Tête baissée, Amélie marche dans les rues de Paris. La jeune femme dépasse les 150 kilos. Et sur son chemin, elle entend: «Eh la grosse, tu viens tirer ton coup?». Des hommes qui se croient tout permis et qui pensent être déjà bien aimables de s'intéresser à elle, Amélie en a croisé quelques-uns. De quoi la dégoûter de la gent masculine.
Evoquer la vie intime des obèses, le sujet paraît délicat. D'ailleurs, Amélie témoigne sous un faux prénom. Dans les rapports parlementaires, obésité rime avec nutrition et discrimination. Jamais avec vie amoureuse. Encore moins avec sexualité. Pas de soucis puisque de toutes façons, «les Hommes préfèrent les grosses». Pourtant la question mériterait d'être posée: peut-on être obèse et avoir une vie amoureuse et sexuelle épanouie? Oui. Avec des bémols.
Rencontrer le bon partenaire, voilà la première étape. Pas toujours aisé, car parfois «on n'attire pas et on ne fait rien pour attirer», relève Marie Citrini, la secrétaire générale du Collectif National des Associations d'Obèses. Affrioler, charmer et plus si affinité, la démarche reste difficile. «Comment voulez-vous séduire quand vous ne vous séduisez pas vous-même?», résume Anne-Sophie Joly, la présidente du CNAO.
Un constat que confirme l'enquête menée par l'équipe de Nathalie Bajos, chercheuse à l'Inserm. Le principal clivage entre personnes obèses (Indice de Masse Corporelle supérieur à 30) et non obèses est «la difficulté d'entrer en relation. Et cette pression sociale s'exerce plus sur les femmes que sur les hommes», résume la sociologue. Comme le montre son étude publiée le 15 juin dans le British Medical Journal, les femmes obèses ont 30% de chance en moins que les autres femmes de rencontrer un partenaire sexuel. Les hommes obèses, eux, ont plus de mal que les autres à avoir de nombreuses conquêtes. Le choix du compagnon varie aussi avec le genre: 67 % des femmes obèses sont avec un partenaire obèse ou en surpoids. Un pourcentage qui chute à 39% pour les hommes obèses.
Le syndrome Woody Allen
La complexité de la rencontre pour les personnes obèses s'explique en grande partie par la mauvaise image qu'elles ont souvent d'elles-mêmes. «Dans notre société, l'obésité est stigmatisée, note le psychiatre Bernard Waysfeld. Et celui ou celle qui souffre de cela va se réduire à son stigmate. Il ne va plus se dire : je suis un homme ou une femme obèse mais je suis un obèse. Et elle va considérer qu'elle n'est pas désirable. Elle va se dire : si un homme s'intéresse à moi, c'est qu'il n'a pas de goût. Alors, si il n'a pas de goût, pourquoi s'intéresser à lui?». Une attitude que ce psychiatre qualifie de syndrome Woody Allen: «I would never want to belong to any club that would have someone like me for a member.
Ce rapport difficile à soi peut aboutir à un blocage. Que la personne soit en couple ou non. L'expérience de Brigitte en témoigne. Après une fausse couche, elle se met à grossir, grossir, grossir. La jeune femme ne se supporte plus et ne conçoit pas que son mari puisse avoir envie d'elle. Le soir, elle se dérobe, ferme la porte de la douche, se couche après lui et invente d'autres stratagèmes pour refroidir les ardeurs de son compagnon. « Puis j'ai fini par faire l'amour avec lui pour ne pas le perdre. J'étais passive, je refusais tous les jeux érotiques. C'était toujours la même position. C'était "fais ta petite affaire et ne m'embête pas". J'avais l'impression d'être une grosse botte de paille avec un petit fétu dessus.» Angélique, elle, avait atteint les 140 kg. «Je me trouvais immonde. Ma libido était anesthésiée. Je n'avais plus de vie sexuelle. Même avec moi-même ».
La bonne copine ou l'objet de fantasme
De Minitel rose en sites de rencontre, Angélique a fini — après une thérapie — par trouver quelqu'un avec qui elle vit «une belle histoire». Un sort assez enviable à en croire Marie Citrini, pour qui les relations basées sur un sentiment amoureux classique demeurent les moins nombreuses. L'un des risques, par exemple, c'est que la personne obèse soit soumise à son partenaire. Du genre effacée et prête à tout pour rester en couple. «Et puis souvent, vous avez juste le droit d'être la bonne copine, complète Anne-Sophie Joly, la présidente du CNAO. Pas la fille qu'on désire. Ou alors vous êtes un objet de fantasme mais l'autre vous dit: "On ne se voit que chez toi, on ne va pas au restaurant, ni dans la rue ensemble"».
Que les femmes obèses deviennent un objet de fantasme fait tiquer Anne-Sophie Joly. «L'idée que plus vous débordez et mieux c'est pour eux, j'ai un peu de mal avec ça», confie-t-elle. Ces hommes qui préfèrent les femmes très enveloppées ont un petit nom: les FA. Comprenez les Fat Admirers. Une tendance surtout répandue aux Etats-Unis mais également présente en France. Béatrix de Lambertye, porte-parole d'Allegro Fortissimo, ne trouve elle rien à y redire: «Il y en a qui préfèrent les brunes, d'autres les blondes... A chacun son fétichisme. Et puis parmi les FA, il y a des gens très bien. Des hommes qui aiment ce côté tactile. Le "feederism", là c'est de la perversion», estime-t-elle. «Le feederism»? Un amour pour la graisse qui va jusqu'à pousser son partenaire déjà obèse à prendre toujours plus de poids et qui peut s'accompagner d'étonnantes pratiques sexuelles.
Une forme de gavage, comme pour les femmes de Mauritanie. Mais là-bas, ce phénomène n'entend pas stimuler la libido du partenaire. Il s'agit d'un signe extérieur de richesse et d'une manière «de défendre l'honneur du groupe en contribuant au maintien de la pureté sexuelle des jeunes filles qui y sont soumises, écrit l'anthropologue Aline Tauzin dans son livre Figures du féminin dans la société maure. Par l'immobilité à laquelle il contraint, par l'indifférence aux choses qu'il engendre, il cherche à préserver le groupe, à l'égal de l'excision, des rencontres hasardeuses et de la honte d'une naissance illégitime.»
Aujourd'hui, cette pratique visant à inhiber le désir féminin a quasiment disparu explique Aline Tauzin, ce que confirme un rapport d'une agence de l'ONU.
De la graisse autour du pénis
Retour en France. Si le principal frein a une activité sexuelle débridée reste donc le rapport au corps, il existe parfois aussi quelques complications physiologiques. Là, les femmes sont épargnées. Mais pour les hommes touchés par une obésité sévère (plus de 150 kg), des complications peuvent surgir. Il y a d'abord cette éternelle question: mon pénis est-il assez grand? Face à un ventre qui grossit et avec un pénis qui lui garde la même taille, le sexe de l'homme obèse paraît parfois petit. Un simple «effet d'optique», et une source d'inquiétude que l'on retrouve sur les forums. Pourtant, sur ce domaine, les hommes obèses n'ont pas à se plaindre. Même dans le cas de la «verge enfouie». Dans ce cas, qui «touche surtout les adolescents, le sexe est un peu rétracté à l'intérieur du corps. Mais cela disparaît avec l'érection», rassure le docteur Annie Lacuisse.
Dans des cas assez rares, l'homme souffrant d'obésité sévère s'expose en revanche à l'hypogonadisme: « Un excès de masse graisseuse, explique Mme Lacuisse, qui diminue le taux de testostérone ce qui freine la libido. Et si la testostérone est vraiment basse, cela peut rendre l'érection difficile.» L'obésité est aussi un terreau favorable à l'hypertension et au diabète qui entraînent parfois l'impuissance. A cause du traitement médical pour le premier et plus «naturellement» dans le second cas mais seulement après une quinzaine d'années. Toujours dans les cas d'obésité sévère, la graisse va se loger partout. Y compris autour du pénis, sous la peau. «Cela gêne mécaniquement l'acte sexuel, le pénis étant moins mobile», note Annie Lacuisse.
«La sexualité, ce n'est pas uniquement le coït»
Une fois au lit, multiplier les positions s'avère compliqué. Difficile par exemple de soulever son partenaire. Dans le cas d'un couple où les deux connaissent une obésité sévère, l'affaire se corse. Avec son mari, Amélie se trouve dans cette situation. En couple depuis quatre ans, il leur a d'abord fallu un peu se renseigner pour trouver les positions qui leur conviennent. «Pour nous, c'est de côté, en sachant qu'il y a le tablier abdominal de mon mari à soulever. Ou alors, c'est moi sur le lit et lui à genoux.» Grâce à leur complicité et au fait de se sentir aimée pour ce qu'elle est et tel qu'elle est, Amélie mène une vie amoureuse et sexuelle qui lui sied parfaitement. «Et puis, rajoute-t-elle, il y a 1001 jeux amoureux possibles.»
Ce que le sexologue Marc Ganem résume ainsi: «la sexualité, ce n'est pas uniquement le coït». Pour lui, les personnes en surpoids ont «une sexualité classique à partir du moment où elles ont accepté leur obésité.» Une affirmation validée par l'étude de Nathalie Bajos: «En termes de satisfaction et de fréquence des rapports, tout est pareil entre personnes obèses et non obèses. En revanche, l'importance de la sexualité dans la vie personnelle est minorée chez les femmes obèses», précise la sociologue. L'étude, en revanche, ne fournit pas d'indication quant à la durée des rapports (amoureux et sexuels) et aux positions utilisées.
Entre protection et auto-destruction
S'accepter, et accepter de parler de sa sexualité, la chose reste délicate. Une fois par an, le CNAO organise une réunion où les personnes en surpoids viennent avec leurs conjoints. Lors de la dernière séance, pas de soucis pour évoquer les difficultés de la vie quotidienne. Mais lorsque des questions plus intimes sont effleurées, un mur se dresse. «En groupe, cela reste tabou, constate Marie Citrini, la secrétaire générale du CNAO. Mais individuellement, quand les membres de l'association m'appellent, 1/3 des conversations concernent les rapports amoureux».
Si la sexualité demeure un sujet complexe à aborder, c'est aussi qu'elle cache parfois des blessures encore plus profondes. «Beaucoup de personnes obèses ont subi des violences psychologiques ou sexuelles», explique Béatrix de Lambertye, la porte parole d'Allegro Fortissimo. Pour les victimes de viols, les kilos en trop deviennent alors un rempart. Une façon de ne pas attirer l'autre. «C'est une logique de protection et en même temps d'auto-destruction, de haine de soi», ajoute Anne-Sophie Joly. Et aussi un moyen de montrer son mal-être, de faire parler son corps, quand les mots restent trop douloureux.
Arthur Nazaret
Que l'on peut traduire par : « Je ne voudrais jamais faire partie d'aucun club qui accepterait des gens comme moi en son sein »
Les prénoms ont été changés. Je n'ai trouvé aucun homme pour témoigner.
Photo: Flickr CC By Bob B. Brown