Société

Un grand merci aux contrôleurs de la SNCF: grâce à eux, Noël, ce sera sans ma belle-mère!

Temps de lecture : 4 min

[BLOG You Will Never Hate Alone] Les deux années précédentes, le Covid et ses variants m'avaient sauvé la mise. Cette fois, je partais résigné. C'était sans compter la grève des contrôleurs.

C'est comme si j'avais gagné au Loto! | Fdecomite via Flickr
C'est comme si j'avais gagné au Loto! | Fdecomite via Flickr

Je dois être béni des dieux. Déjà l'année dernière, la spectaculaire progression du variant Omicron avait rendue impossible la soirée du réveillon avec ma belle-mère –j'en avais été terriblement meurtri. Trop risqué, avions-nous convenu, promettant de remettre à cette année les festivités de Noël, dont la dernière célébration en commun remontait à l'hiver 2019.

Cette fois, m'étais-je dit, je n'y échapperai pas. J'avais bien espéré la venue d'un nouveau variant, un bien ardu, un qui sèmerait la panique parmi la population au point de dissuader les plus fêtards d'entre nous de se retrouver, mais de ce côté-là, mes attentes avaient été déçues. Omicron n'impressionnait plus personne, surtout pas ma belle-mère qui avec ses cinq rappels, son vaccin contre la grippe, ses vitamines à foison et sa cure thermale à Aix-les-Bains, pétait la forme.

Pas une semaine ne se passait sans qu'elle ne se réjouisse de passer les fêtes avec nous. Elle arriverait la veille de Noël pour repartir quelques jours plus tard; elle fourmillait de projets; il fallait à tout prix rattraper le temps perdu, s'exclamait-elle au téléphone, avec dans la voix une sorte d'excitation fiévreuse qui me terrorisait.

C'est que je savais à quoi m'attendre. Sitôt la porte d'entrée franchie, elle se livrerait à un concert de critiques dont je serais la principale victime, encore plus cette année où je n'avais rien publié, ce qui serait la confirmation, pour elle, que je me sers des largesses de sa fille pour mener une vie de parasite.

Toutes les cinq minutes, elle passerait la tête dans mon bureau et chercherait à vérifier si je travaillais ou si je ne perdais pas mon temps à jouer avec le chat lequel, le temps de son séjour, occuperait ses journées à l'éviter. C'est fou comme votre chat vous ressemble, me dirait-elle trois fois par jour. À part manger et dormir, on se demande ce qui peut bien le passionner dans l'existence.

Longtemps, j'avais misé sur la réforme des retraites pour empêcher sa venue. Avec un peu de chance, me disais-je, décembre pourrait ressembler à un vaste foutoir généralisé. J'imaginais déjà un vaste mouvement social qui, des cheminots aux étudiants en passant par les inspecteurs du fisc, paralyserait le pays tout entier. Hélas, le renvoi du texte à l'année prochaine a glacé mes derniers espoirs: cette année, sauf improbable miracle, les trains circuleraient pour les fêtes.

Son billet avait été acheté depuis des lustres, la date de son arrivée dûment entourée sur le calendrier du frigo, les jours suivants hachurés d'une grande croix noire mortuaire comme si nous allions prendre le deuil.

À chaque fois que je tombais dessus, une angoisse invincible me saisissait. Dans un mois, dans quinze jours, dans une semaine me disais-je, elle sera là, criarde présence dont il faudra s'accommoder si nous voulions profiter cet été de sa mansarde provençale dont, plus par accommodement que par générosité, elle nous laissait les clés, comptant sur notre présence pour s'occuper de son horrible clébard, un berger allemand asthmatique du nom de Raoul. Pendant ce temps-là, elle et sa voisine partiraient en croisière au large de la Barbade où, entre deux baignades et trois visites d'îles, elles tâcheraient de trouver chacune de leur côté un amant assez vaillant pour réveiller leur lubricité émoussée.

D'abord, ce ne fut qu'une lointaine rumeur: une grève se préparait à la SNCF. Pas de quoi fouetter un chat. Les grèves dans cette entreprise étaient si courantes que de s'en inquiéter ne servait à rien. La plupart du temps, elles passaient inaperçues comme le changement du prix du timbre ou la nouvelle réglementation en matière de recyclage des déchets. Un épiphénomène sans conséquence.

Et puis, la rumeur est devenue une information, et l'information une certitude. Les contrôleurs cesseraient le travail, entraînant l'annulation d'une multitude de trains dont une bonne partie pendant les fêtes de Noël. À cet instant, quand pour la première fois j'entendis la nouvelle, je compris cette sorte d'extase assortie d'un sentiment d'irréalité qui doit s'emparer d'un gagnant au loto quand il compare ses numéros à ceux inscrits dans le journal. Un effarement. Une illumination. Le sentiment d'un cadeau de la providence, comme si Dieu en personne avait intercédé en votre faveur.

Encore fallait-il que son train soit concerné. Dire que j'ai passé des heures à prier pour qu'il le soit serait en-dessous de la vérité. Je ne priais pas, je suppliais. J'allumais cierge sur cierge, bougie sur bougie. Je traînais dans des églises, m'aventurais dans des mosquées, fréquentais des synagogues. Tous les dieux, je les implorais pour que le miracle se produise. Et puis, ma belle-mère nous a appris la terrible nouvelle: son train venait d'être annulé. Il fallait renoncer au réveillon. Alléluia!

J'avoue n'en être toujours pas revenu. Comment est-ce possible de se mettre en grève précisément pour Noël ou le Nouvel An? Comment une telle idée peut-elle naître dans le cerveau de personnes saines d'esprit? Comment peut-on arriver à concevoir, quel que soit son degré de lassitude ou d'exaspération, un pareil projet qui, de facto, condamne des personnes à renoncer à fêter en famille le réveillon? Ce n'est même plus du génie mais de la transcendance à l'état pur, le comble de la désinvolture portée à son incandescence la plus absolue!

Franchement, messieurs-dames les contrôleurs, chapeau bas. Au nom de mon chat et de ma santé mentale, je ne vous remercierai jamais assez pour cette action de grâce.

Noël, 2020, Covid, pas de belle-mère. Noël, 2021, Omicron, pas de belle-mère. Noël, 2022, grève des contrôleurs, pas de belle-mère. Pour Noël 2023, les paris sont ouverts! Météorite, extension de la guerre poutinienne, vague de choléra, innondation monstrueuse, fonte des Alpes, je prends tout.

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