Santé / Société

Les soins palliatifs, parent pauvre de l'hôpital public français

Temps de lecture : 5 min

Vingt-six départements ne proposent aucun soin palliatif en France, et ceux qui le font ne disposent pas des moyens suffisants pour assurer cette mission. Alors que se tient en ce moment une convention citoyenne sur l'aide active à mourir, les soignants attendent surtout de l'investissement et une meilleure formation.

Certains internes ne connaissent pas la différence entre euthanasie et sédation profonde. | Olga Kononenko via Unsplash
Certains internes ne connaissent pas la différence entre euthanasie et sédation profonde. | Olga Kononenko via Unsplash

Chaque matin aux alentours de 9h, Julien*, médecin en soins palliatifs dans un hôpital parisien, doit classer les mourants: «Sur vingt-cinq demandes, je vais devoir trier, et deux patients seront pris en charge de manière adaptée.» Une sélection nécessaire face au manque de bras dans son unité de soins palliatifs (USP), où «85% des demandes en soins palliatifs n'étaient déjà pas acceptées, faute de moyens humains» avant la crise du Covid-19. Le problème se pose même de manière plus intense dans les territoires ruraux et d'Outre-mer: à ce jour, vingt-six départements, comme le Lot, la Mayenne ou encore la Guyane ne disposent d'aucune structure palliative en France.

Ces soins visent à soulager les douleurs physiques et psychiques d'une personne victime d'une maladie grave, évolutive ou terminale. Le droit aux soins palliatifs a beau être inscrit dans la loi depuis 1999, faute de moyens et de formation, deux Français sur trois meurent sans en avoir reçus, selon l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS). En 2020, la France disposait de seulement 2,4 lits d'unités de soins palliatifs pour 100.000 habitants, loin derrière la Belgique (3,4), le Royaume-Uni (4,2) et le Québec (10).

Médecins, aides-soignants, infirmières, psychologues… L'accompagnement de fin de vie demande du temps et l'intervention de nombreux acteurs du soin, auprès du patient comme des proches confrontés au deuil. Un travail «50% blouses blanches 50% humain», selon Julien. Lui vient en tête le cas d'une patiente atteinte d'un cancer en phase terminale qui n'avait pas informé ses proches de sa maladie: «Expliquer à une adolescente de 14 ans que sa mère va mourir d'un cancer, ça ne se fait pas en une heure.» Mais plutôt en cinq heures, avec l'intervention d'un assistant social et d'une psychologue pour gérer des soupçons de violences intra-familiales.

Plus loin que la loi Claeys-Leonetti?

Face aux difficultés structurelles de l'hôpital public, les équipes de Julien abordent avec «peur et appréhension» le débat sur l'aide active à la fin de vie, qu'elles considèrent comme une décision politique déconnectée de la réalité de terrain des soignants, déjà surchargés. Le constat est alarmant chez les équipes mobiles, opérant au domicile du malade: on compte une seule infirmière et moins d'un médecin pour 100.000 habitants.

Dans ce contexte, les soignants ont déjà du mal à appliquer la loi Claeys-Leonetti, qui autorise depuis 2016 la sédation profonde et continue jusqu'au décès. Un endormissement par sédatifs, réservé aux patients victimes d'une maladie incurable dont le pronostic vital est engagé à court terme.

Depuis septembre, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) veut aller plus loin. Il estime qu'«il existe une voie pour une application éthique de l'aide active à mourir, à certaines conditions strictes». Cette tentative d'élargissement de la loi relance le débat sur la légalisation de deux pratiques illégales en France. L'euthanasie, considérée comme un meurtre, est punie de trente ans de réclusion criminelle, et le suicide assisté de 45.000 euros d'amende et de trois ans d'emprisonnement.

Laurent Four, infirmier dans une clinique de La Grande-Motte (Hérault), est contre l'euthanasie. «En tant que soignant, on ne peut pas dire aux patients qu'on va prendre le temps de soulager leurs douleurs, et basculer d'un coup en proposant de les tuer.» Pour lui, le gouvernement opte pour le raccourci, au lieu de financer massivement les soins palliatifs. «C'est étrange, c'est comme si on préférait couper la jambe du patient plutôt que le soulager d'une gangrène!»

Ni moyens, ni formation

Le dernier plan national dédié aux soins palliatifs, achevé en 2018, n'a pas rempli tous ses objectifs, rapporte l'Inspection générale des Affaires sociales: «Alors qu'il était placé en tête des priorités du plan par la ministre de la Santé au moment du lancement, l'axe 4 sur la réduction des inégalités d'accès aux soins palliatifs a été mis en œuvre de façon très partielle.» Bien que 190 millions d'euros aient été investis en trois ans, seules six équipes mobiles de lits palliatifs ont été créées au lieu des trente-sept prévues, et rien n'a été mis en œuvre dans les territoires d'Outre-mer. Contactée à ce sujet, la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) n'a pas répondu à nos sollicitations.

Les regards se tournent désormais vers le cinquième plan national lancé l'année dernière, après trois ans de flottement. Objectif: plus un seul département sans offre palliative à l'horizon 2024. Une démarche peut-être trop ambitieuse avec une enveloppe de 19 millions inférieure à celle allouée au plan précédent. «Ce n'est pas un sujet qu'on prend à bras-le-corps», témoigne Michelle Meunier, sénatrice de Loire-Atlantique (PS), chargée d'évaluer le dernier plan dans un rapport sorti en 2021. Quatre ans après, «on est toujours au même point» et la recommandation d'instaurer un stage obligatoire pour tous les internes en médecine «est passée à la trappe».

«On reçoit une formation initiale de dix heures en soins palliatifs, pour un cursus qui va jusqu'à presque dix ans d'études.»
Julien*, médecin en soins palliatifs dans un hôpital parisien

Le problème de la formation est pourtant crucial, relève le rapport sénatorial, car les médecins sont «souvent moins bien formés aux soins palliatifs que les infirmiers». Entre 300 et 500 nouveaux médecins devraient être formés d'ici à 2024, «ne serait-ce que pour maintenir un niveau constant de prise en charge». Or la palliatologie ne fait toujours pas partie des quarante-quatre spécialités médicales proposées à l'université, ce qui pousse les internes à se former de leur côté.

C'est le cas de Julien, qui a étudié les soins palliatifs pendant deux ans en parallèle de son internat. «On reçoit une formation initiale de dix heures en soins palliatifs, pour un cursus qui va jusqu'à presque dix ans d'études. Les médecins ne gardent aucun souvenir de ces cours.»

Le temps de formation des internes aux soins palliatifs a été divisé par deux depuis la réforme du troisième cycle en 2019. La juriste Manon Lafon, spécialiste de la responsabilité médicale, a passé plusieurs semaines auprès d'équipes du CHU de Nantes (Loire-Atlantique). Elle découvre la méconnaissance des outils thérapeutiques: «Des internes exerçant dans d'autres services se sont retrouvés confrontés à des situations de fin de vie, sans toujours connaître la différence entre euthanasie et sédation profonde et continue jusqu'au décès.» La première est illégale, et consiste à provoquer intentionnellement la mort du patient, la deuxième se traduit par un endormissement jusqu'à la mort naturelle, autorisée depuis 2016. «Ils avaient peur d'aller en prison, de ne pas effectuer les bons gestes. Ils avaient besoin d'être formés.»

Avec la convention citoyenne sur l'aide active à mourir, Julien craint de ne plus pouvoir refuser les demandes d'euthanasie: «Accueillir un patient pour qu'il décède quelques heures après, c'est traumatisant pour les soignants. Même lorsqu'on est habitués à la perte.» Depuis le 9 décembre et jusqu'à la mi-mars, 180 Français tirés au sort débattent du cadre actuel de la loi Claeys-Leonetti pour aboutir à sa potentielle évolution, voulue par Emmanuel Macron pour 2023.

*Le prénom a été changé.

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