contenir des substances provocant la dépendance, à l'instar des cigarettes.

Un projet adopté par le Parlement en première lecture le 16 juin, visant à lutter contre l'obésité, prévoit qu'à l'avenir les étiquettes devront obligatoirement préciser  la quantité de cinq nutriments essentiels dans les produits alimentaires: énergie, glucides avec une référence aux sucres, lipides, acides gras saturés et sel. Cette disposition devrait compléter une autre réglementation à venir concernant les «profils nutritionnels» avec la possibilité pour un produit d'apposer des allégations nutritionnelles et de santé, telles que «riche en calcium» ou «bon pour le  cœur». Il y a peu, le géant Danone, prenant les devants, annonçait qu'il retirait ses allégations santé sur les étiquettes et les publicités d'Actimel  et d'Activia, deux de ses marques phares planétaires.

Alternative pour Ferrero: soit changer la composition de sa pâte miracle, soit placarder sur les célèbres pots à couvercle blanc (voire sur le couvercle) la  mention «Attention danger! Favorise l'obésité!»; ou ses multiples déclinaisons alarmistes accompagnées (qui sait?) de photographies de personnes obèses. C'est peu dire que certains n'ont pas trouvé cette initiative d'un très bon goût. Ainsi le ministre italien des Affaires européennes a-t-il joliment  dénoncé un risque de «fondamentalisme nutritionnel». Un député de la Ligue du Nord fondait aussitôt un comité «Touche pas à mon Nutella». Et l'on commençait à entendre monter une sourde grogne chez les inconditionnels qui avaient compris que la pâte italienne allait bientôt être retirée du marché européen.

Acte II

Soirée du même jour. Face au tollé qu'il avait déclenché, le Parlement européen jurait publiquement ne pas avoir l'intention d'interdire la vente du Nutella, contrairement aux multiples et insistantes rumeurs commençant à circuler en Italie, en France et sur la Toile. Communiqué officiel:

Les députés ne cherchent pas à interdire la commercialisation des produits Nutella ou des produits alimentaires malsains car pouvant favoriser le surpoids.

Giancarlo Galan, ministre italien de l'Agriculture se félicitait aussitôt de cette annonce se disant «heureux que dans la législation européenne en discussion, il n'y ait pas de proposition visant à inclure sur les étiquettes des aliments des avertissements sanitaires ni qu'il soit prévu d'interdire la vente de tel ou tel produit». Profitant de son avantage à des fins ouvertement publicitaires au service de Ferrero, il a aussi dit dans un communiqué officiel être heureux «pour les adultes et enfants qui depuis des générations aiment le Nutella ainsi que toutes nos autres si bonnes confiseries». Pour autant, une question demeure selon lui: s'agit-il là  «d'une clarification ou d'une marche arrière»?

Acte III

Et maintenant? Au croisement de l'alimentaire et du sanitaire, l'affaire Nutella est à bien des égards exemplaire. Elle soulève notamment la question des frontières entre l'information et l'interdiction, entre la liberté de consommation et la prohibition. Le citoyen peut comprendre (et réclamer) que les autorités sanitaires imposent le retrait en urgence du marché d'aliments dont le caractère immédiatement dangereux est démontré. A l'inverse, il peut s'offusquer d'apprendre que l'on va réduire le choix qui lui est offert au motif que la consommation chronique ou excessive de certains aliments l'expose à un risque élevé de certaines affections. Dans cette logique, le tabac devrait depuis longtemps être interdit à la vente. Reste l'information éclairée du consommateur via l'étiquetage. Sans doute est-elle nécessaire pour ne pas laisser les géants de l'agro-alimentaire vanter des vertus médicales qui n'ont jamais été scientifiquement démontrées. L'exemple du tabac montre en revanche que l'efficacité des messages de mise en garde est rarement au rendez-vous. Quel amateur de Nutella ignore que la pâte qu'il chérit peut contribuer à lui faire prendre du poids? C'est précisément ce lien qui conduit nombre d'adolescents à réduire leur consommation quotidienne avant de l'abandonner en devenant adulte.

Reste Nutella. Dans ce contexte, il prend progressivement une dimension mythique. Nutella dangereux parce que composé (en France du moins, la préparation variant selon les pays) de sucres, d'huile végétale, de noisettes (13%), de cacao maigre en poudre (6,6%), de lait écrémé en poudre (6,6%), de lactosérum, de lécithine de soja et d'un mystérieux «arôme»? Nutella dangereux parce que composé à plus de 60% d'huile et de sucres? Nutella doublement maudit car soupçonné de contenir des organismes végétaux génétiquement modifiés et parce que l'huile de palme qu'il contient (Ferrero se contentant de parler d'huile végétale) serait à l'origine de la déforestation de la Malaisie?

Dimension mythique? Le pot (400 grammes) de Nutella que nous avons sous les yeux a été acheté il y a peu à Belle-Ile (Morbihan). «Ne pas mettre au froid». On peut en consommer le contenu jusqu'au 28 février 2011, mais c'est déjà un collector: on y lit sous le logo officiel de la Fédération française de football que Nutella est le «partenaire officiel du petit déjeuner de l'équipe de France». Faudrait-il en conclure que ceci explique pour partie cela?

Jean-Yves Nau

Photo: REUTERS/Stefano Rellandini

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