France

Procès Kerviel, l'heure du bilan

Temps de lecture : 7 min

PROCÈS KERVIEL - Que sait-on de l'affaire Kerviel à trois jours de la fin du procès?

Après plus de deux semaines de débats, le procès de Jérôme Kerviel touche donc à sa fin. Alors que débutent mercredi après-midi les plaidoiries des parties civiles, suivies du réquisitoire et de celles de la défense, qu'a-t-on réellement appris de ce procès devant la 11e chambre correctionnelle du tribunal de Paris, au fil d'audiences souvent plombées par un jargon boursier? Bilan d'étape.

1- Les faits reprochés à Kerviel

Poursuivi pour «faux et usage de faux», «abus de confiance» et «introduction frauduleuse de données fictives dans un système informatique», l'ancien trader âgé de 33 ans encourt jusqu'à cinq ans de prison et une amende de 375.000 euros. Devant le tribunal, Kerviel a clairement reconnu les faits: avoir pris, entre 2007 et 2008, des positions faramineuses de plusieurs dizaines milliards d'euros sans en avoir au préalable clairement informé sa hiérarchie de la salle des marchés de la Société Générale, et en les «masquant» dans les comptes par des «deals fictifs». Mardi soir, prenant une dernière fois la parole avant le sprint final, Jérôme Kerviel l'a répété:

Je reconnais et j'assume mes fautes, c'était complètement idiot.

Mais, à chaque fois, il tente d'atténuer sa responsabilité par des arguments psychologisants –«J'étais pris dans une spirale», «J'étais dans le virtuel»– ou systémiques –ses chefs directs «ne pouvaient pas ne pas savoir». Mardi encore:

Le trader isolé, personne au courant de rien, ce n'est pas crédible non plus. Tout était contrôlé, j'agissais au vu et au su de tous.

Excédé, le procureur Jean-Michel Aldebert a mis les points sur les i avec le prévenu le 16 juin.

JMA: Je vais poser des questions simples auxquelles je vous demande de répondre simplement. Avez-vous passé des opérations fictives? Avez-vous donné de fausses explications?
JK: Des explications pas crédibles, oui.
JMA: Avez-vous fabriqué de faux e-mails?
JK: Oui.
JMA: Avez-vous pris des positions de plusieurs milliards d'euros qui n'étaient pas dans votre mandat?
JK: C'est dans mon mandat quand je gagne de l'argent, ça ne l'est plus quand j'en perds.
JMA: Bien. Il s'agit donc de faux, usage de faux et d'abus de confiance, M. Kerviel.

2 - Le contrôle de la banque

Il aura fallu plusieurs audiences pour commencer à voir un peu plus clair dans le «maquis informatique» de la SocGen. La lumière n'est hélas pas venue des hautes sphères de la banque –les fameux «n+5», «n+6» ou «n+7» de Jérôme Kerviel– mais de ses supérieurs plus proches dans la chaîne de commandement des tours jumelles de La Défense. Le 21 juin, Eric Cordelle et Martial Rouyère, «n+1» et «n+2» du trader, ont fini par reconnaître devant le tribunal la faiblesse des contrôles internes de la banque:

Pas de limite en «nominal» imposée aux traders sur les opérations engagées.

Pas de «reporting» quotidien sur l'activité de chaque trader en 2007.

Un simple contrôle mensuel des fichiers «trésorerie» des traders.

«Pas de connaissance» des transferts de trésorerie entre traders...

Le 22 juin, l'ancien PDG lui-même de la banque, Daniel Bouton, est venu reconnaître les «défaillances» dans le «contrôle hiérarchique» et l'absence de «centralisation des alertes». Des légèretés qui ont coûté cher à la SocGen et également à plusieurs de ces «n+...», pour la plupart licenciés après la découverte de l'affaire Kerviel en janvier 2008. Mais ces managers ont tenté de se justifier par la charge de travail très importante sur les différents desk, le manque d'effectifs, les activités toujours plus nombreuses à développer... «Des urgences, il y en avait déjà des dizaines d'autres», a expliqué au tribunal Eric Cordelle.

Surtout, si ces banquiers n'ont pas envisagé la moindre fraude de la part de Kerviel, c'est parce que la «culture de la fraude» n'entrait pas dans la culture d'une salle des marchés. «Pour aller vérifier, il aurait fallu suspecter une fraude», a avoué Cordelle, ajoutant qu'«on n'était pas dans une agence bancaire où un employé peut partir avec la caisse». «Il n'y avait pas suffisamment de méfiance à la Société Générale», a ajouté Daniel Bouton, filant la litote.

Un comportement qui tend à accréditer une certaine naïveté ou incompétence de la part de la Société Générale, mais qui, en revanche, semble l'exonérer de toute «complicité par abstention», comme l'affirme Jérôme Kerviel. Léger oui, complice non.

3 - Un prévenu insondé

Principal loupé du procès: le tribunal est passé à côté du prévenu Kerviel. Après trois semaines de débats, il ressort finalement peu d'informations sur l'homme Kerviel, sa personnalité, son profil, ses motivations... La SocGen a tenté de le faire passer pour un «criminel» à tendance «terroriste», mais sans jamais pouvoir avancer le moindre «mobile» à ses actes démentiels. Seul Daniel Bouton s'y est essayé, suggérant l'appât du gain et la recherche du «bonus maximisé». «Ma motivation n'était pas financière», a répondu Kerviel, répétant à l'envi avoir simplement «essayé de faire (son) travail le mieux possible» dans le but de «faire gagner le maximum d'argent à mon employeur». Peinant à fendre l'armure, le trader qui se décrivait avant son procès comme «Mister Nobody», a affirmé qu'«il n'y a pas de mystère Kerviel, simplement une affaire Kerviel».

Au final, chaque partie a perdu la bataille d'images. Par son arrogance à de multiples moments du procès, Kerviel n'a pas réussi à convaincre en victime expiatoire et bouc émissaire de la méchante banque rouge et noire. Par sa volonté d'être immaculée et irréprochable, la Société Générale a inévitablement renforcé le sentiment anti-banque qui court dans toute société, surtout en temps de crise économique.

4 - Un milieu insondable

Les uns après les autres, les témoins –pour l'essentiel d'actuels ou anciens traders de la banque– ont défilé à la barre pour décrire le monde idyllique et merveilleux de la finance. Un monde où l'on travaille plusieurs heures par jour, mais où personne ne se connaît. Un monde où on brasse des millions d'euros, mais avec calme, retenue et sans éclat de voix. Dans ce bal d'hypocrites, seuls deux témoins ont parlé avec sincérité.

Le 11 juin, Benoît Taillieu, un ancien trader qui travaillait sur les mêmes activités que Jérôme Kerviel entre 1999 et 2006, a mis les pieds dans la corbeille. Il a expliqué que «la hiérarchie directe» du Breton «ne pouvait ignorer» ses agissements puisque Kerviel opérait hors-mandat. «C'est un peu comme si votre mandat est d'acheter une tonne de fraises, que vous stockez cinq tonnes de pommes de terre et que personne ne s'en inquiète», résume Taillieu.

Quatre jours plus tard, le 15 juin, Taoufik Zizi pénètre dans la salle des criées. Lui est l'ancien «assistant» de Kerviel à la SocGen. Ce centralien de 26 ans a travaillé pendant six mois aux côtés du trader qui lui a «appris le métier». S'il n'a pas tout vu, ni tout compris –Kerviel se gardant bien de l'affranchir, comme tout senior vis-à-vis d'un junior dans le milieu boursier– il a semble-t-il saisi l'essentiel. «On ne pouvait pas ne pas voir qu'il passait des ordres à longueur de journée», explique-t-il, ajoutant que «gagner un million d'euros sur une journée (comme Kerviel parfois, NDLR), c'était inhabituel».

Pire, «entre collègues, on se disait qu'il prenait quand même beaucoup de risques», enfonce Zizi. Mais pas facile de se dresser face à Kerviel qui «était très impressionnant», mieux que ça même, un «trader considéré comme une star». Embauché par la Société Générale en juin 2007, Taoufik Zizi a été licencié en octobre 2008, soit neuf mois après le scandale Kerviel. «Mon licenciement a forcément à voir avec l'affaire et au fait que j'ai dit ma vérité», déclare-t-il au tribunal.

Bastien Bonnefous et Philippe Douroux

Photo: Jérôme Kerviel, le 22 juin 2010. REUTERS/Gonzalo Fuentes

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