Depuis son couronnement en 1953, la reine Elizabeth II est sous le feu des projecteurs. La Grande-Bretagne, les États du Commonwealth et même le monde entier observent ses tenues hautes en couleurs depuis des décennies. Un nuancier passant du jaune poussin au rouge flamboyant a jalonné les soixante-dix ans du règne de la «Rainbow Queen», comme la surnomme un ouvrage dédié à sa garde-robe, écrit par la journaliste britannique Sali Hughes.
Le style «élizabéthain» s'est construit en respectant le protocole, en fonction de codes bien définis et selon des choix propres à la personnalité de la reine, assistée depuis 2002 de la modiste Angela Kelly. Si les vêtements royaux sont de qualité de par le choix des étoffes, ils demeurent d'un style très classique voire relativement modeste, hors tenues de prestige portées lors de grands événements.
Pierres précieuses, perles
et tickets de rationnement
Pour son couronnement, la future Elizabeth II a fait appel à Roger Vivier: le créateur de chaussures confectionne des escarpins aux talons ornés de pierres précieuses, avec un motif fleur de lys.
Alors qu'il venait de lancer une nouvelle collection de souliers en 1997, Roger Vivier, alors âgé de 90 ans, m'a raconté, au cours d'une interview et d'une séance photo surréaliste, son étonnant parcours de vie.
Il m'a ainsi expliqué qu'il y avait une contrainte très importante dans la mise au point des chaussures portées lors du couronnement: les souliers devaient être très stables et confortables, car la reine devrait rester longtemps debout et couronne de saint Édouard sur la tête, un joyau en or massif orné de plus de 400 pierres précieuses qui pèse plus de deux kilos. La légende dit même qu'Elizabeth II se serait entraînée à muscler son cou pour la porter sans faillir.
En 2020, la maison Roger Vivier, relancée par Diego Della Valle, a rendu hommage à cette paire mythique d'escarpins avec une réinterprétation du modèle par Gherardo Felloni, baptisée «Vivier Queen».
Si les souliers étaient français, la robe était britannique et conçue par Norman Hartnell. En satin crème, elle était brodée d'emblèmes comme la rose Tudor, le chardon d'Écosse, le poireau du pays de Galles, un trèfle irlandais... mais aussi un lotus pour l'Inde, ou encore une feuille d'érable pour le Canada. Un Commonwealth en étendard.
La tenue de couronnement d'Elizabeth II a été immortalisée par une série de photos signées Cecil Beaton. | Royal Collection Trust / Cecil Beaton (Domaine public) via Wikimedia Commons
La tenue a été immortalisée par une série de photos signées Cecil Beaton (déjà auteur d'une série de portraits très romantiques d'Elizabeth en 1945). Couronnée, la reine occupe désormais sa fonction, elle pose avec le sceptre et le globe. Réalisés à Buckingham, les portraits ont pour fond le décor peint de la chapelle Henri-VII de l'abbaye de Westminster. Majesté et théâtralité: elles annoncent le destin d'une grande reine.
C'était déjà le couturier Norman Hartnell qui avait créé la robe portée par la future reine lors de son mariage avec le prince Philip en 1947, dans un contexte d'après-guerre compliqué. Les tissus, sur lesquels ont été ajoutées 10.000 perles, avaient été obtenus au moyen de tickets de rationnement (de futures mariées ont même envoyé leurs propres coupons à Elizabeth, mais ils leur ont été restitués).
La robe portée par Elizabeth pour son mariage, en 1947, était ornée de 100.000 perles. | Associated Press (Domaine public) via Wikimedia Commons
Après les fastes du couronnement, les visites officielles, les inaugurations et les voyages ont multiplié les occasions de paraître et définitivement composé le style vestimentaire de la reine.
Collants chair, gants et chapeaux: l'importance de l'étiquette
Certains codes sont des évidences, comme le fait de porter des gants courts pendant la journée et longs le soir –un accessoire par ailleurs très pratique quand il s'agit de serrer un nombre incalculable de mains. Le chapeau est l'autre touche obligatoire: il vient ponctuer la silhouette, un point sur le i, comme disait Elsa Schiaparelli. Chez Elizabeth II, le port du bibi amplifie l'impression de monochromie de ses tenues, un total look de la tête aux pieds.
La reine ne sort jamais les jambes nues, mais porte des collants de couleur chair. Les vernis à ongles suivent le même code couleur, allant du rose pâle au nude, soit un choix de discrétion très restreint voulu par la reine. La couleur Ballet slippers de Essie serait la couleur favorite de la reine: elle l'arbore depuis plus de trente ans.
Si Meghan Markle portait une teinte similaire pour son mariage avec le prince Harry, elle n'hésite pas, lors d'événements mode, à braver les conventions. Un rouge très sombre a fait notamment réagir la presse, quand bien même le protocole n'impose pas réellement le nude sur les ongles.
Si la garde-robe de la reine est très importante, elle est entretenue au palais dans un atelier qui œuvre à la fabrication et aux modifications des tenues en pratiquant également l'upcycling. Dans cet espace s'affairent plusieurs petites mains qui gèrent les tenues royales, sous la supervision d'Angela Kelly, conseillère et conceptrice. Et pour que, comme Marilyn Monroe dans Sept ans de réflexion, le vent ne vienne soulever la partie jupe, la reine faisait ajouter des poids de plomb dans les ourlets.
Si pour les visites officielles le code est très strict et haut en couleurs, à Balmoral (Écosse) Elizabeth porte le kilt, la veste Barbour et un foulard (souvent Hermès). Journaliste et spécialiste de la royauté anglaise, Marc Roche raconte le test de Balmoral soumis aux visiteurs (à voir aussi dans un épisode de The Crown). «Première ministre entre 1979 et 1990, Mme Thatcher, nerveuse, se présentait trop tôt aux cocktails, réceptions et dîners lors de son séjour à Balmoral, au grand dam de sa ponctuelle souveraine... Et le strict code vestimentaire doit être enduré sans broncher: il faut se changer au moins six fois par jour.» Même en Écosse, l'étiquette édicte ses lois.
Certaines choses changent toutefois. À l'écoute de l'air du temps, la reine a ainsi pris la décision, en 2019, de refuser le port de la vraie fourrure.
Des tenues toujours colorées
Elizabeth II a toujours favorisé la couleur. «Je ne pourrai jamais porter de beige, car personne ne saura qui je suis», disait-elle. Grâce aux tenues colorées, il était plus facile d'être reconnue de loin –elle pensait notamment aux personnes qui guettaient son passage. La couleur a été pour elle une façon de se démarquer, le noir étant réservé aux commémorations ou aux funérailles.
Rouge flamboyant, jaune poussin, bleu lavande, vert épinard... Le choix des couleurs peut dessiner un lien avec les saisons, avec les lieux. Parfois, peut-être, pourrait-on y voir une lecture symbolique. En 2017, en période de négociations sur le Brexit, la reine a opté, lors de la séance d'ouverture au Parlement, pour une tenue bleue avec un chapeau assorti et orné de fleurs au cœur jaune. On ne pouvait s'empêcher de songer à une forme de similitude avec le drapeau européen.
Clearly the EU still inspires some in the UK 😊 #QueensSpeech pic.twitter.com/vqTWnxKk1V
— Guy Verhofstadt (@guyverhofstadt) June 21, 2017
Mais le plus souvent, les couleurs des tenues portées lors de voyages à l'étranger appuient une forme de neutralité: il n'y a pas d'écho aux couleurs des drapeaux, sauf peut-être au Canada, avec une association de blanc et de rouge.
En 2012, le Vogue anglais a analysé les couleurs et motifs portées au fil du temps par la reine. Le bleu l'emporte (29% des tenues). S'épanouissent ensuite les fleurs (13%), le vert (11%), le violet (10%), le jaune, le rouge et le orange (4%), le noir (2%), le beige (1%), les carreaux (1%).
En 2016, pour Trooping the Colour, la parade célébrant l'anniversaire de la souveraine, la reine portait un ensemble vert néon (un vif ton prairie) remarqué et faisant fleurir le hashtag #Neonat90. Influenceuse à son corps défendant, la reine fit décoller ce vert: fluo et flashy, la couleur fit un tabac dans les ventes (+137%).
Si la couleur est la norme, la reine privilégie la robe plutôt que la jupe. Quand un manteau complète la tenue, elle ne l'enlève jamais en public. Très rare, le pantalon a fait une éphémère apparition publique lors d'un voyage au Canada en 1970. Mais cet essai de diversification n'a pas eu de suite.
Si la mode est un fil rouge, la reine Eizabeth II n'a curieusement assisté à son premier défilé de mode qu'en 2018. Au premier rang chez Richard Quinn, elle avait joyeusement devisé avec la célèbre rédactrice en chef de l'édition américaine Vogue, Anna Wintour.
Un sac iconique et des fournisseurs triés sur le volet
Le recherché statut de «Royal Warrant» est octroyé aux maisons qui fournissent régulièrement la cour et est renouvelé tous les cinq ans. Parmi les fournisseurs (re)connus: Cornelia James pour les gants de coton blanc et les gants du soir en nylon, Corgi Socks, Yardley, Floris, Molton Brown, mais aussi Clarins.
Le couturier Hardy Amies a fait partie des happy few des années 1950 jusqu'en 2002. La maison a notamment signé, en 1977, la tenue rose du jubilé d'argent de la reine, portée avec un chapeau de Frederick Fox.
Fabricant de sacs, la maison Launer a un statut très privilégié: la reine possèderait environ 200 de leurs créations. La maison, ouverte dans les années 1940, fournit la famille royale depuis 1968. La reine en a même visité les ateliers en 1992. Parmi les modèles qu'elle possédait, on compte le Susanna, le Bellini, l'Adagio et aussi un Royale, mais son favori était le Traviata, un sac carré avec une anse courte et une boucle en métal doré. Ce sac figure même sur son dernier portrait officiel, réalisé par Benjamin Sullivan.
Le sac Traviata, de la maison Launer, accompagnait la reine partout comme ici, à Portsmouth, en 2019. | The White House (Domaine public) via Wikimedia Commons
Dans la pièce The Audience, Helen Mirren, qui interprétait le rôle de la reine, utilisait ainsi ce sac en guise d'accessoire. Et quand Elizabeth II a porté un Launer au mariage de son petit-fils William, Selfridge's a vendu tous les sacs de la maison dans la foulée. Mais que contenait le sac royal? Apparemment y figuraient toujours un miroir, un porte-monnaie et un étui à lunettes.
Pour les sous-vêtements, une maison avait les faveurs de la famille royale: Rigby & Peller. Mais le manque de discrétion de sa directrice June Kenton (autoproclamée «UK's leading Boobologist») fit perdre à la maison, en 2018, son titre de Royal Warrant, détenu depuis 1960. Dans son livre Storm in a D-Cup, publié en 2017, June Kenton avait eu l'indélicatesse de révéler quelques indiscrétions sur ses clientes de la famille royale.
Les chaussures de la reine étaient quant à elles fabriquées sur mesure et leur talon n'excédait jamais 2,25 inches (environ 6cm), ce qui permettait néanmoins d'allonger la silhouette d'Elizabeth II, qui mesurait 1m63. Les couvre-chefs vont, eux, du petit pillow box au chapeau à bord qui ne doit pas être trop grand (ne pas oblitérer le visage de la reine). Souvent, y est ajoutée une grande épingle à chapeaux.
La reine Elizabeth II, alors qu'elle traverse la Pariser Platz, à Berlin, le 26 juin 2015. | John MacDougall / POOL / AFP
En Grande-Bretagne, où la pluie est souvent au rendez-vous, le parapluie est également de mise. La reine apprécie le Birdcage de Fulton, un modèle transparent orné d'un bord de couleur. On a pu le voir porté par la reine elle-même lors d'une visite parisienne aux côtés d'Anne Hidalgo. À l'occasion des soixante-dix ans de règne d'Elizabeth II, la maison Fulton a même édité un modèle Jubilee flanqué du logo du jubilé de platine.
À la même période est aussi sortie une version Barbie de la reine, mais c'est dans les boutiques de souvenirs que les effigies multicolores de la reine Elizabeth II arborant ses différentes tenues colorées vont encore dodeliner de la tête longtemps, en mémoire de soixante-dix ans de règne sous le signe de la couleur.