A la cathédrale et sur le parvis de Notre-Dame de Paris, plus de dix mille catholiques ont assisté, samedi 26 juin, à l'ordination sacerdotale de neuf nouveaux prêtres par le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris. L'éclat et la joie de cette célébration n'ont toutefois pu dissimuler la profonde dépression des chiffres du clergé ordonné cette année en France. Record historique: seuls 83 prêtres, dans moins de la moitié des cent diocèses français, ont été ou vont être ordonnés en 2010 pour toute la France. Ils étaient 90 l'an dernier, 98 en 2008, 101 en 2007. Le chiffre annuel des ordinations s'était stabilisé au-dessus de cent dans la décennie 1990-2000. Le diocèse de Paris lui-même, pourtant préservé, n'aura plus que trois prêtres à ordonner en 2011.
Cette chute n'a bien sûr que peu à voir avec la crise de pédophilie qui frappe l'image du clergé en France et à l'étranger. Elle est le fruit de tendances beaucoup plus anciennes et lourdes. Dans les années 1950, on ordonnait encore, chaque année, un millier de nouveaux prêtres. Les chiffres sont tombés à moins de 600 en 1960, à 285 en 1970, à 161 en 1975. Ils se sont stabilisés autour de 110 dans les années Jean-Paul II (1978-2005), avant de redescendre. L'entrée dans les séminaires a connu des décrochages identiques: en l'an 2000, la barre est passée pour la première fois en dessous du millier de séminaristes, contre plus de 5.000 au début des années 1960. Les séminaristes français ne sont plus que 700 aujourd'hui.
Un corps anémié
Les scénarios-catastrophes annoncés depuis des années sont en train de se réaliser. La France n'a jamais connu pareille pénurie de séminaristes et de prêtres. Pour un prêtre ordonné chaque année, il en meurt huit. Le clergé est un corps anémié, privé de sang neuf et régulier, tombé de 41.000 hommes, au début des années 1960, à 36.000 en 1975, à 20.400 en l'an 2000, à 15.000 aujourd'hui. Un clergé de plus en plus âgé et épuisé: la moitié des prêtres français a plus de 75 ans. Depuis des lustres, des diocèses ruraux n'ont plus ordonné un seul prêtre. Ils fonctionnent avec moins d'une cinquantaine de prêtres, certains, dans des régions très déchristianisées, moins d'une vingtaine.
L'inégalité entre diocèses urbains et ruraux ne fait que s'accentuer. En ville, il est encore possible de concentrer des moyens suffisants pour alimenter des réseaux actifs de chrétiens. On le voit dans les paroisses de centre ville à Paris ou à Lyon, mais dans les campagnes ou les petites villes, on est proche du seuil de rupture. Qu'il s'agisse des prêtres ou des pratiquants réguliers, les ressources humaines ne sont plus suffisantes pour redémarrer une vie paroissiale active. A Saint-Brieuc, terre catholique s'il en est, le diocèse comptait près de 1.000 prêtres en 1950. Ils ne sont plus que cent. Dans le diocèse de Strasbourg, en terre traditionnelle et concordataire, où le clergé est rémunéré par l'Etat, seuls deux cent prêtres sont encore en mission.
Jusqu'à la rupture
Il est peu d'exemples en France d'une telle mort sociale. Nombre de prêtres ont vu leur charge d'âmes doubler, tripler, quadrupler en quelques années. Dans la pyramide des âges, le grand creux est celui de la génération des cinquante à soixante-dix ans et c'est elle qui, comme par un effet mécanique, se trouve surinvestie de responsabilités. Un prêtre peut avoir la charge d'une grande paroisse de centre ville et, s'il est dans la force de l'âge, se voir confier aussi un service diocésain de catéchèse ou une responsabilité nationale. Des signaux sont régulièrement lancés sur leur santé physique et morale. Les évêques réalisent des tours de force pour amortir les chocs, mais sont impuissants quand leurs prêtres vont jusqu'à épuisement et craquent.
Comment en est-on arrivé là? Comment expliquer que cette glissade n'ait jamais pu être stoppée depuis un demi-siècle? Que les investissements engagés pour tenter d'étoffer un clergé étriqué n'aient pu sinon renverser, au moins corriger la courbe? On peut toujours invoquer des causes extérieures comme le déclin du statut du prêtre. Ou la rupture, dans les chaînes de transmission, avec des valeurs éducatives qui privilégiaient le don de soi, la générosité et la fidélité. Ou la peur des jeunes face à des engagements de vie durables, voire définitifs, comme le sacerdoce (ou le mariage!). Ou la fin des familles nombreuses, pourvoyeuses de vocations: si 80% des séminaristes viennent encore de familles catholiques de trois-quatre enfants, le vivier des familles nombreuses et pratiquantes, parmi lesquelles les séminaires et noviciats d'antan recrutaient, se rétrécit. L'intimidation qui pèse sur les jeunes croyants dans une société très laïcisée, l'obligation absolue du célibat, sans doute aussi les affaires de pédophilie expliquent enfin cette pénurie de vocations religieuses.
Lever les tabous des laïcs et du célibat
La survie passe par des réaménagements brutaux. Car les moyens mis en place jusqu'ici pour ralentir la crise n'ont servi que d'amortisseurs. La dégradation des chiffres est inexorable. Les efforts faits par l'Eglise pour mobiliser les jeunes chrétiens, pour regrouper des paroisses, pour former des laïcs (non-prêtres) et leur confier des responsabilités butent sur cette réalité: des besoins spirituels et sacramentels ne sont plus remplis. Les assemblées liturgiques sans prêtres, les funérailles présidées par des laïcs –et non plus par des prêtres– s'étendent. L'appel à des prêtres africains ou polonais n'est qu'un palliatif. L'impuissance actuelle s'explique par une discipline dissuasive –notamment la règle du célibat– et le frein serré sur une conception intangible du ministère ordonné. Il existe une crise d'identité du prêtre, du «ministère» ordonné –qui va bien au-delà du cas de la France.
L'idée d'ordonner prêtres ou diacres des laïcs d'expérience, hommes ou femmes, célibataires ou mariés, relève encore du tabou. Cette hypothèse, qui divise depuis longtemps l'Eglise, aurait pourtant pour premier mérite de dépasser les frustrations venues d'une frontière de plus en plus flottante entre le ministère ordonné de l'évêque et du prêtre –qui préside l'eucharistie, donne l'absolution, célèbre les baptêmes et les mariages–, celui du diacre permanent –qui peut prêcher, baptiser, marier, mais non célébrer l'eucharistie–, et celui des laïcs non ordonnés, affectés seulement à des tâches de services, de préparation et d'accompagnement.
Rien ne permet de prévoir, dans un avenir proche, un changement de la règle, mais la question de l'accès de laïcs, même mariés, au ministère ordonné est l'une de ces querelles byzantines dans lesquelles l'Eglise, depuis toujours, épuise ses énergies. Elle n'avait pas été traitée pour elle-même lors du concile Vatican II qui, au début des années 1960, n'avait pas mesuré le puits sans fond qu'est devenue la crise du clergé. Il en va autrement aujourd'hui. L'enjeu n'est ni plus ni moins que la présence et le rayonnement de l'Eglise dans les dix ans à venir, son maillage institutionnel, l'animation de ses communautés, la réponse aux demandes sacramentelles, la disponibilité de ses forces restantes, en un mot l'avenir de l'évangélisation, c'est-à-dire l'essentiel de sa mission.
La fin de la règle du célibat ne serait pas la panacée. Mais cette loi écarte du ministère nombre de jeunes catholiques qui ne peuvent pas l'accepter et aimeraient qu'au moins le choix soit laissé, avant l'ordination sacerdotale, entre le célibat et le mariage. Le célibat consacré rend le prêtre totalement disponible à Dieu et à son ministère. Mais que l'Eglise en fasse un article de foi, alors qu'il n'en est au plus qu'une discipline, variable dans le temps et dans l'espace, n'est plus compris de l'homme d'aujourd'hui.
Henri Tincq
Photo: une église en Champagne / Meanest Indian via Flickr License CC by
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