Sciences / Culture

La pervitine, cette drogue qui a aidé les nazis dans leur guerre éclair (mais les a détruits à petit feu)

Temps de lecture : 4 min

En 1938, une substance «miraculeuse» a inondé l'Allemagne: la pervitine, un dérivé de méthamphétamine. L'état-major du Reich a tôt fait d'en approvisionner ses divisions afin de remporter la guerre. Récit d'un dopage orchestré par Hitler.

Camée jusqu'aux yeux, la Wehrmacht a mis la Pologne à genoux en moins de cinq semaines. | Ordercrazy via Wikimedia Commons
Camée jusqu'aux yeux, la Wehrmacht a mis la Pologne à genoux en moins de cinq semaines. | Ordercrazy via Wikimedia Commons

C'est au cœur des usines Temmler, en banlieue de Berlin, que la pervitine est brevetée en 1937. Il s'agit d'un dérivé de méthamphétamine aux propriétés psychostimulantes. À l'époque, l'Allemagne est la capitale des paradis artificiels: le pays produit 80% de la cocaïne consommée dans le monde et ses laboratoires sont à la pointe de la recherche pharmaceutique en la matière. Dans une société d'après-guerre au moral brisé, morphine et héroïne sont des palliatifs courants, particulièrement chez les vétérans, qui adoucissent ainsi leurs traumatismes.

Produite en série dès 1938, la pervitine gagne rapidement le cœur –et le système sanguin– de milliers d'Allemands. La publicité relaie les promesses portées par cette «pilule miracle» («wunderpill»), disponible sans ordonnance dans les pharmacies.

Plus efficace que le café, cette substance permet de rester éveillé pendant des dizaines d'heures, dope la concentration et retarde les effets de la fatigue. Un confiseur berlinois en ajoute même à la recette de ses pralines! Mais la drogue en libre accès, semble-t-il, finit par inquiéter les autorités: retirée des listes vertes des pharmacies en 1939, la pervitine sera bannie deux ans plus tard.

Super-soldats, mode d'emploi

Le bref succès de la pilule miracle a suffi à éveiller la curiosité d'Otto Ranke, un professeur d'université qui dirige alors l'Institut de physiologie militaire du Reich. Selon lui, la pervitine pourrait être la clé de la guerre qui se prépare.

Lors de sa circulation dans l'organisme, elle accroît l'endurance, permet aux soldats de marcher soixante kilomètres par jour et de rester éveillés pendant quarante heures successives, elle retarde la sensation de faim et de soif, anesthésie la peur… Bref, c'est le composé idéal à ajouter aux gamelles des militaires!

Après avoir testé le composé sur des étudiants, le Dr Ranke fait sa première expérience à grande échelle lors de l'invasion éclair de la Pologne, en septembre 1939. Camée jusqu'aux yeux, la Wehrmacht met le pays à genoux en moins de cinq semaines.

Les rapports du front sont extatiques: «Tout le monde est frais, joyeux, discipline excellente. Pas d'accidents. Effets durent longtemps. Voit double et avec couleurs après la quatrième pilule.» Malgré les effets secondaires, la pervitine est devenue, selon la formule du professeur Ranke, «une substance militairement précieuse».

Le junkie sous le képi

Il ne reste plus qu'à transformer l'essai, avec la bénédiction du Führer. Dès le printemps 1940, Hitler fait distribuer à ses légions 35 millions de doses, ciblant particulièrement les pilotes d'avions de chasse et les conducteurs de tanks, qui la consomment sous forme de barres chocolatées. Dans le milieu, on surnomme d'ailleurs cette drogue toute neuve «Panzerschokolade», soit «le chocolat des tankistes»: la rapidité de la Blitzkrieg doit beaucoup aux effets des stimulants, qui décuplent l'agressivité des soldats et couronnent de succès l'offensive allemande de mai 1940.

En quelques semaines, tout est joué: la capitulation humiliante du 22 juin 1940 signe la fin de la «guerre éclair». La Wehrmacht a remporté le premier round avec une efficacité redoutable, les Alliés sont dans les cordes. Mais l'état-major allemand frôle le bad trip: car les effets secondaires de la consommation de pervitine ne tardent pas à se faire sentir.

Insomnies, dépression, arrêts cardiaques et hallucinations sont reportés chez les junkies en uniforme. Sans compter les addictions éclair: «C'est dur là-bas, et j'espère que vous comprendrez si je ne suis bientôt plus en mesure de vous écrire qu'une fois tous les deux à quatre jours, écrit Heinrich Böll, une recrue de 22 ans, dans une lettre à sa famille. Aujourd'hui, je vous écris simplement pour demander de la pervitine.»

Il paraît même que certains soldats se seraient entretués au cours d'épisodes psychotiques! Reconnaissant les dangers de ce stimulant, les médecins allemands tentent d'en réguler l'usage. Mais bien que la consommation de pervitine soit divisée par dix entre 1940 et 1941, elle dépasse tout de même le million de comprimés chaque mois…

De l'excitation à l'overdose

La banalisation de la prise de cette substance tranche sensiblement avec la politique de sobriété promue par le régime nazi. Depuis 1933, les usagers de drogues sont confinés en institution spécialisée pendant deux ans (minimum); les médecins allemands sont également encouragés à briser le sceau du secret médical pour en dénoncer leurs patients prenant des substances.

Polissant son image d'homme providentiel, Hitler assure qu'il s'abstient de boire de l'alcool, de fumer et de manger de la viande… Pourtant, le Führer lui-même goûte au «poison juif», absorbant des quantités affolantes de substances addictives pour nourrir son hyperactivité et combattre le stress. Son docteur personnel, Theodor Morell, aurait ainsi procédé à plus de huit cents injections d'amphétamines, de stéroïdes et d'opiacés divers pour le compte de son «patient A».

Petit à petit, le cocktail explosif qui sature les veines du Führer menace sa santé: paranoïa, tremblements, insuffisance rénale, dents déchaussées… Ses proches voient ses traits se creuser et l'entendent tenir des propos incohérents. Devenu accro, Hitler se croit invulnérable; ses compétences militaires en souffrent, puisqu'il se passe bientôt du conseil de ses généraux.

Les barbituriques de Morell corrompent également ses cycles de sommeil, le Führer dormant généralement jusqu'à midi (on n'arrive d'ailleurs pas à le réveiller au matin du Débarquement, ce qui retarde la contre-offensive allemande). Le dictateur ne cesse de s'empoisonner l'organisme que lorsque l'approvisionnement deviendra impossible –soit au printemps 1945, dans une capitale en ruines.

Peu après, le Führer met fin à ses jours. Son règne de terreur s'arrête ici. Mais pas celui de la pervitine, qui se réfugie dans l'économie souterraine pour y faire son nid. On l'appelle aujourd'hui «crystal meth».

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