Société

Comment choisit-on nos signatures?

Temps de lecture : 4 min

Entre identification autographe et mise en scène de soi graphique, une signature authentique débute souvent par une imitation.

La signature remplit une double fonction d'identification et d'affirmation de soi à travers le geste réalisé à la main. | Cytonn Photography via Unsplash
La signature remplit une double fonction d'identification et d'affirmation de soi à travers le geste réalisé à la main. | Cytonn Photography via Unsplash

Je devais être en primaire lorsque j'ai choisi ma première signature, sans doute pour signer ma carte d'identité. C'était un truc d'adulte, alors il fallait trouver quelque chose de sérieux, un signe qui donne l'impression d'avoir été fait dans le rush, mais où mon nom reste lisible.

Ma mère m'a proposé de faire comme elle, et de commencer par l'initiale de mon prénom avant d'écrire mon nom en toutes lettres. Résultat: une signature de pseudo-femme d'affaires légèrement tremblotante, qui ponctuera d'un ton formel mes lettres d'enfant et ma carte de membre du club des Petites sorcières. Mais où trouve-t-on l'inspiration, au moment de créer le signe qui validera des documents officiels tout au long de notre vie? Retour sur l'histoire de la signature et ce que nous mettons de nous dans ces signes, esquissés d'un geste rodé par l'habitude.

Sceaux et cachets

Si la signature telle qu'on la connaît aujourd'hui apparaît autour du XIIIe siècle pour progressivement se substituer au sceau, l'identification à travers un signe est bien plus ancienne. «On retrouve des sceaux et des cachets depuis la haute Antiquité, en Mésopotamie», retrace Vincent Denis, maître de conférences à la Sorbonne et spécialiste de l'histoire sociale de l'État et de l'histoire de l'identification des personnes.

Ce que l'on appelle le «seing» (ou signe) au Moyen-Âge englobe alors une galaxie d'éléments graphiques qui permettaient aux individus de valider des documents, contrats et transactions, allant de la croix à l'empreinte digitale en passant par le sceau et le cachet.

Au XVIe siècle, certaines signatures sont ainsi directement rattachées à des groupes professionnels, à l'instar de celles des notaires, qui sont souvent agrémentées de hachures. Les signatures particulièrement appliquées et lisibles, écrites en toutes lettres, témoignent quant à elles plutôt d'un illettrisme. «La signature est un véritable espace de liberté laissé à l'individu, c'est une constante jusqu'à nos jours. Elle a ses règles, mais elle reste une pratique très libre et choisie, et a pour particularité de nous relier à un ordre graphique qui a aujourd'hui disparu», pose Vincent Denis.

Création sur fond de plagiat

Si la signature ne devient une obligation légale qu'à la majorité, lorsqu'une personne devient sujet de droit et n'est plus sous l'autorité de son tuteur légal, nombre d'individus choisissent de s'identifier graphiquement bien plus tôt.

C'est autour de ses 13 ans que Manon a ressenti le besoin d'avoir sa propre signature. Habituée à signer le dos des chèques de son père, médecin, avec lui à chaque fin de mois, elle s'inspire naturellement de sa façon de faire. «J'ai commencé à faire une sorte de A comme mon père, certainement en me disant que je deviendrais médecin moi aussi. Il s'est avéré que je ne fais pas du tout le même métier que lui, et que je n'ai plus la même signature. Pendant mes années lycée, j'ai essayé de copier la signature de ma mère qui est juste inimitable, et j'ai finalement créé une signature qui lui ressemble.»

L'histoire de la signature de Stéphanie, elle aussi, mêle inspiration parentale et plagiat, le tout sur le carnet de correspondance. «Je me suis entraînée tellement de fois à imiter la signature de ma mère pour ne pas aller en cours que maintenant, la mienne ressemble à la sienne. Ça me fout la rage, parce que j'aimerais en avoir une à moi mais par automatisme, je reproduis toujours la sienne.»

Alors que la signature des parents fait autorité et que les sorties du collège pour aller acheter des bonbons entre midi et deux dépendent de ce petit griffonnage, de nombreux adolescents expérimentent d'abord la signature à travers celle de leurs parents. Mais échapper à une heure de colle grâce au plagiat nécessite tout de même de prendre un certain coup de main: de manière générale, les signatures ont pour point commun d'être exécutées automatiquement et à la va-vite.

S'affirmer dans sa signature

«Le rôle de la signature est performatif, elle atteste de la présence de la personne signataire par l'empreinte qu'elle laisse, convient Vincent Denis. Ce qui a changé dans l'histoire récente, c'est que l'on insiste beaucoup plus sur l'autographie de la signature et sur la cursivité. Par convention sociale, une signature n'est pas bien exécutée, et son caractère cursif met en scène le fait qu'elle ait été exécutée à la main. À l'époque carolingienne, les signatures étaient extrêmement bien calligraphiées, faisaient 20 centimètres de large… On ne les fait plus comme ça.» La signature remplit ainsi une double fonction d'identification et d'affirmation de soi à travers le geste réalisé à la main.

«Je me suis entraînée tellement de fois à imiter la signature de ma mère pour ne pas aller en cours que maintenant, la mienne ressemble à la sienne.»
Stéphanie

Une fois définie et apposée sur des documents officiels, la signature est censée rester la même, afin de remplir son objectif d'identification. En théorie du moins, car dans les faits, il est convenu qu'une signature évolue, elle est amenée à changer au fil des ans et de l'habitude. Il est également possible de changer radicalement sa signature pour une nouvelle flambant neuve, à condition d'acter ce changement lors d'un renouvellement de papier d'identité et d'en notifier sa banque, qui enregistrera le nouveau modèle. La démarche est notamment utile après avoir perdu certaines facultés physiques, sans lesquelles il serait impossible d'exécuter son ancienne signature.

Désormais âgée de 27 ans, Manon réfléchit toujours à changer sa manière de s'identifier sur le papier, processus qu'elle n'a jamais vraiment terminé. «J'ai vraiment honte quand des gens voient ma signature d'enfant qui ressemble à un gribouillis, j'ai du mal à l'assumer. J'ai encore essayé de la changer dernièrement, mais ça fait tellement de temps que je l'utilise que je suis incapable de faire autrement.» Tant pis pour l'esthétique du geste, c'est l'habitude qui primera.

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