Le micro de la rame du métro grésille. «Votre attention s'il vous plaît. Le trafic est perturbé sur toute la ligne 6 en raison d'un incident d'exploitation. Nos agents sont à votre disposition pour tout renseignement.»
La formule est courante, sa signification nébuleuse. «Incident d'exploitation», un mot-valise usé qui n'identifie pas le problème rencontré. Un flou d'autant plus perceptible avec la dégradation nette du service sur les lignes d'Île-de-France.
Un terme générique
«Un “incident d'exploitation” est un terme générique, utilisé dans l'information voyageurs en début d'incident par un informateur de la permanence générale, quand nous ne disposons pas d'informations plus précises», définit la RATP auprès de Slate. «C'est une formule diplomatique de plus en plus utilisée pour cacher les problèmes de circulation, quels qu'ils soient», estime quant à lui Michel Babut, vice-président de l'Association des usagers de transports.
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Le champ des incidents d'exploitation est large: panne technique d'une rame de métro ou de RER, manque de personnel, nombre insuffisant de trains lorsqu'ils sont retenus en maintenance, incident technique sur un système de signalisation ou au sein des locaux techniques, etc.
Même les «incidents voyageurs», théoriquement classés à part, peuvent entrer dans cette catégorie: usager blessé ou malade, rixe, forte affluence, animal sur les voies, chute accidentelle depuis le quai, jet d'objet sur les voies, objet abandonné, trainsurfing (soit le fait de voyager sur le toit d'un métro), voyageurs sur les voies, vol... La liste est longue.
Absence de chiffres précis
Chaque année, «plusieurs dizaines de milliers d'incidents» sont recensés, indique la RATP. «Ils sont inventoriés au fur et à mesure par les chefs de régulation des lignes de métro. Puis, ils sont corrigés et amendés les jours suivants en fonction des analyses réalisées.»
«C'est une formule diplomatique
de plus en plus utilisée pour cacher
les problèmes de circulation,
quels qu'ils soient.»
Interrogé sur le détail des chiffres, la typologie et la récurrence de ces incidents, l'établissement public botte en touche: «Le nombre d'incidents n'est pas un indicateur exhaustif pour analyser la qualité de l'exploitation: certains incidents n'ont aucun impact sur l'exploitation.» Sans chiffres à l'appui, la RATP assure par ailleurs qu'«une grande partie [des incidents d'exploitation] est notamment due aux voyageurs (colis suspects, objets abandonnés, malaise voyageur, malveillance/entrave, etc.)».
Tout objet abandonné peut notamment engendrer «jusqu'à une heure de retard» sur une ligne, assure la RATP. Pour réduire ce délai, l'établissement public a déployé, ces six dernières années, des campagnes de sensibilisation et travaille avec vingt équipes cynophiles prêtes à intervenir sur le réseau ferré. La truffe des limiers est dressée à détecter les explosifs au sein des colis suspects, et permet d'épargner la chronophage intervention des services de déminage. Résultat, «le temps moyen d'interruption de trafic par objet délaissé à bord des trains ou sur les quais est arrivé à quinze minutes en 2021, contre vingt-six minutes en 2016», se félicite la régie des transports.
Pour réduire les incidents d'exploitation, l'institution défend également son déploiement, avec Île-de-France Mobilité, d'«un grand plan d'investissement» afin de «rénover les matériels roulants, les systèmes de transport et la maintenance des infrastructures. Cette modernisation s'accompagne notamment de nombreuses commandes de nouveaux trains.»
Interrogée sur le nombre d'objets abandonnés répertoriés chaque année et sur les proportions d'incidents liés à des matériels roulants usés, la RATP a catégoriquement refusé d'avancer des chiffres pour défendre ses choix stratégiques. «Nous n'apporterons pas d'élément complémentaire», répondent laconiquement ses services aux relances de Slate.
Grève perlée
Un silence qui peut s'expliquer par la grève perlée menée par le personnel de maintenance de la RATP. Depuis fin octobre, les agents chargés de l'entretien et de la réparation des trains font tourner au ralenti leurs ateliers pour réclamer de meilleures rémunérations. Selon les syndicats, plus de la moitié des ateliers «sont ou ont été» en arrêt ces derniers mois. Cette mobilisation a des conséquences sur le nombre de rames de métro et de RER présentes sur les lignes, et multiplie le nombre d'incidents d'exploitation.
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Pour ne rien arranger, les décisions de Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, ont également dégradé le service des transports parisiens. Comme l'a documenté Mediapart, son autorité organisatrice des transports, Île-de-France Mobilités, a ainsi diminué la fréquence des bus, métros et RER commandés à la RATP, dans le but de faire des économies.
Dernier écueil, la RATP ferait face à une pénurie de machinistes, sur laquelle sa direction ne communique pas. Une habitude érigée au rang d'art selon plusieurs sources interrogées par Slate. «La RATP a la tradition d'être une boîte noire, qui aime bien travailler sans être dérangée, analyse un observateur des transports franciliens. Cette tendance s'est accrue sous la direction de Catherine Guillouard, présidente du groupe de 2017 à 2022. En dehors de la communication officielle, tout est jugé confidentiel.»