Sports

Il était une fois le jeu décisif

Temps de lecture : 6 min

Le match Mahut-Isner, rencontre de tous les records, représente tout ce que Jimmy Van Alen, inventeur du tie-break, détestait.

Jimmy Van Alen n'aurait pas aimé. Vraiment pas. Cet Américain, décédé en 1991 à l'âge de 88 ans, aurait probablement affiché son dégoût, en effet, à la vue de ce premier tour de Wimbledon entre l'Angevin Nicolas Mahut et l'Américain John Isner, commencé, mardi 22 juin, dans le relatif anonymat du court n°18 puis entré dans l'histoire du jeu, et du sport, au terme d'un invraisemblable scénario dont on a connu le dernier rebondissement jeudi 24 juin 2010 à 16h47 (17h47 en France). Isner l'a remporté face à Mahut 6-4, 3-6, 6-7, 7-6, 70-68.

Ce match, dont on pouvait se demander sérieusement s'il aurait une fin, a été arrêté par la nuit, mercredi 23 juin, à 21h11, heure de Londres. Il avait déjà été interrompu la veille, toujours par l'obscurité, alors que les deux hommes en étaient à deux sets partout. Mais la cinquième manche, entamée mercredi sur les coups de 14h, s'est transformée en un interminable voyage au bout de la nuit qui fait de ce match la rencontre de tous les records.

Isolons-en quelques-uns.

• Isner avait gagné le premier set et a obtenu quatre balles de match dans la cinquième manche. A l'issue de la partie, 183 jeux ont été joués (118 pour la seule journée de mercredi), soit le plus grand nombre de jeux jamais disputés dans un simple. Pancho Gonzales et Charlie Pasarell détenaient le précédent record avec 112 jeux, à Wimbledon, déjà, en 1969.

• Jamais un set n'avait comptabilisé 138 jeux. En Grand Chelem, le précédent record (48, 25-23) était la propriété de John Newcombe et Marty Riessen.

• Jamais un match n'avait été aussi long. A la reprise jeudi, nous en étions exactement à 10h de jeu, au final, la partie aura duré 11h05. Arnaud Clément et Fabrice Santoro, qui avaient bataillé pendant 6h33 à Roland Garros en 2004, sont complètement surclassés. Le cinquième set a déjà duré 8h11, soit 1h38 de plus que le match record Clément-Santoro.

• Jamais autant d'aces n'avaient été servis dans un match: 112 pour Isner, 103 pour Mahut. Ivo Karlovic se croyait à l'abri avec ses 78 aces frappés en 2009 lors d'une rencontre d'une coupe Davis. Aux oubliettes!

Ces statistiques sont d'autant plus affolantes que les records qui tenaient depuis 1969 avaient été réalisés à une époque où n'existait pas le tie-break et où il fallait donc deux jeux d'écart dans chaque set pour départager les champions. En 1969, Gonzales avait ainsi dominé Pasarell sur le score de 22-24, 1-6, 16-14, 6-3, 11-9.

Et c'est justement devant ce qu'il estimait être une hérésie –«cette abomination des matchs qui ne finissent pas», disait-il- que Jimmy Van Alen avait décidé de réagir en inventant le tie-break devenu jeu décisif dans la langue française au début des années 1990 par le volonté de Philippe Chatrier, l'ancien président de la fédération française et internationale.

Tie-break utilisé pour la première fois à l'US Open en 1970. La première évolution sérieuse des règles du jeu qui n'avaient pas bougé depuis 127 ans.

Sacré personnage que Jimmy Van Alen, richissime personnage de Newport, dans le Rhode Island, région où avait été construit le premier court aux Etats-Unis à la fin du XIXe siècle. Van Alen, dont la fortune était colossale, était le propriétaire du casino de Newport, lieu où étaient proposés à la clientèle plusieurs courts en gazon. Et c'est sur ces courts que ce un fou de tennis organisait chaque année un tournoi sur invitation auquel participaient les meilleurs joueurs de l'époque.

L'édition 1954 eut raison de sa patience et déclencha sa croisade pour des matchs raccourcis. Ham Richardson y domina Straight Clark sur le score de 6-3, 9-7, 12-14, 6-8, 10-8. «Mais tout le monde voulait voir le match qui suivait, raconta Jimmy Van Alen. La finale du double avec les grands Australiens qu'étaient Neale Fraser, Lew Hoad et Ken Rosewall. Hélas, ce simple atroce a tellement duré qu'il a fallu déplacer le double sur un court secondaire.» Sacrilège supplémentaire: le cocktail du soir était passé à la trappe toujours à cause de ce «simple atroce».

Il fallait prendre des mesures! Jimmy Van Alen n'allait plus arrêter son lobbying à travers ce qui fut appelé à l'époque le VASSS, pour Van Alen Streamlined Scoring System. Son obsession était de réduire la durée des rencontres par tous les moyens. Il songea d'abord à des sets joués selon un système de comptage voisin du ping-pong -le premier à 21 points gagne le set, chacun servant cinq fois de suite. Sans succès. «Pasteur pasteurized milk, I will VASSSify tennis», pérorait-il néanmoins en ajoutant que si le tennis n'était pas si populaire qu'il devrait l'être aux Etats-Unis, il n'avait qu'à s'en prendre à lui-même et à ses règlements d'un autre âge.

Comme il avait les moyens et comme il était têtu, il eut l'idée alors d'«acheter» les meilleurs joueurs de la planète -Rod Laver, Lew Hoad, Pancho Gonzales- et d'organiser pour eux des tournois où il établissait ses propres règles de comptage (suppression de la règle de l'avantage à 40A, jeu décidé sur un seul point à 30A...) afin de marquer les esprits pour que ses idées cheminent.

Parmi ses lubies existait aussi sa volonté d'éradiquer les termes de love (15 love) et de deuce (égalité), imposés selon lui aux Américains par les Anglais en 1873 et qui ne voulaient rien dire. Il en fit même un poème.

The French think English crazy
For the way they score at tennis
To claim that 'love' means nothing
To a Frenchman makes no sennis
"Love all" the English umpire cries
And means a double zero
What more's required to prove
The English thinking's out of gear-o?
It's true that 'l'oeuf' means 'egg' in French
And sounds like "love" in English
But Frenchmen claim a moron should
Be able to distinguish
For love is love the world around
And zero's always zero
And they who claim they mean the same
Must be a trifle queer-o.

Son lobby fut intensif pendant des années et finit par atteindre sa cible. Après moult formules, l'une de ses idées, celle de la «mort subite», attira l'attention de Mike Blanchard, le juge arbitre de l'US Open et l'un de ses proches amis, soucieux de faire plaisir à la télévision américaine qui ne pouvait pas organiser sa grille de programmes à cause de ces matches à rallonge.

En 1970, pour l'édition de l'US Open, Blanchard accepta donc l'idée de ce qui fut appelé aussitôt tie-break (terme existant dans d'autres jeux), mais oublia d'en avertir les joueurs prévenus à la dernière minute et qui signèrent –en vain– des pétitions pour l'interdire.

La règle était la suivante: à 6 jeux partout, les joueurs disputent un tie-break qui ne peut pas dépasser neuf points, c'est-à-dire qu'à quatre points partout, celui qui gagne le point suivant gagne le set. La pilule eut du mal à passer auprès de joueurs pour qui l'idée de pouvoir perdre un match sans perdre son service était impensable.

Cette règle des neuf points fut utilisée pendant cinq ans aux Etats-Unis, avant l'adoption du système actuel: le premier à sept points avec deux points d'écart l'emporte. Le monde adopta rapidement le tie-break avec des variables. Pendant longtemps, le tie-break n'entra en vigueur qu'à 8 jeux partout à Wimbledon. En 1979, l'uniformité fut adoptée.

Van Alen avait gagné et fut tout heureux de célébrer le 10e anniversaire de son invention par le célèbre tie-break de la finale de Wimbledon entre Björn Borg et John McEnroe en 1980. Tie-break de légende remporté 18 points à 16 par McEnroe.

Van Alen a laissé un autre héritage. Le casino de Newport abrite désormais le Hall of Fame du tennis, lieu où sont intronisés, chaque année en juillet, les légendes du jeu au sein de ce formidable musée dédié au tennis. Ironie de son histoire: Van Alen mourut le 3 juillet 1991, jour de la demi-finale de Wimbledon entre l'Allemand Michael Stich et le Suédois Stefan Edberg, battu 4-6, 7-6, 7-6, 7-6 et victime en quelque sorte de Jimmy Alen puisqu'il s'inclina... sans avoir perdu une fois son service. «S'il n'avait pas vécu, Michael et moi serions peut-être encore en train de jouer», préféra déclarer poliment le Suédois.

Van Alen, qui aurait souhaité tant d'autres innovations afin d'accélérer le jeu, n'a pas eu gain de cause jusqu'au bout, puisqu'à l'exception de l'US Open, tous les tournois du Grand Chelem ont refusé d'adopter le principe du tie-break lors d'un cinquième set où la règle des deux jeux d'écart reste la norme. Un test pour les nerfs et l'endurance comme peuvent l'attester Nicolas Mahut et John Isner.

Yannick Cochennec

Photo: Nicolas Mahut le 23 juin 2010. REUTERS/Suzanne Plunkett

(24/06/10: Article mis à jour avec la victoire d'Isner)

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