En 2019, le président chinois Xi Jinping s'est engagé à accroître la transparence et la stabilité financière dans ses partenariats à l'étranger, et exiger une «tolérance zéro pour la corruption». Néanmoins une étude américaine publiée par l'institut de recherche AidData, qui veut rendre le financement du développement plus transparent, dit le contraire. Celle-ci souligne que dans le cadre de son projet international des Nouvelles routes de la soie (ou BRI, pour «Belt and Road Initiative»), Pékin a asservi des pays en développement avec une «dette cachée» de 330 milliards d'euros.
L'image de généreux partenaire en prend un coup. Une partie de l'endettement de quarante-deux pays, dont vingt-six en Afrique, est sortie du radar de la Banque mondiale, au risque d'une «diplomatie de la dette» à laquelle semble vouloir jouer la Chine. Des accords opaques conclus entre des banques ou des entreprises d'État chinoises avec des pays en développement laissent des dizaines d'entre eux essorés financièrement.
Parfois, les gouvernements eux-mêmes ne connaissent pas le montant de la dette. Ce fut le cas en Zambie, où le président Hakainde Hichilema a découvert un trou plus gros que prévu dans les finances du pays, aspirant 40% des ressources fiscales. La Zambie a connu un défaut de paiement pendant le Covid. En outre, selon l'étude, environ 35% des projets labellisés BRI ont été confrontés à des problèmes de corruption.
Alors que la plupart des États s'y refusent, Pékin n'hésite pas à traiter avec des pays pauvres qui cherchent vainement des prêteurs, en leur proposant des taux d'intérêts élevés. En vingt ans, la Chine a prêté 843 milliards de dollars à 163 pays à faibles et moyens revenus, selon un rapport publié en 2021 par l'université américaine William & Mary.
Quand le remboursement s'avère impossible, l'empire du Milieu force les États à céder des propriétés ou le contrôle d'actifs majeurs. Néanmoins ce n'est pas le cas pour tous les partenariats, car selon Thierry Pairault, directeur de recherche émérite au CNRS et spécialiste de la Chine, «prêter beaucoup d'argent n'est pas dommageable, si le projet est rentable».
La question des études de faisabilité et de rentabilité est donc centrale. «Le modèle chinois est basé sur une croissance dopée par des projets d'infrastructures, qui accompagne le développement du pays», reprend Thierry Pairault. «C'est un système qui ne fonctionne pas en économie de marché, mais en cercle fermé.» Et donc avec les économies des pays en voie de développement.
L'avertissement sri lankais
L'exemple du Sri Lanka sonne comme un avertissement pour les nations partenaires de la BRI. Les projets gigantesques financés par la Chine ont creusé la dette d'au moins 10%, mais probablement bien plus. Des études de faisabilité avaient pourtant conclu à la non-rentabilité des investissements…
Mais Pékin a réussi à construire l'aéroport international Mattala Rajapaksa qui demeure sans trafic (200 millions de dollars, soit 197 millions d'euros), et dont les recettes sont insuffisantes pour couvrir sa facture d'électricité, mais aussi un centre de conférence inactif (15,5 millions de dollars, c'est-à-dire 15,2 millions d'euros), et un port en eaux profondes à Colombo (700 millions de dollars, soit 688 millions d'euros).
Des projets fleurissent et certains s'avèrent inutiles, comme la nouvelle autoroute qui enjambe la ville de Nairobi au Kenya.
Cette infrastructure occupe une place stratégique pour le trafic des cargos qui transitent vers l'Inde. En 2017, le Sri Lanka, qui se retrouve dans l'incapacité de rembourser un prêt d'1,4 milliard de dollars (soit une somme similaire en euros), est forcé de céder le bail du site à une entreprise chinoise pour quatre-vingt-dix-neuf ans.
Symboles d'une gestion désastreuse, ces projets ont participé à projeter le pays dans une crise sociale sans précédent. Le 9 juillet, le palais présidentiel est envahi, mettant fin à vingt ans de règne oligarchique de la famille Rajapaksa, qui a détourné des milliards de dollars. Depuis, la population subit toujours de graves pénuries et des coupures de courant.
Le 9 août, le prix de l'électricité s'est envolé de 264%. Le port de Colombo, lui, restera dans le giron de la Chine pour un siècle, lui permettant de reconstituer un «collier de perles», en référence aux différents ports où Pékin possède des intérêts. C'est également le cas à Gwadar (Pakistan), au Pirée, le port d'Athènes, ou encore à Djibouti, où les Chinois disposent de leur seule base militaire extérieure.
Une mécanique bien huilée en Afrique
Principal créancier du continent noir, la Chine convoite évidemment ses ressources naturelles. Afin d'être admise à l'ONU à la place de Taïwan alors dirigée par le président Chiang Kaï-shek, Pékin courtise l'Afrique et recueille vingt-six voix lui permettant d'obtenir cette reconnaissance. Tous les pays africains à l'exception de l'Eswatani (ex-Swaziland) finissent par reconnaître la République populaire de Chine, dont ils sont devenus les otages.
Par la suite, les exemples de gigantesques infrastructures se multiplient et font flamber les dettes. En Angola ou en Zambie, la Chine en détient même plus de 80%. Des projets fleurissent et certains s'avèrent inutiles, comme la nouvelle autoroute qui enjambe la ville de Nairobi au Kenya. Celle-ci reste vide en raison d'un péage trop cher pour les habitants: environ 300 shillings (2,50 euros) par trajet. Son coût de construction est de 670 millions de dollars (soit environ 659 millions d'euros).
En Afrique, le Covid et la guerre en Ukraine ont mis à rude épreuve les finances publiques. Les États sont alors obligés de recourir à l'endettement, et la Chine a l'avantage des projets clé en main. «Pékin prend aussi des contreparties sur des gisements de minerais», indique Willy Giscard Ontsia, expert financier et ancien directeur général de la Bourse des valeurs mobilières de l'Afrique centrale. «Sa dette reste braquée comme un pistolet sur la tempe des pays qui ne voudraient pas collaborer, et bien entendu elle est plus importante que celle affichée.»