La situation peut sembler incongrue: dans les vallées alpines, des élus écologistes s'opposent de longue date à la construction d'une ligne de train. Voué à relier l'Auvergne-Rhône-Alpes au Piémont italien, le tunnel ferroviaire Lyon-Turin suscite le débat: sa réalisation accuse quinze ans de retard et son coût a explosé de 85% selon la Cour des comptes européenne. Son promoteur, Tunnel Euralpin Lyon Turin (TELT), défend toujours que l'ouvrage permettra de reporter le fret des routes vers le rail, décarbonnant ainsi les flux de marchandises transfrontaliers. Pourtant, le bilan carbone du chantier laisse à désirer.
Le TELT estimait en 2012 que la construction de la liaison transfrontalière générerait 10 millions de tonnes d'équivalent CO2 (teqCO2). En se basant sur les estimations de trafic du maître d'ouvrage, la Cour des comptes européenne a conclu que les émissions du Lyon-Turin ne seraient compensées que vingt-cinq ans après son entrée en service. À condition que les projections présentées n'aient pas été surévaluées, nuance l'institution: «Cette prédiction dépend en outre des volumes de trafic: s'ils n'atteignent que la moitié du niveau prévu, il faudra cinquante ans à partir de l'entrée en service de l'infrastructure avant que le CO2 émis par sa construction soit compensé.»
Un exemple et un doute parfois utilisés par les défenseurs de l'aviation pour alourdir la facture carbone des trains. Avec raison?
Tenir compte des émissions pour produire l'énergie
D'abord, il faut rappeler les ordres de grandeur. Selon le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), 15% des émissions mondiales de CO2 sont produites directement par le secteur des transports. Plus encore si on y inclut les émissions indirectes: production d'énergie et construction des infrastructures. Car l'artificialisation des sols et la destruction de zones humides empêchent la captation du CO2 par ces puits à carbone. Toujours selon le résumé technique du GIEC, 70% des émissions sont issues des transports routiers, 12% de l'aviation, 11% des transports maritimes, et 1% des transports ferroviaires.
Premier facteur à prendre en compte pour estimer les émissions: l'usage et l'origine des énergies des différents transports. «C'est-à-dire la combustion, ainsi que les émissions liées à l'amont des énergies, détaille Nicolas Meunier, expert mobilité au sein du cabinet Carbone 4. Pour les transports propulsés par l'électricité, il s'agit par exemple des émissions de fabrication des parcs nucléaires et renouvelables. De la même manière dans le diesel, il faut prendre en compte l'extraction, le raffinage et le transport du pétrole.»
C'est d'ailleurs sur ces critères qu'est basé le calculateur d'émission carbone de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), qui permet de calculer l'empreinte carbone de tout voyage, mais ne prend pas en compte la construction des véhicules ni celle des infrastructures.
Pour calculer l'empreinte carbone des différents transports, «prendre en compte les émissions de construction des aéroports et du rail, ça ne sert à rien lorsqu'on raisonne à court terme pour son prochain voyage», tranche Nicolas Meunier. Les émissions de construction des infrastructures ferroviaires ont déjà été émises et sont à terme amorties par le report de voyageurs vers ce transport bas-carbone, là où les infrastructures aéroportuaires et routières continueront de servir à des véhicules dont les technologies ne permettent pas aujourd'hui d'en réduire l'impact.
Des effets sur le climat hors CO2
À trajet équivalent, «l'avion est 40 à 130 fois plus émetteur que le train, [selon] si on intègre ou non les Intercités, dont certains ont des moteurs thermiques, compare Valentin Desfontaines, responsable mobilités durables du Réseau Action Climat (RAC) en basant son calcul sur la base carbone de l'Ademe. Un trajet de TGV coûte 1,73 gramme de CO2 par kilomètre et par voyageurs (gCO2e/p.km), contre 230 grammes de CO2 pour un vol intérieur.»
L'impact de l'aviation est alourdi par les traînées de condensation de ses appareils. «Il s'agit de prendre en compte tous les effets hors CO2, précise Nicolas Meunier, l'avion va brûler du kérosène à très haute altitude, là où les vapeurs d'eau qui résultent de la combustion peuvent former des nuages, c'est ce qu'on appelle les traits de condensation. Ces nuages ont un effet réchauffant sur le climat.»
Différences entre facteurs d'émissions de construction et énergies/maintenance de différents modes de transport. | Cabinet Carbone
Et même en incorporant la construction des véhicules et des infrastructures dans le calcul des émissions de carbone, les résultats obtenus par le cabinet Carbone 4 soulignent la sobriété du train sur les autres modes de transports. À trajet équivalent, un TGV émettrait 10 gCO2e/p.km, un autocar 30 gCO2e/p.km, une voiture électrique 51 gCO2e/p.km, une voiture thermique 109 gCO2e/p.km, et un avion 264 gCO2e/p.km.
Une ligne de train «commune» amortie en douze ans
Au chantier du Lyon-Turin, projet monumental à travers les Alpes, Valentin Desfontaines préfère prendre en exemple la construction de la ligne LGV Rhin-Rhône, plus commune. Ouverte à la circulation depuis 2011, cette ligne grande vitesse maille le Grand-Est et la Bourgogne-Franche-Comté.
Son bilan carbone, confié par l'Ademe, la SNCF et RFF (Réseau ferré de France) aux cabinets Objectif Carbone, Altern Consult et Inexia, dévoile la facture carbone de ses trente premières années d'exploitation. Conception, construction et exploitation devraient générer 1,9 million de teqCO2, dont 42% dues aux travaux et 53% à la production d'énergie pour la traction.
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«En moyenne, 1,2 million de personnes devraient être détournées annuellement de la route et de l'air grâce à la nouvelle offre TGV Rhin-Rhône», chiffre l'étude pour une période comprise entre 2012 et 2042. Soit une économie de 3.895.000 teqCO2 sur trente ans.
La ligne deviendrait «carbone positive» à l'horizon 2024, c'est-à-dire que les émissions évitées seront supérieures aux émissions générées par sa conception, son exploitation et sa maintenance. Un résultat d'autant plus avantageux que, comme le pointe l'étude, «l'exploitation et les bénéfices environnementaux de la ligne se poursuivront bien au-delà des trente ans pris en compte dans le calcul, la durée de vie d'une infrastructure étant d'une centaine d'années».