De nombreux Américains trouvent dommage que seulement 70% des enfants aux États-Unis vivent dans un foyer avec deux parents et que moins de 50% vivent avec deux parents biologiques et mariés. Ils considèrent le divorce et la monoparentalité comme normaux mais néanmoins regrettables, puisque la sagesse populaire veut que les enfants subissent un préjudice irréparable à long terme lorsque leurs parents vivent séparément.
Cette opinion est largement relayée par les réseaux sociaux. On pourra citer le mème d'Isla Fisher déclarant «Vous ne devez pas sous-estimer le traumatisme que représente le divorce pour les enfants», ou les propos de l'influenceuse catholique Leila Miller: «Le divorce n'est rien d'autre qu'une forme de sacrifice des enfants sans effusion de sang.»
Pourtant, un examen attentif des recherches universitaires –et du contexte historique et culturel dans lequel elles ont été menées– remet en question cette doxa. La plupart des problèmes que rencontrent les enfants de parents divorcés sont plutôt liés au sexisme, au racisme, à l'homophobie, à une mauvaise tenue des comptes et à un soutien insuffisant de l'État.
Le divorce était rare avant la Révolution américaine. Chez les individus libres (non esclaves), environ un tiers des enfants vivaient avec un beau-parent ou un parent unique. Mais le phénomène était dû aux taux de mortalité; un mariage était rarement dissous. En cas de dissolution, c'est le père qui avait des droits sur l'enfant. Dans la section commerciale, à côté des annonces de location de chevaux, les journaux de l'époque publiaient des signalements d'«épouses en fuite». Illustrant l'aspect éminemment mercantile du mariage dans ces premiers temps de l'Amérique blanche, ces maris ne plaidaient pas pour le retour de leurs anciennes partenaires; ils déclaraient simplement qu'ils n'avaient pas à payer les dettes de celles-ci.
Mais dans la foulée du divorce de l'Amérique et du roi George III, les attitudes envers l'indépendance personnelle et les obligations contractuelles évoluèrent. Au XIXe siècle, les suffragistes font valoir que non seulement un droit élargi de rompre permettrait aux femmes d'échapper aux mauvais mariages, mais que la menace de la séparation leur permettrait de renégocier les conditions d'un bon mariage. Les hommes également revendiquent de plus en plus le droit au mariage d'amour et à l'épanouissement.
À l'époque où l'esprit de la frontière s'impose, les annonces de mari en fuite sont devenues plus courantes que celles de leurs congénères féminines. La doctrine des «années tendres» stipule que les enfants ont besoin de la présence de leur mère, modifiant la loi en matière de garde. En 1970, la Californie a autorisé le «divorce sans faute», et la plupart des États ont suivi durant la décennie suivante.
Équilibre
Cette libéralisation du divorce au cours de la seconde moitié du XXe siècle va de pair avec l'accès croissant des femmes au marché du travail et avec leur émancipation. On assiste alors à une bataille culturelle, dans laquelle certains invoquent la nature et Dieu pour justifier de manière directe l'assignation des rôles et le patriarcat. Mais beaucoup préfèrent choisir l'argument des enfants pour plaider leur cause.
Le rapport Moynihan de 1965 –rédigé par le secrétaire adjoint au Travail Daniel Patrick Moynihan et son équipe pour convaincre le gouvernement fédéral de renforcer la législation sur les droits civiques en luttant contre les inégalités économiques– dénonçait l'«effritement» de la structure familiale dans les communautés noires
Les taux de divorce, qui étaient les mêmes pour toutes les ethnies jusqu'en 1960, avaient en effet augmenté plus tôt et plus fortement chez les femmes noires. Mais l'accent mis par le rapport sur la structure familiale servit de prétexte aux conservateurs pour ignorer les forces structurelles à l'origine de cette situation et prôner le «self-help» au lieu d'apporter une aide réelle.
Ces scénarios du pire ont pénétré l'imaginaire américain à travers des films.
Lors de la campagne électorale de 1976, Ronald Reagan brandit l'image de la «Welfare Queen» («la reine des allocs»), une mère noire célibataire qui profite du système. C'est le récit sexiste et raciste du déclin de la famille que reprendra le mouvement conservateur prônant les «valeurs familiales» des années 1990 et 2000.
Les campagnes de relations publiques en faveur du mariage, menées par des organisations comme l'Institute for American Values et les Promise Keepers, étaient également profondément homophobes. Elles faisaient la promotion du mariage hétérosexuel en finançant des groupes conservateurs comme l'American Enterprise Institute et la Heritage Foundation. (Un lien qui demeure vivant: Leila Miller a écrit un article en avril 2022 intitulé «Les dix péchés du recours à la gestation pour autrui chez les couples gays»).
Ces groupes, ainsi que d'autres membres du «mouvement pour le mariage», ont présenté comme avérées les conclusions de Judith S. Wallerstein, qui, à partir de 1971, a suivi 131 enfants de soixante familles divorcées dans le comté de Marin, en Californie. Elle a pris des nouvelles de ce même groupe d'enfants tous les cinq ans pendant vingt-cinq ans. Mais à intervalles plus rapprochés, elle en a données au public, diffusant ses conclusions désastreuses sur les effets à long terme du divorce dans les émissions «Today show», «Good Morning America», «The Oprah Winfrey Show», etc.
Une autre psychologue, E. Mavis Hetherington, a également publié ses conclusions dans les années 1980 et 1990. Ses études, portant sur 1.400 familles, ont montré que la grande majorité des enfants de parents divorcés sont devenus des adultes équilibrés. Et en 1994, The Good Divorce a fait sensation. Dans ce livre, Constance Ahrons soutenait que les enfants s'épanouissent lorsque les parents divorcés se comportent comme des couples mariés harmonieux.
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Laisser entendre le pire
Malgré la petite taille de l'échantillon étudié par Wallerstein, l'absence de groupe de contrôle et l'effet de sélection (les parents ont inscrit leurs enfants après avoir entrepris une thérapie), c'est son récit («les enfants souffrent») qui l'a emporté. Les médias ont cité Wallerstein entre 6 et 14 fois plus souvent que Hetherington, même si les sociologues étaient plus susceptibles de se référer à cette dernière.
Ses arguments ont séduit le grand public en partie parce qu'ils fournissaient des éléments à certains pour poser les enfants en victimes. Des groupes de défense des droits des pères, tels que la National Fatherhood Initiative, faisaient circuler des récits horribles d'ex-femmes éloignant les enfants de leur père, ou inventaient des histoires de vengeance (des histoires de «père fantôme» ou de Médée, respectivement).
Des mères impliquées dans des procès ont évoqué des cas d'abandon liés à la crise de la quarantaine, des pères indignes et des enfants effectivement maltraités par leur parent. Ces scénarios du pire ont pénétré l'imaginaire américain à travers des films. Kramer contre Kramer (1979) invitait les spectateurs à compatir à la détresse des pères dévoués face à ces mères égoïstes qui travaillent, et La Guerre des Rose (1989) dépeignait comme inévitable un conflit long et destructeur. La défense des droits des pères a également eu un impact dans la vraie vie, faisant évoluer à nouveau la législation sur la garde des enfants. Cette fois, les lois des États préconisaient de plus en plus des contacts fréquents et suivis avec les deux parents.
La rengaine martelée par ces différentes voix, «les enfants vont souffrir», a marqué les esprits. Une analyse des articles de la presse populaire publiés entre 1968 et 2005 a révélé une vision de plus en plus négative du divorce. Et le gouvernement fédéral a commencé à dépenser des centaines de millions de dollars en faveur de la Healthy Marriage Initiative («initiative pour un mariage sain») en 2001.
Seulement 10% des personnes ayant subi un divorce déclaraient être moins heureuses que celles ayant des parents mariés.
Cependant les scientifiques ont immédiatement remis en question l'étude de Wallerstein et d'autres travaux antérieurs portant sur les enfants qui ne vivaient pas avec deux parents mariés, et ils ont mis le doigt sur différents problèmes.
Dans un article publié en 2003, Paul Amato, professeur à la Pennsylvania State University, a créé un indice de bien-être psychologique global et conclu que les chiffres concordaient à 90% pour les adultes avec et sans parents divorcés. Cela signifie qu'environ 10% seulement des personnes ayant subi un divorce avaient davantage de problèmes de santé mentale et déclaraient être moins satisfaites de leur vie et moins heureuses que celles ayant des parents mariés. Près de la moitié, 42%, dépassait le score moyen de bien-être de l'échantillon «parents mariés».
À titre de comparaison, ce facteur a trois fois moins d'influence sur le comportement des enfants que des cours d'éducation parentale. Les statistiques sur les relations sentimentales et la popularité des adolescents ouvrent également des perspectives. Le fait d'avoir un partenaire à l'adolescence est associé à de moins bons résultats scolaires; le fait d'avoir une forte ascendance sur les autres adolescents est lié à des relations de moins bonne qualité; et les deux sont liés à une plus grande consommation de drogues.
Pourtant ces résultats suscitent beaucoup moins l'anxiété ou la honte des parents que l'augmentation pourtant marginale du risque observée dans le contexte du divorce. Personne ne dit aux parents qu'ils doivent veiller à ce que leurs enfants restent célibataires, tandis qu'Isla Fisher ne se prive pas de déclarer dans l'Evening Standard: «Je conseille vivement aux parents de chercher à s'entendre. Personnellement, je m'arrangerais et je resterais en couple, absolument.»
Avec le temps
Les études doivent aussi prendre en compte la dimension temporelle. Le divorce s'accompagne généralement d'une perturbation des habitudes et d'un stress émotionnel. «Je ne veux certainement pas minimiser la difficulté pour les enfants de passer ce moment de transition, a déclaré Mme Ahrons dans une interview qu'elle nous a accordée avant son décès en 2021, mais cela ne signifie pas qu'ils seront abîmés.» Le chagrin et l'anxiété s'estompent. Le comportement a tendance à revenir à la normale dans les deux ans.
Une étude menée auprès de jeunes de 23 ans a révélé que 11% de ceux dont les parents avaient divorcé souffraient de problèmes de santé mentale, contre 8% de ceux dont les parents étaient mariés. Pourtant, on a tendance à sous-estimer les capacités de résilience des individus. En réalité, les chercheurs ont conclu que la plupart des enfants ayant vécu un divorce sont au final bien adaptés et ne se distinguent pas de leurs pairs élevés dans des familles nucléaires. Reste à évaluer l'impact que cette information pourrait avoir sur une personne qui souhaite divorcer –ou qui rumine les conséquences de sa rupture sur ses enfants. Et les femmes sont plus souvent à l'origine du divorce que les hommes.
Les chercheurs ont émis l'hypothèse que ce n'est pas le divorce qui est à l'origine des mauvais résultats, mais la pauvreté.
Il est également possible que même le petit effet négatif corrélé au divorce ne soit pas causé par celui-ci. Les enfants texans qui vivent dans des maisons avec piscine vont plus souvent à l'université, mais ce n'est pas parce que la natation les rend plus intelligents; la richesse de leurs parents explique ces deux phénomènes indépendants l'un de l'autre. De même, les enfants dont les parents divorcent sont plus susceptibles d'avoir vécu dans un contexte conflictuel avant la rupture.
Si un enfant finit par avoir des problèmes de toxicomanie, par exemple, c'est le stress engendré par ces conflits qui en est la cause, et non le divorce. À l'appui de cette théorie, une étude de 1999 a révélé que les enfants dont les parents ayant des rapports très conflictuels ne se séparent pas ont plus de problèmes comportementaux, et un article de 2004 a montré les effets positifs du divorce en cas de mariage très conflictuel. Une étude de 2014 ne décelait aucun effet de la structure familiale sur la psychopathologie une fois les conflits maîtrisés.
Un examen critique de la causalité ne s'arrête pas là. Par exemple, les enfants dont les parents ne vivent pas ensemble sont plus susceptibles de connaître la pauvreté. Cela s'explique à la fois par le fait que les personnes ayant fait moins d'études sont moins susceptibles de se marier et par le fait que le partage du revenu qui faisait autrefois vivre un seul ménage entraîne une diminution du budget pour les deux nouveaux ménages.
Concernant ces enfants, les chercheurs ont émis l'hypothèse que ce n'est pas le divorce qui est à l'origine des mauvais résultats, mais la pauvreté. En effet, une étude de 2015 a révélé une probabilité plus élevée de problèmes comportementaux lorsque le revenu du ménage après le divorce était plus faible (bien qu'un regard critique sur cette mesure soit de mise, car les enfants noirs et métisses ont tendance à être plus souvent répertoriés en raison des préjugés). Ce résultat a confirmé une découverte faite en 2013 aux Pays-Bas, à savoir que les effets négatifs sont réduits lorsque les enfants ont des mères plus éduquées, et que les enfants qui étaient pauvres avant le divorce souffraient davantage.
Dans l'une des études les plus impressionnantes jamais réalisées sur le développement de l'enfant, l'Australian Temperament Project, les chercheurs ont été surpris de ne découvrir aucune différence significative entre les jeunes de 17 et 18 ans dont les parents étaient mariés ou divorcés au niveau de leur ajustement comportemental ou émotionnel, de leurs résultats scolaires ou de leurs compétences sociales. Ils ont souligné les avantages du système australien en matière de sécurité sociale et de versement des pensions alimentaires.
Une question d'ADN
La génétique est également à prendre en considération. Le divorce est plus fréquent chez les personnes qui manifestent de l'agressivité, des troubles de santé mentale et un comportement antisocial. Leurs enfants, qui héritent de leur patrimoine génétique, sont plus susceptibles de présenter des fragilités sur le plan psycho-social, quel que soit l'état matrimonial des parents.
Le professeur Brian D'Onofrio a tenté de démêler ce nœud en étudiant des enfants cousins germains de jumeaux, avec des résultats mitigés. La toxicomanie et la cohabitation précoce semblent être plus étroitement corrélées avec un héritage génétique qui a contribué au divorce qu'au divorce lui-même, mais il n'en va pas de même pour d'autres résultats. Et D'Onofrio reconnaît que son équipe n'a pas entièrement pris en compte la variation des revenus après la séparation ou le conflit avant la séparation.
C'est plus difficile à faire qu'il n'y paraît, mais de nombreuses études récentes ont réussi à prendre comme point de départ les niveaux de dépression, d'estime de soi et de performances scolaires des enfants avant le divorce. Une étude réalisée en 2001 a révélé que ces données expliquaient presque entièrement les différences après le divorce.
Le message selon lequel le divorce est rare ou mauvais peut créer une prophétie auto-réalisatrice génératrice de détresse.
D'autres études utilisant un «modèle à effets fixes» pour les enfants ou les frères et sœurs ont révélé des résultats mitigés (2005), aucun effet sur les résultats scolaires (2005), aucun effet sur les naissances avant le mariage (2005), aucun effet sur le niveau d'études (2006) et aucun effet sur le bien-être émotionnel (2007).
Une étude de 2019, après ajustement des facteurs antérieurs au divorce, a révélé qu'avec celui-ci, la probabilité pour les enfants d'obtenir leur baccalauréat passe de 81% à 78%. En d'autres termes, à mesure que les études se sont affinées, les différences déjà faibles se sont encore estompées, et ont parfois complètement disparu.
Modèles
Certains chercheurs mettent en évidence un autre facteur: la stigmatisation persistante, due notamment à l'usage de termes comme «foyer brisé» ou à des albums et des émissions de télévision qui surreprésentent les familles nucléaires. Le message selon lequel le divorce est rare ou mauvais peut créer une prophétie autoréalisatrice génératrice de détresse.
Les auteurs d'une étude de 2019 suggèrent que le divorce est mieux accepté par les enfants qui connaissent de nombreuses familles non nucléaires. Le fait que les enfants éprouvent ou non un «sentiment aigu de privation» pourrait jouer un rôle clé dans l'adaptation, expliquent-ils. Un avis que semblent partager les auteurs d'une étude réalisée en 2020.
Il est inévitable que les situations diffèrent après une séparation. Certains enfants peuvent être traumatisés. On note souvent des effets infracliniques tels que des souvenirs douloureux, et beaucoup font preuve d'une maîtrise et d'une résilience supérieures à la moyenne («une mer calme n'a jamais fait un bon marin»).
Mais les données manquent pour comprendre pourquoi le divorce a des effets si divers, tant à l'échelle de la population que des individus. Dans ces circonstances, comme l'écrivait Amato en 2010, «les chercheurs devraient accorder [...] davantage d'attention aux facteurs responsables de cette diversité».
De nos jours, explique Emery, la recherche sur le divorce est considérée comme démodée par les psychologues: on croit que tout a été dit.
D'une part, la grande majorité des recherches omettent une variable importante: l'attitude des parents. La recherche suggère que les enfants ont besoin de beaucoup de chaleur et de soutien, ne serait-ce que d'un seul parent, pour réussir.
Certains universitaires ont tenté d'appliquer ce que nous savons des effets corrosifs du conflit et de l'impact positif d'une éducation parentale de qualité dans le contexte du divorce. Vous vous souvenez du livre d'Ahrons? Dans son article de 2011 intitulé «Reconsidering the “Good Divorce”», Amato a tenté de vérifier son hypothèse en assignant des enfants à des groupes de coparentalité coopérative, de parentalité parallèle et de monoparentalité. Bien que les chercheurs aient constaté que les jeunes du groupe du «bon divorce» présentaient moins de troubles du comportement, il n'en allait pas de même pour les autres mauvais résultats.
Cette étude a été citée à maintes reprises pour prouver qu'Ahrons avait tort et Wallerstein raison. Ses auteurs ont toutefois reconnu qu'ils n'avaient peut-être pas été en mesure d'identifier avec précision les «bons divorces»; leur échantillon était relativement petit, les parents d'aujourd'hui pourraient se comporter différemment de ceux des années 1990 (auxquelles remonte l'étude), et le temps écoulé entre chaque divorce et l'étude avait une influence sur les résultats. Même eux ne pensaient pas que leur travail apportait une réponse définitive.
Quelles statistiques?
Il se pourrait que l'on n'obtienne pas de réponses beaucoup plus définitives aujourd'hui. En 1988, les Centers for Disease Control and Prevention ont cessé de recueillir des données exhaustives sur les enfants concernés par le divorce, et en 1996, le National Center for Health Statistics a cessé de soutenir la communication des statistiques sur le divorce.
«Combien d'enfants américains sont au cœur de procédures relevant du tribunal de la famille chaque année?», a écrit le professeur Bob Emery dans la Family Court Review. «Je n'en ai aucune idée. [...] Nous ne savons pas non plus, par exemple, combien d'enfants américains vivent en résidence alternée.» Le recensement de 2020 ne proposait pas l'option du partage 50-50, mais demandait aux parents de déclarer où leurs enfants «vivent ou résident habituellement».
Le Wisconsin tient des registres détaillés, et un groupe d'universitaires a essayé de les utiliser pour en tirer des conclusions au niveau national, mais personne ne peut dire avec certitude combien d'enfants font l'expérience de la coparentalité, ni ce qu'une coparentalité de haute qualité produit. Ce type de recherche est peu financé, selon Ahrons: «Vous trouvez l'argent si vous cherchez les problèmes.»
Des voix se sont élevées pour que l'accent soit mis sur la recherche; toutefois, le manque de données et de financement ne suffit pas à expliquer la difficulté à identifier les pratiques qui sont bénéfiques pour les enfants. De nos jours, explique Emery, la recherche sur le divorce est considérée comme démodée par les psychologues: on croit que tout a été dit.
Les solutions nationales ont misé sur les décisions individuelles et le renforcement de l'institution du mariage.
Vous avez peut-être remarqué que nous n'avons pu citer aucune étude étayant l'idée que la majorité d'entre nous croit encore, à tort, que le divorce cause généralement un tort irréparable aux enfants. C'est parce que la question n'est plus posée dans des enquêtes nationales non partisanes. Et pourtant, de plus en plus de parents nous disent qu'ils sont d'accord avec Wallerstein.
En d'autres termes, alors que les esprits engagés dans le débat public et l'université se désintéressent largement de la question, l'appréhension et la culpabilité des parents perdurent. Et ce n'est pas la tendance au maternage intensif ou le hashtag #tradwife («épouse traditionnelle») d'Instagram qui vont les apaiser.
Discours figé
Ces preuves scientifiques se sont accumulées au cours des trois dernières décennies, sans qu'une étude ait l'ampleur suffisante pour bénéficier d'une large couverture médiatique. Cela signifie que des récits divergents ont pu coexister, et que c'est la version sous-tendue par le sexisme, le racisme, l'homophobie et d'autres types de peur qui l'a emporté.
Bien qu'infirmée, la position de Wallerstein s'avère indétrônable. La droite chrétienne ayant réussi à encadrer –et de fait, à clore– le débat politique, les solutions nationales ont misé sur les décisions individuelles et le renforcement de l'institution du mariage. À savoir: choisissez le bon conjoint ou la bonne conjointe. Suivez une thérapie de couple. Le rôle et l'obligation du gouvernement envers les familles ont été pratiquement ignorés. Et cela affecte de manière disproportionnée les femmes, les familles noires, ainsi que les enfants et les aidants à faible revenu.
Si la politique nationale était basée sur la recherche plutôt que sur le fanatisme, nous investirions dans le bien-être des enfants en promouvant des stratégies de parentalité et de coparentalité étayées par des études, en soutenant les aidants familiaux financièrement et systématiquement, en finançant la recherche sur les meilleures pratiques et en dissipant le mythe de la famille «brisée» et des enfants sacrifiés. Parmi les autres idées confirmées par les données figurent les thérapies subventionnées et les réformes juridiques qui rendent le processus moins onéreux pour tous.
«Je chante toujours la même chanson», a déclaré Ahrons. «Les familles divorcées peuvent être épanouies après le divorce. Mais cette idée se heurte encore à une très forte résistance.» Selon elle, les processus de divorce collaboratif sont un début, et elle voit également un motif d'optimisme dans le comportement de certains parents. Toutefois, «on perpétue cette hypothèse de base sur le divorce et ses conséquences, ou si on ne la perpétue pas, on ne fait rien pour la battre en brèche».