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Faut-il avoir peur des dernières menaces de Poutine?

Temps de lecture : 5 min

Avec sa nouvelle doctrine de politique étrangère, le président russe a adressé une menace à peine voilée aux anciennes républiques soviétiques.

Vladimir Poutine, leader diminué d’un pays diminué. | Valery Sharifulin / Sputnik / AFP
Vladimir Poutine, leader diminué d’un pays diminué. | Valery Sharifulin / Sputnik / AFP

Le lundi 5 septembre, Vladimir Poutine a approuvé une nouvelle doctrine de politique étrangère de trente-et-une pages qui affirme son droit d'intervenir «pour raisons humanitaires» dans tout pays où les droits des russophones seraient en danger –et, de manière plus large, de «protéger, sauvegarder et faire progresser les traditions et idéaux du monde russe».

Ordinairement, une déclaration de ce type serait considérée comme une menace directe pour tous les pays ayant autrefois fait partie de l'Union soviétique. C'est, par exemple, en prétendant que les Russes de l'est de l'Ukraine étaient victimes d'un «génocide» que le président russe avait annoncé, et justifié, son invasion de l'Ukraine.

Néanmoins, au vu des circonstances actuelles, cette nouvelle doctrine, qu'il ne faut certes pas prendre à la légère… ne doit pas être prise trop au sérieux non plus.

Une stratégie accaparée par l'Ukraine

Il est peu probable que Poutine ait la capacité d'envahir d'autres anciennes républiques soviétiques –comme la Géorgie, le Kazakhstan, l'Ouzbékistan, voire les petits États baltes que sont l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie (rappelons que les États baltes sont membres de l'OTAN, ce qui rendrait une éventuelle attaque particulièrement peu opportune).

Il a déjà mobilisé les trois quarts de son armée pour envahir l'Ukraine, son voisin occidental qu'il pensait pouvoir conquérir en quelques jours seulement, et se retrouve six mois après le début de son «opération spéciale» dans ce que l'on pourrait qualifier, au mieux, d'impasse. L'Ukraine, grâce notamment aux armes lourdes fournies par l'Occident, a reconquis des territoires qui avaient été perdus à l'est, dans la région de Kharkiv, et dans certaines parties du sud, dans la région de Kherson, où les Russes avaient pourtant gagné un avantage solide.

En raison des sanctions commerciales imposées par les pays occidentaux, la Russie se retrouve à court de composants essentiels pour construire ou même réparer ses chars d'assaut. Elle achète aussi des millions de roquettes et d'obus à la Corée du Nord (qui n'est pas vraiment ce qui se fait de mieux en matière de matériel militaire fiable et high-tech), autre signe que la Russie n'est pas en mesure de fabriquer des armes, même rudimentaires, et que la Chine, bien qu'alliée de la Russie à plusieurs égards, impose encore des limites strictes à sa volonté d'aider directement Moscou dans son effort de guerre.

Le tout est de savoir si Poutine croit à sa propre rhétorique et s'il pourrait, dans un moment de désespoir, passer à l'acte.

Non pas que la Russie soit en train de perdre la guerre. Même les observateurs les plus proches des champs de bataille ne peuvent dire quel camp l'emporte sur l'autre. Les combats sont loin d'être finis. Et si la dynamique est favorable à l'Ukraine pour l'instant, grâce notamment à la précision de l'artillerie à longue portée fournie par les États-Unis, la Russie garde l'avantage en termes de puissance de feu et profite d'un atout géopolitique: l'Ukraine, qui dépend entièrement du soutien de ses alliés occidentaux, n'ira pas lancer de frappes en Russie, car elle ne souhaite pas d'escalade (notamment nucléaire) de la guerre, tandis que la Russie bombarde l'Ukraine de manière totalement indiscriminée.

Pressions sur l'énergie

Comme c'est désormais le cas depuis quelques mois, c'est une guerre de temps qui se joue en Ukraine. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky espère que l'afflux d'armes américaines (le secrétaire d'État américain Antony Blinken vient de promettre 2 milliards de dollars d'armes en plus) fera pencher la balance. Poutine espère que ses troupes tiendront bon jusqu'à l'hiver pour que sa politique énergétique porte ses fruits (que la réduction de l'offre et l'augmentation des prix des énergies de chauffage dans les pays européens incitent les populations et les politiques à cesser de soutenir l'Ukraine et à appeler à un arrêt des combats).

Anticipant cette éventualité, l'Union européenne a pris des mesures extraordinaires afin de l'éviter, en parcourant le monde à la recherche de sources d'énergie alternatives et en encourageant les pays à la sobriété. Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a déclaré la semaine dernière à Bruxelles que si le gazoduc russe représentait 40% des importations de gaz de l'UE au début de la guerre, il n'en représentait plus que 9% aujourd'hui.

La part du gaz russe en Allemagne est passée de plus de la moitié des importations à moins de 10%. En Italie, elle est passée de 40% à 23%. Plusieurs pays d'Europe, en particulier la France et l'Allemagne, ont signé des accords pour s'approvisionner mutuellement en énergie en cas de pénurie extrême.

Cependant, 10% (ou, dans le cas de l'Italie, près d'un quart) des importations, ce n'est pas rien. On ignore pour l'instant si les accords d'échange tiendront en pratique ou si, en cas d'hiver particulièrement froid, il y aura des pressions pour que cesse l'aide à l'Ukraine. Mais pour l'instant, seule la Hongrie –fidèle soutien de la Russie de Poutine– a renouvelé son contrat avec Gazprom, le monopole gazier russe, en promettant de ne pas s'engager dans la guerre. Pour l'instant, les pays qui soutiennent l'Ukraine tiennent bon (et même bien mieux qu'on n'aurait pu s'y attendre il y a six mois).

Si on exclut son arsenal nucléaire, il devient très difficile de considérer sérieusement la Russie comme une superpuissance.

Ici encore, l'économie russe, bien que fortement touchée, n'est pas sur le point de s'effondrer. La Russie est parvenue à trouver d'autres clients ailleurs pour son pétrole et son gaz, notamment en Chine et en Inde. Et beaucoup de pays du monde (la Chine, l'Inde, mais aussi des pays en Afrique et en Amérique latine) ne souhaitent pas s'impliquer dans ce qu'ils considèrent être un conflit entre superpuissances, quand ils ne soutiennent pas ouvertement les revendications de la Russie.

Le fantasme dépassé du «monde russe»

Il est aussi indéniable que la Russie possède un important arsenal nucléaire et que c'est sans doute la principale (si ce n'est la seule) raison pour laquelle Joe Biden et les autres dirigeants occidentaux ne sont pas allés plus loin dans leur soutien à l'Ukraine. Personne n'a envie d'une troisième guerre mondiale.

Pourtant, si on exclut ce fait précis, il devient très difficile de considérer sérieusement la Russie comme une superpuissance –que ce soit d'un point de vue politique, économique ou militaire. Les grands discours de Poutine sur la protection du «monde russe» dans des territoires étrangers ne sont que du cinéma destiné à épater un public intérieur captif de sa machine de propagande et enclin à croire à ses fantasmes de retour à une grandeur impériale passée.

Ici encore, ces fantasmes ne sont pas totalement inoffensifs. Le tout est de savoir si Poutine croit à sa propre rhétorique –et s'il pourrait, dans un moment de désespoir, passer à l'acte. Ce n'est que dans ce sens, et seulement dans ce sens, que la nouvelle doctrine du président russe devrait susciter une certaine inquiétude.

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