Dans notre article du 29 juin concernant le Monkeypox, nous pressions les autorités françaises à prendre les mesures nécessaires pour contenir au plus vite l'épidémie, notamment en ouvrant la vaccination aux populations les plus exposées et/ou ayant des pratiques qui les exposent au virus.
C'est désormais (presque) chose faite, alors que les cas continuent d'augmenter rapidement: le 13 juillet 2022, la barre des 10.000 cas rapportés par 73 pays avait été franchie, dont 908 cas en France, cinquième pays le plus touché dans le monde, derrière l'Espagne, le Royaume-Uni, l'Allemagne et les États-Unis.
Dans son avis du 8 juillet 2022, la Haute Autorité de santé (HAS) recommande la vaccination en prophylaxie pré-exposition (PrEP) par les vaccins de troisième génération (Imvanex et Jynneos) aux:
- hommes cisgenres ayant des rapports sexuels avec des hommes rapportant des partenaires multiples
- personnes trans rapportant des partenaires multiples
- travailleurs et travailleuses du sexe
- professionnels des lieux de consommation sexuelle
Cette recommandation répond correctement au profil actuel des cas confirmés par Santé publique France. Dans son point de situation du 12 juillet, l'agence nationale notait en effet qu'«à ce jour, en France, 97% des cas pour lesquels l'orientation sexuelle est renseignée sont survenus chez des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH). Parmi les cas pour lesquels l'information est disponible, 75% déclarent avoir eu au moins deux partenaires sexuels dans les trois semaines avant l'apparition des symptômes.»
Le schéma vaccinal proposé comprend deux doses à vingt-huit jours d'intervalle (ou une dose unique pour les personnes ayant déjà été vaccinées contre la variole avant 1984, et trois doses pour les personnes immunodéprimées). La HAS précise que les vaccins Imvanex et Jynneos sont interchangeables. Il convient aussi de préciser que la vaccination ne confère pas une protection immédiate.
Les doses sont en route
Sur le terrain, l'attente et la crispation se font entendre. Car si le DGS-Urgent du 8 juillet indiquait que pour faire suite à l'avis de la HAS, les agences régionales de santé commençaient à organiser l'ouverture de lieux dédiés à la vaccination contre le virus Monkeypox, il semble aujourd'hui difficile de trouver un rendez-vous et des doutes subsistent sur la disponibilité des doses. Mais la situation pourrait se débloquer prochainement.
Lors d'une audition sur le Monkeypox devant la commission des Affaires sociales du Sénat, le docteur Clément Lazarus, de la direction générale de la santé, a indiqué que 7.500 doses du stock national de vaccins contre la variole avaient été déstockées et que des commandes complémentaires avaient été passées auprès du laboratoire danois Bavarian Nordic (Imvanex).
Difficile de savoir quand ces doses arriveront et si elles seront suffisamment nombreuses. En effet, comme récemment à New York, l'engouement des populations exposées pour la vaccination apparaît comme particulièrement vif. Mais il y aussi urgence.
Il y a urgence, parce que les travailleurs et travailleuses du sexe ne peuvent pas s'arrêter de travailler sans amortisseurs sociaux.
Urgence parce qu'il apparaît irréaliste de penser que la partie de la population actuellement concernée adhèrera massivement aux mesures de prévention et de protection proposées, qui consistent en une abstinence sexuelle stricte –sinon même l'abstinence de baisers et de contacts, des mesures d'isolement et de quarantaines pendant trois semaines. N'oublions pas que le Monkeypox se transmet essentiellement par des contacts de peau malade à peau saine, mais aussi par le linge et les draps contaminés.
Urgence, aussi, parce que les travailleurs et travailleuses du sexe ne peuvent simplement pas s'arrêter de travailler sans amortisseurs sociaux les accompagnant.
Des enfants sont aussi touchés
Urgence, également, parce qu'il s'agit d'abord de contenir l'épidémie afin d'éviter que le nombre de cas ne flambe et que le virus ne se répande, comme l'avait fait le VIH, vers les autres segments de la population générale. À ce jour, le Monkeypox touche majoritairement des adultes jeunes (33 ans en moyenne en France), en bonne santé, bien suivis sur le plan médical.
Ainsi, parmi les cas confirmés, dans le point de Santé publique France du 12 juillet, 403 sont sous PrEP au VIH (70%) et 211 sont séropositifs au VIH (26%): ces deux catégories bénéficient d'un suivi médical régulier pour s'assurer de la bonne observance et tolérance des traitements.
Mais on ne sait pas ce que le Monkeypox peut provoquer chez des personnes immunodéprimées ou âgées, des femmes enceintes ou des enfants –même s'il existe d'ores et déjà un antiviral, le Tecovirimat, dont l'usage par voie orale pendant quatorze jours est à envisager pour un patient atteint d'une forme grave de la maladie (après discussion collégiale, en fonction de la symptomatologie, des complications et du terrain du patient).
Même si le Monkeypox a l'apparence d'une infection sexuellement transmissible (IST) et que l'on a retrouvé du virus dans le sperme, on ignore encore s'il se transmet par voie sexuelle. Il semble plutôt se transmettre par le simple contact avec la peau infectée, par un baiser, éventuellement par un partage de repas ou bien encore le partage de linge ou de matériel de toilette, ou peut-être par les postillons à courte distance.
Plusieurs cas sont survenus chez l'enfant –au moins deux en France depuis le mois de mai. On a également récemment appris qu'une école de la région du Surrey, au Royaume-Uni, avait fermé après la découverte de cas chez des enfants de 4 et 5 ans.
Une douleur physique
et psychologique
Nous avons, enfin, besoin de doses vaccinales d'urgence parce qu'à force de dire que le Monkeypox est bénin au prétexte qu'il ne serait pas létal en population générale (aucun décès n'a été rapporté dans le monde jusqu'à présent, lors de cette flambée hors d'Afrique équatoriale), il n'en est pas moins éprouvant sur le plan physique comme psychologique.
Selon nos collègues britanniques, 5% à 10% des patients sont quand même hospitalisés pour des formes graves, et des praticiens et patients rapportent des douleurs très importantes nécessitant une prise en charge à l'hôpital lorsqu'il existe des lésions au niveau de l'anus et/ou du sexe. Ils rapportent aussi des maux de gorge lorsque le virus s'installe dans la zone pharyngée. En outre, des co-infections ou des surinfections des lésions sont possibles. L'été caniculaire et la transpiration n'aident notamment pas à la cicatrisation.
Ce qui est particulièrement affligeant dans cette épidémie, c'est l'absence quasi-totale de politique de santé publique qui s'y rattache.
Aujourd'hui, alors que les symptômes des malades dans les zones non endémiques se définissent plus précisément, on a également appris, le 8 juillet, que les sociétés savantes françaises d'étude et de traitement de la douleur, de dermatologie et de coloproctologie travaillent à la définition d'un protocole de prise en charge de la douleur pour les patients.
La douleur est également d'ordre psychologique. On pense notamment à la durée de l'isolement, longue de vingt-et-un jours. Il y a aussi la crainte de la stigmatisation liée à la maladie ainsi qu'aux cicatrices que les vésicules peuvent laisser sur le peau. Et puis, remontent par les malades des cas de maltraitance médicale et d'homophobie. Sont-elles la conséquence d'une ignorance de certains cliniciens vis-à-vis du Monkeypox? Elles sont injustifiables.
Le podcast Vulgaire – La variole du singe
Plusieurs protocoles de recherche sont en cours en Europe, auxquels la France participe activement. Une étude scientifique internationale sur le Monkeypox vient notamment d'être lancée dans dix pays européens, dont la France –principalement au travers du réseau EU-Response et sous l'égide de l'European Clinical Research Alliance for Infectious Diseases (Ecraid)–, afin de mieux comprendre le virus et d'évaluer la prise en charge des patients atteints par cette maladie. Elle devrait notamment donner des informations documentées sur sa symptomatologie.
Cette documentation contribuera aussi à un meilleur dépistage et diagnostic, dans le but de permettre aux malades de s'isoler et de prendre les mesures nécessaires pour protéger leur entourage et d'être vigilants quant à la possible aggravation de leurs symptômes.
Y a-t-il un pilote dans l'avion?
Ce qui est particulièrement affligeant dans cette épidémie, c'est l'absence quasi-totale de politique de santé publique qui s'y rattache. Un peu partout en Europe, les autorités de santé semblent avoir abdiqué dans cette affaire, laissant les patients se débattre seuls avec leurs cliniciens.
Se rend-on compte qu'on a moins de 1.000 cas en France aujourd'hui, mais qu'on rapporte déjà des difficultés à obtenir rapidement les résultats d'un test PCR pour effectuer le diagnostic et instituer un traitement? Peut-on seulement accepter l'idée que la riche Europe, dès le départ de cette épidémie, malgré deux ans et demi d'expérience avec le Covid-19, fasse face à des difficultés logistiques majeures pour le diagnostic, le traitement et la vaccination alors qu'il y a, somme toute, si peu de patients atteints? Mais alors, dans quelle situation nos autorités se retrouveront-elles si dans quelques semaines l'épidémie devait déborder dans d'autres segments de la population?
Peut-on savoir qui réfléchit actuellement, au ministère, à des scénarios où 5% à 10% d'hospitalisations pour Monkeypox commenceraient à peser sur notre système de santé? Peut-on savoir qui réfléchit en interministériel à cette épidémie sur un horizon de trois à six mois? N'est-il pas temps que le ministère de la Santé et de la Prévention actionne le deuxième pan de son portefeuille? Car il semble que l'on ait un besoin urgent aujourd'hui qu'un pilote dans l'avion, rue de Ségur, reprenne le manche et nous communique son plan de vol pour le Monkeypox, avec un horizon de prévention et une altitude de santé publique.