De son premier mari, Derek, Vivienne Isabel Swire a conservé le nom: Westwood. D'abord institutrice, c'est pour la suite de sa carrière qu'on la connaît, puisqu'elle a très vite quitté ce premier métier pour plonger dans une existence de fantaisie et de liberté aux côtés de Malcolm McLaren, son partenaire de vie et de travail.
Ensemble, ils ont évolué dans un univers de rébellion, avec un fort esprit punk. En 1971, ils ont ouvert une boutique au 430 King's Road. Le lieu, devenu mythique, existe encore aujourd'hui. Sur sa devanture, une horloge dont les aiguilles tournent à l'envers est accrochée, installant une ambiance entre Alice au pays de merveilles et annonce d'une proche fin du monde. Mais jeudi 29 décembre 2022, c'est la fin de la vie de cette incroyable créatrice qui a sonné.
Scandales, provocations
Ce magasin a évolué en même temps que leurs combats et que leurs styles. Lorsqu'il se nommait Let it Rock, on y trouvait un univers de fringues sages, plutôt destinées aux Teddy Boys. Mais très vite, l'univers de Vivienne Westwood et Malcolm McLaren a pris une coloration très personnelle, rompant avec tout ce qui se faisait alors.
En 1972, la boutique change de nom pour devenir Too fast to live, Too young to die. Les idées du couple deviennent manifeste, comme l'illustrent le tee-shirt sur lequel était «brodé» le mot «rock» à partir d'os de poulets et de chaînes, ou encore les tops actant de ce qui était bien ou mal –bien pour Eddie Cochran, mal pour Mick Jagger.
Passionné de musique, Malcom McLaren s'occupe par la suite de ceux qui deviendront les Sex Pistols. La boutique prend alors le nom de «Sex» en 1974 et joue sur la provocation avec des accessoires SM et des vêtements en cuir –notons que Vivienne Westwood avait déjà créé les tenues de cuir rouge des New York Dolls sur fond de drapeau communiste. Mais aussi avec des tee-shirts à connotation sexuelle: la poitrine d'une femme, un basketteur nu, deux cow-boys pantalons aux chevilles et sexes bien apparents. Et des boutons parfois en forme de sexes masculins, tout comme les bijoux (de famille). Le scandale n'était jamais loin, à la plus grande délectation des deux larrons.
Sans cérémonie et sans culotte
En 1977, nouveau changement: le magasin se nomme désormais Seditionaries. La rébellion s'affiche, les slogans, à l'instar de «Destroy», pullulent. Le tee-shirt emblématique de cette période est frappé d'un portrait de la reine Elizabeth II par Cecil Beaton, revisité avec l'ajout d'une épingle à nourrice (un des codes punk), un «God save the Queen» un peu parodique et des références aux «human beings». Un motif qui rappelle aussi les Sex Pistols. L'époque était à la liberté.
Vivienne Westwood, 1941-2022
— Andrew Wilson @[email protected] (@andrew_wilson_a) December 30, 2022
Malcolm McLaren, 1946-2010
Jamie Reid born, 1947
God Save the Queen, muslin shirt [Seditionaries, 1977]@metmuseum @met_costume pic.twitter.com/sVmketMMxO
C'est cette même reine qui lui a remis, en 2002, les insignes d'officier de l'Empire britannique. Si l'événement était sérieux, à sa sortie de Buckingham Palace, Vivienne Westwood n'avait pu s'empêcher de faire virevolter son ample jupe, dévoilant au passage l'absence de culotte sous ses collants. Rebelote en 2006: elle est promue dame commandeur de l'ordre de l'Empire britannique. La remise d'insigne s'est encore déroulée sans culotte, mais avec plus de discrétion.
La boutique devient enfin World's End en 1980, renommée par une Vivienne Westwood pessimiste, déçue de la récupération du mouvement punk, vidé de son sens pour ne plus être qu'un phénomène de mode. Et en 1983, les deux compagnons se séparent.
Le paradoxe comme signature
Si les débuts de la créatrice étaient hautement fantaisistes et offraient surtout des propositions basiques dans la forme (le tee-shirt), elle a ensuite choisi de vraiment élaborer son style. Sa première vraie collection voit le jour en 1981 et s'intitule «Les Pirates», un thème qui a longtemps innervé son inspiration.
Vivienne Westwood’s genius was precisely that she could move past her punk aesthetic. Her pirate, tweed and Boucher collections were just as radical - a postmodern radicalism which is only rarely synthesised #Westwood pic.twitter.com/CBfINk86T8
— Cultural Consultant (@CulturalStrat) December 29, 2022
Passionnée par la peinture classique, appréciant particulièrement François Boucher et Jean-Honoré Fragonard, elle redécouvre également les tournures des vêtements du XIXe siècle. La collection «Mini-Crini», en 1985, joue ainsi sur le volume de la crinoline, conjugué à la mini-jupe. Le faux-cul lui aussi fait son retour et est très souvent ajouté aux robes.
La collection «Mini-Crini» mélange volume de la crinoline et mini-jupe. | Woehning via Wikimedia Commons
En 1990, elle choisit de s'inspirer directement d'un tableau de François Boucher de la Wallace Collection, La Bergère endormie, qui sera reproduit sur des vêtements ainsi que sur un corset. Présent depuis 1987 dans ses collections, le corset est pourtant un peu paradoxal pour quelqu'un qui prône la liberté et choisit finalement la contrainte, à l'instar des encombrantes crinolines. Mais le paradoxe est aussi une signature Westwood, passée de la révolte punk aux honneurs royaux.
Les putti, ravissants chérubins au teint rose, se posent eux aussi sur les vêtements et signent, en 1992, la montre Swatch vendue dans un orb, ce globe royal surmonté d'une croix et orné d'imitations de pierres précieuses.
La naissance d'une vraie mode
C'est alors la grande période de Vivienne Westwood. Les top-models de l'époque défilent pour elle et Naomi Campbell crée un petit événement en 1993 en tombant sur le podium, en raison de ses difficultés à marcher avec des chaussures aux semelles aussi compensées qu'insensées –les souliers sont aujourd'hui au V&A à Londres.
C'est à cette époque que je partis à Londres interviewer la reine de la mode anglaise. Son bureau était à Conduit Street, où il y avait également une boutique de soldes permanents très attractive. Évidemment en retard, Vivienne Westwood était arrivée les cheveux un peu en bataille et habillée «maison» de pied en cap. Elle avait beaucoup parlé de son intérêt pour les arts, toujours anciens, avec une affection particulière pour la peinture. Elle avait aussi devisé à propos de l'importance de la culture dans le monde. Sa mode en devenait presque accessoire à ses yeux.
Pourtant, elle est devenue de plus en plus construite, de plus en plus élaborée techniquement, avec des coupes extrêmement travaillées. Un choix encore amplifié par l'arrivé d'Andreas Kronthaler –rencontré à Vienne, où Vivienne Westwood enseignait– au studio et dans la vie de la créatrice. Partie plus que prenante de la mode Westwood, il poursuit l'œuvre commencée par son épouse.
Militante jusqu'au bout
Le rôle de Vivienne Westwood a aussi été déterminant dans la sphère de la mode par la liberté qu'elle y a déployée. Pour le créateur de chapeaux Stephen Jones, «sans Vivienne, pas de Rei, John, Lee et une centaine d'autres». «Elle a changé ma vie quand nous nous sommes rencontrés en 1976. [...] La transgression et une vision personnelle sont comme des messages envoyés au monde. Vous avez été une étonnante lady, inspirante, courageuse et déterminée dans ses convictions», a-t-il posté en hommage sur Instagram.
Les choix de la combattante et rebelle Vivienne Westwood ont évolué au fil du temps. Mais elle n'a eu de cesse de réagir à ce qu'elle n'appréciait pas ou, au contraire, à militer pour faire évoluer des causes. En 1989, en réaction à la politique de Margaret Thatcher, elle avait ainsi posé en la singeant en couverture de Tatler avec pour phrase d'accroche: «This woman was once a punk» («Un jour, cette femme a été punk»). Une photo qui fit scandale, d'autant plus que le vêtement était identique au tailleur Westwood commandé par la Première ministre.
Et si sa mode était rentrée dans le rangs, ses combats, son militantisme, eux, n'ont jamais cessé. Elle a notamment souvent pris la parole en faveur de la protection de Julian Assange, allant jusqu'à s'enfermer dans une cage pour protester.
Mais son dernier grand combat a été pour l'écologie, et pour la lutte contre le réchauffement climatique –même s'il peut paraître un peu ambigu de prôner le non-achat tout en continuant à sortir de nouvelles collections tous les six mois. En 2012, déjà, elle expliquait avec vigueur, à la faveur des des jeux paralympiques de Londres autour du thème «Climate Revolution» et sur un blog alimenté très régulièrement, qu'il ne restait que vingt ans pour changer les choses.