Économie

Electricité: les tarifs vont continuer à s'envoler

Temps de lecture : 6 min

Le gouvernement a annoncé le 3 août une hausse moyenne de 3,4% des prix de l'électricité.

Le gouvernement continue sa politique de rattrapage des tarifs de l'électricité. Mardi 3 août, il a annoncé avoir saisi la Commission de régulation de l'énergie (CRE) d'un projet d'arrêté prévoyant une hausse des tarifs réglementés de 3,4 %. L'augmentation sera de 3% en moyenne pour les particuliers de 4% pour les petites entreprises, de 4,5% pour les PME de 4,5% et de 5,5% pour les grandes entreprises. Nous republions après ces annonces un article de Gilles Bridier du mois dernier annonçant une hausse inévitable et continue des prix de l'électricité.

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«Quand on veut la lune, on demande les étoiles», ironisait la ministre de l'Economie Christine Lagarde en juillet 2009 lorsque l'ancien patron d'EDF, Pierre Gadonneix, avait réclamé une hausse des tarifs de 20% sur trois ou quatre ans. L'Etat, c'était certain, ne laisserait pas tondre les consommateurs! Gadonneix, en fin de mandat, signait son éviction. Un an plus tard, le sujet revient dans l'actualité, par deux entrées différentes... et pas des moindres. D'un côté, les directions d'EDF qui ne s'aventureraient sur un champ de mines si leur président Henri Proglio, le très critique successeur de Gadonneix, ne leur avait auparavant balisé le terrain. De l'autre, la très respectable Commission de régulation de l'énergie (CRE) qui considère que la réforme du marché de l'électricité en cours de discussion au Parlement devrait engendrer une augmentation de 25% des prix en cinq ans.

D'inéluctables hausses de tarifs

S'agissant des techniciens d'EDF, l'explication est simple: la hausse des tarifs est dictée par les investissements à consentir pour assurer la maintenance du réseau électrique, développer les énergies renouvelables et construire de nouvelles tranches nucléaires (à Flamanville et Penly). Pour la CRE, cette hausse découlera tout simplement de la nouvelle organisation du marché que l'Assemblée nationale doit bientôt adopter après dix-huit mois de débat. Jean-Louis Borloo, le ministre de l'Ecologie et de l'Energie, a beau vouloir rassurer l'opinion publique en affirmant que la réforme ne fera pas grimper les prix, il ne convainc personne. Il y a belle lurette que le discours politique sur le prix de l'énergie a perdu toute crédibilité comme le démontre à nouveau l'imprudente tirade de Christine Lagarde jugée à l'aune du débat actuel. Qui, de l'ancien président d'EDF ou de la ministre, avait la tête dans les étoiles?

Les erreurs à répétition des hommes politiques

Déjà avec la libéralisation du marché de l'énergie du 1er juillet 2007, il était évident que les hommes politiques de la majorité qui poussaient à la déréglementation n'avaient pas saisi la spécificité du marché français de l'énergie, avec une électricité aux trois quarts nucléaire produite par l'entreprise publique à meilleur prix que l'électricité d'origine thermique des concurrents privés. Alors que l'introduction de la concurrence a pour fonction de faire baisser les tarifs, on ne pouvait en l'occurrence qu'assister au phénomène contraire !

C'est ce qu'il advint. Il fallut très vite que les mêmes députés détricotent la réforme en construisant à la hâte une usine à gaz afin que les consommateurs qui s'étaient laissés bercer par les sirènes de la libéralisation des prix puissent réintégrer le système des tarifs réglementés.

Car quoi qu'en dise la Commission européenne toute à son application dogmatique des grilles de déréglementation, la France avec ses tarifs réglementés arrivait en très bonne position en Europe comme l'a montré une étude Eurostat de juillet dernier. Le prix hors taxes (9,31 euros/100 kWh dans le secteur domestique et 5,61 euros/100 kWh dans le secteur industriel) était le plus bas d'Europe des 15 au deuxième semestre 2008. Et même toutes taxes comprises, le prix de l'électricité en France correspondait à 73% de la moyenne de l'Europe à 27 dans le domestique, et à 60% seulement dans l'industriel. En outre par rapport à l'Allemagne, les prix français TTC étaient inférieurs de 40% à ceux pratiqués outre-Rhin.

EDF devra raboter ses prix pour fournir ses concurrents

Les tenants d'une libéralisation pure et dure n'ont pas baissé les bras pour autant. Et comme les opérateurs alternatifs ne parviennent pas à produire ou à trouver une électricité moins chère que celle d'EDF, ils ont convaincu les députés d'obliger EDF à leur céder une partie de sa production. C'est l'objet de la loi Nome (nouvelle organisation du marché de l'électricité) qui contraindra EDF à leur vendre jusqu'à 25% de sa production d'électricité d'origine nucléaire. La logique n'est pas très évidente: pour permettre à ses concurrents d'exister alors qu'ils n'y parviennent pas par eux-mêmes, EDF devra leur céder de l'énergie à des conditions avantageuses. Juste une question de principe...

Des intermédiaires en plus, des tarifs en hausse

Mauvaise affaire pour les consommateurs. Car cette partie de la production étant rétrocédée avec des marges considérablement rabotées, l'électricien public devra se rattraper sur ses clients qui, selon la CRE, peuvent s'attendre à des augmentations de tarifs de l'ordre de 11% en 2011, dès la première année d'application de la Nome. Tout cela pour permettre à de nouveaux intermédiaires d'exister, sans que l'on sache quelle sera leur valeur ajoutée pour mériter tant d'attention. Il est question de services ajoutés, de compteurs communicants... mais pas de prix du kWh plus attractifs.

Nonobstant le fait que ces compteurs de nouvelle génération n'offrent pas toute la fiabilité souhaitée aux Etats-Unis où ils ont fait leur apparition, et que la modulation tarifaire dans la consommation d'électricité est déjà bien entrée dans les mœurs, on ne voit pas pourquoi EDF serait en retard par rapport à d'autres électriciens pour installer ces nouveaux compteurs. En revanche, dès l'instant où l'on instaure un niveau intermédiaire en plus, on augmente le total des marges prélevées et on génère ainsi une hausse des coûts qui sera répercutée sur le consommateur. «La rente nucléaire sera empochée par les fournisseurs et non plus par les consommateurs», prévient François Lévêque, professeur d'économie de Mines PatisTech, dans La Tribune.

Un apport nul pour l'approvisionnement

Si encore les opérateurs alternatifs contribuaient à approvisionner le marché! Mais il n'en est rien. Hormis GDF Suez qui produit environ 8% de l'électricité en France avec ses centrales thermiques et hydrauliques et ses installations en énergie renouvelable notamment photovoltaïque, les autres opérateurs alternatifs n'alimentent pas le marché. Or, comme les Français en ont fait récemment l'expérience, l'approvisionnement est parfois insuffisant, obligeant RTE (Réseau Transport Electricité) à plonger des régions entières dans l'obscurité au moment des pics de consommation, à l'instar des gigantesques black-out intervenus en région PACA à l'hiver 2008 et en Bretagne en 2009.

La situation se dégrade. Selon RTE, l'équilibre en France entre offre et demande ne devrait plus être respecté à partir de 2013. En 2014 plus qu'aujourd'hui, il faudra compter sur les importations pour assurer l'équilibre.

Mais la solution atteint ses limites. Les 45 lignes d'interconnexions qui relient le réseau français à ses voisins arrivent à saturation au moment des pics. Face à ce problème, la libéralisation n'apporte aucune réponse, puisque les opérateurs alternatifs ne font que commercialiser du courant électrique produit par EDF. Il n'y a que la casquette de l'électricien qui change !

Rien à voir avec le marché unique européen

On aurait pu parler de processus vertueux de la concurrence si ces opérateurs avaient eux-mêmes commercialisé des capacités supplémentaires. En l'occurrence, ils ne font que s'introduire dans un système qui consiste déjà à gérer la pénurie en période de pointe. Autant dire qu'ils parasitent la concurrence en n'apportant rien qui offre une sécurité supplémentaire dans l'approvisionnement du consommateur. L'objectif d'une libéralisation qui doit avantager le consommateur est la création d'un marché unique de l'énergie. La loi Nome ne s'inscrit pas dans cette perspective, quoi qu'en dise des députés UMP.

Gilles Bridier

LIRE EGALEMENT: Gaz: pourquoi tant de coupures? Electricité, la concurrence coûtera cher au consommateur et Panne d'électricité, le système français disjoncte.

Photo: Tour de refroidissement de la centrale de Golfech. Regis Duvignau / Reuters

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