France

L'affaire Kerviel comptée par Daniel Bouton

Temps de lecture : 5 min

PROCÈS KERVIEL - Daniel Bouton, l'ancien PDG de la Société Générale, est venu dire deux choses essentielles: la banque a été défaillante et elle a failli disparaître en janvier 2008.

Daniel Bouton ne souhaitait pas venir témoigner au procès de Jérôme Kerviel qui se déroule devant la 11e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris. Il avait écrit une lettre en ce sens au président Pauthe. Il est finalement venu à la demande d'une partie civile de raccroc. Il a eu raison de se présenter.

Mea culpa et grosse frayeur

Il est venu dire deux choses essentielles: la banque a été défaillante et elle a failli disparaître en janvier 2008. Depuis deux semaines, le camp de la Société Générale défend la banque bec et ongle. Claire Dumas, la mère de famille choisie pour représenter l'institution, Mes Veil, Martineau et Reinhard... Tous s'activent à répondre à la question posée –l'affirmation assénée– par le camp adverse: la banque savait. Certes, elle a vu, mais pas compris. Des alertes, il y en a eu tant et plus et aucune n'a fonctionné. Daniel Bouton avait ce mardi des allures de Napoléon au milieu du champ de bataille aux environs de Waterloo.

Les défaillances sont de plusieurs ordres. Il y a d'abord eu une défaillance du contrôle hiérarchique. Il y a eu un défaut de surveillance du nominal des opérations et dans la centralisation des alertes. Le cumul de ces trois faiblesses débouche sur le fait que la Société Générale n'a pas vu.

Le mea culpa est posé. Puis, il reprend le film des événements du week-end du 19 au 20 janvier 2008. La fraude de Jérôme Kerviel est mise au jour au fil des heures. Les fausses écritures succèdent aux montants «monstrueux», «monstrueux», répète-t-il, comme si l'adjectif gagnait en force en étant répété. Les profits dissimulés viennent ensuite. Mais ce que Daniel Bouton découvre est plus important. D'abord, «le système des contrôles n'est pas fiable» et ensuite la banque peut disparaître.

Nous ne pouvions pas supporter une position de 50 milliards, non pas pour une question de fonds propres, pas pour une question de ratio, mais parce que ce n'est pas possible, nous ne pouvons supporter l'existence même d'une position de 50 milliards, parce que vous perdez la confiance [des investisseurs, des marchés des actionnaires].

Dimanche matin, nous apprenons qu'il y a une position de 50 milliards, 10 étages de plancher s'effondrent sous nous. Mais la question qui vient c'est: et s'il y en a d'autres de 100 milliards... Une des possibilités, c'est la disparition de la banque.

L'après-midi, différents scénarios sont envigés, dont la mise sous protection de la banque de France –un scénario comparable à celui de Lehman Brothers. Plus aucune banque n'accorde de crédits à Lehman qui ne peut faire face à ses engagements et doit se déclarer en faillite.

En janvier 2008, la Société Générale a donc failli connaître le scénario qui emportera la banque new-yorkaise en septembre de la même année. Une autre sortie de crise sera finalement mise en œuvre avec le débouclage entre le lundi 20 janvier et le jeudi 24 janvier, la perte de 4,9 milliards rendue publique en même temps que les deux lettres d'engagement de JP Morgan et de Morgan Stanley. Les deux banques américaines suivront l'augmentation de capital et affichent donc leur confiance à la Société Générale, lui évitant le pire des scénarios.

Le calme du déboucleur

A l'audience, le matin, avant Daniel Bouton, Maxime Kahn –look d'ancien rocker égaré dans une salle de marché avec les cheveux en bataille et les rouflaquettes de bellé taille– a dit la même chose. C'est lui le «déboucleur» appelé tard dimanche soir pour venir tôt le lundi matin. Dès 9h, il vend. Pas trop vite pour ne pas trop peser sur les marchés. Il vend. Une responsable de la banque lui donne le rythme par SMS, il creuse un trou de plus de 6 milliards auquel on retirera les 1,4 milliards gagnés par Jérôme Kerviel au 31 décembre 2007.

On lui a dit qu'il s'agissait de la position d'un client. Rapidement, il comprend que c'est la banque elle-même qui est engagée à hauteur de 50 milliards. «Avec une position de cette ampleur, la banque était en faillite potentielle», lâche-t-il calmement. «Dans le meilleur des cas, nous aurions pu économiser 1,5 milliard d'euros. Dans le pire des scénarios, on perdait jusqu'à 29 milliards», poursuit-il avec le calme du déboucleur.

Encore une fois: qui êtes-vous Monsieur Kerviel?

Alors que Daniel Bouton a quitté la salle des Criée où se déroule le procès, emportant avec lui une foule de journaliste, le président Pauthe appelle Jérôme Kerviel à se lever. Il attend que le calme revienne. Un long silence va donner du poids aux paroles du magistrat qui regarde filer les derniers poursuivants de l'ex-patron de la Société Générale.

Monsieur Kerviel, le tribunal n'a pas été avare en effort d'écoute...

Un silence vient encore ponctuer l'interrogation.

Il ne s'agit pas de revenir sur les faits. Mais je voudrais reposer une question que je vous ai posée le premier jour des débats: qui êtes vous donc?

Le «donc» est plombé, presque suppliant.

Après, il sera trop tard, vous n'aurez plus la parole.

Robotiquement, Jérôme Kerviel reprend son discours ressassé d'élève pris en faute.

Je suis quelqu'un qui a essayé de faire son travail du mieux possible dans l'intérêt de la banque. C'est pas comme ça que ça a été perçu. Je reconnais ma part de responsabilité...

Le président tente:

Mais enfin, vous vous rendez compte des conséquences que cela aurait pu avoir pour les salariés?

Mais on n'en avait rien a faire, on était là pour faire du fric.

La phrase maintes fois reprise paraît un peu plus cynique à chaque fois... Et Kerviel ajoute:

Mais ces gens [les salariés de la SocGen durant le procès, NDLR] m'assurent de leur soutien, ils me disent qu'ils sont persuadés que la hiérarchie savait.

A ce moment du procès, on se dit que Jérôme Kerviel croit un peu trop en son étoile. Il a l'arrogance de l'enfant qui ne sait pas qu'il risque de retourner en prison.

Philippe Douroux et Bastien Bonnefous

Photo: Daniel Bouton quitte la salle du tribunal, le 22 juin 2010. REUTERS/Gonzalo Fuentes

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