Médias / Culture

Le pastiche, un art salvateur dans un monde trop sérieux

Temps de lecture : 4 min

Dans une période de polarisation forte du débat public, écrits, discours, films et apparitions télévisuelles donnent matière à un foisonnement de pastiches. Cet art sauvera-t-il notre époque?

Johann Cuny, Pauline Clément et Bertrand Usclat dans un épisode de Broute. | Capture d'écran Yes vous aime via YouTube
Johann Cuny, Pauline Clément et Bertrand Usclat dans un épisode de Broute. | Capture d'écran Yes vous aime via YouTube

Fréquemment, les enquêtes révèlent un profond pessimisme de nos concitoyens quant à la possibilité de changer le cours des choses par les urnes, ou même de changer les choses tout simplement. Pourtant, les débats deviennent de plus en plus polarisés et violents. L'esprit de sérieux écrase absolument tout. Dans cet enfermement, l'un des courants d'air frais oxygénant nos esprits passe par le pastiche, véritable artisanat d'art au milieu d'un monde à l'insipidité oppressante. Groland, Jalons, Les Inconnus… tous ont, chacun à son époque, fait du pastiche une discipline de nouveau prisée et même érigée en art.

Des Inconnus aux petits nouveaux du genre

La «Télé des Inconnus» a marqué toute une génération. Pastichant la télévision de l'époque, les Inconnus ont laissé à la postérité quantité de sketchs, mais aussi de chansons et d'expressions restées dans les mémoires des Français, des clips des groupes Vice et Versa ou Dousseur de Vivre aux émissions de critiques de cinéma en passant par les soirées-débats consacrées à l'humour.

Très populaire également, la nouvelle génération de pasticheurs qui a éclos, cette fois grâce à internet et aux réseaux sociaux. Ils s'appellent Le Gorafi ou Broute et se moquent habilement de notre époque. Il est arrivé que les articles du Gorafi soient pris pour des articles sérieux, comme lorsque Christine Boutin les cite à l'appui d'une de ses démonstrations idéologiques. Groland n'a également plus à démontrer ses talents avec son président Micron, ses artistes Michel Sardouille, Pejaud ou Gérard Dedieu.

Ceux que l'on révère: Jalons

Jalons est le nom d'un groupe fondé sur les cendres de feu «Septembre Nul» et animé notamment par les frères Marc et Bruno Tellenne, alias Karl Zéro et Basile de Koch. Il est organisé en courants auxquels chacun est invité à s'affilier selon ses préférences politiques de la vraie vie. Frigide Barjot fut ainsi une membre éminente du RaPouRi (Rassemblement pour Rien).

Le Monstre, Laberration, Franche Démence, Le Lougarou Magazine, Pourri Moche, et d'autres sont pastichés avec génie.

Différentes personnalités ont fait partie de Jalons: Bénédicte Charles (journaliste et scénariste), Brice Couturier qui, à travers ses tweets, en a conservé un sens aigu du pastiche et de l'auto-dérision, Marc Cohen (Youri Ligotmy) qui a œuvré à Causeur (qui n'est pas un pastiche), ou encore Pascal Fioretto (alias Docteur Sam Bloch), auteur prolifique et à succès, sur lequel nous reviendrons. Le dénommé Hubert Mensch animait quant à lui «Nazisme et Dialogue».

Fin 2015, Jalons publie au Cerf une anthologie de ses pastiches. Cette somme fera pleurer de rire les aficionados. Plusieurs grands titres de presse sont ainsi pastichés sans méchanceté mais avec talent. Le Monstre, Laberration, Franche Démence, Le Lougarou Magazine, Pourri Moche, et d'autres sont pastichés avec génie. Laberrration titre «Jean-Marie Le Ped» («rumeurs sur les mœurs du leader du Front National»).

Autres articles: «Le pari de Chevènement: en 1990, tous les bacheliers sauront lire et écrire» ou encore «Sanglant attentat néo-libéral à Paris». En avance sur son temps, alors que 1985 est un hiver glacial, Jalons défile au métro Glacière aux cris de «L'hiver ne passera pas» et de… «À bas la calotte glacière».

Peu après, en pleine cohabitation Mitterrand-Chirac, France Démence, leur nouveau pastiche, titre sur «Le coup de cœur de Gilbert Mitterrand pour Claude Chirac». La couverture annonce également «Le terrible drame de Stéphanie de Monaco: on essaie de la faire chanter», alors que du Rocher monégasque à Noisy-le-Grand, la princesse fait trembler le Top 50. En 1993 Le Figagaro, à la veille de législatives tournant à la déroute pour le PS, titre: «86% des Français veulent chasser les socialistes comme des domestiques indélicats».

Un pastiche de Voici, Voiri, annonce une liaison entre l'abbé Pierre et Caroline de Monaco: «Enfin un gendre présentable pour Rainier».

Quelques années auparavant c'est le Figaro Magazine, dans sa version la plus «Louis Pauwels», qui fut pastiché en Lougarou Magazine avec des articles tels que «Et si on privatisait la peine de mort?», une interview du très libéral Alain Madelin, «Il faut supprimer le code de la route» dans les pages «Pour comprendre et aimer le libéralisme», une interview du «Professeur Tommy Lobo» intitulée «Une bonne gifle peut désintoxiquer un drogué» et, enfin, un dossier «Maîtres, apprenez à choisir vos domestiques».

Un pastiche de Voici, Voiri, annonce une liaison entre l'abbé Pierre et Caroline de Monaco: «Enfin un gendre présentable pour Rainier». Plus tard, Pourri Moche (Paris Match pastiché), affiche en couverture «Mazarine présente sa fille cachée, Mitterrande»… Enfin, Fientrevue, objet d'un acharnement procédurier de la part des propriétaires de l'original, teste la RATP grâce à un de ses reporters: «En plein plan Vigipirate, j'ai balayé le métro pendant six mois sans autorisation!»

Fioretto ou le Michel-Ange du genre

Pascal Fioretto a le génie du pastiche. Ancien du groupe Jalons, au sein duquel il participa activement à la création de pastiches de la presse, il s'est attelé avec un rare talent à une véritable œuvre, composée déjà de plusieurs ouvrages pastichant les grands noms de la littérature. Il est aussi l'un des collaborateurs de Laurent Gerra pour ses chroniques sur RTL.

S'il est bien fait, le pastiche n'est pas méchant, et s'il pousse à l'autodérision ce n'en est que mieux.

Son dernier-né est L'anomalie du train 006, un pastiche plus que réussi du livre goncourisé d'Hervé Le Tellier, qui d'ailleurs préface son propre pastiche. Le Gay Vinci Code avait transposé le style et l'intrigue du Da Vinci Code dans l'univers du Paris gay. Il a été suivi notamment par Et si c'était niais, où l'on croise Denis-Henri Lévi, Christine Anxiot, Fred Wargas, Marc Levis, Mélanie Notlong et beaucoup d'autres dont Anna Galvauda. La «success story» commence véritablement, au point que les lecteurs de Pascal Fioretto attendent désormais en trépignant son prochain opus et le nom de l'heureuse victime pastichée.

Mélatonine, paru en 2019, pousse l'art du pastiche à la perfection. C'est au genre du pastiche ce que le plafond de la chapelle Sixtine est à la peinture. De la première à la dernière phrase, le style reprend impeccablement celui de l'auteur ciblé. Le narrateur Marcel Klouellebecq y raconte son exil dans la «diagonale du vide» au-delà du 77 (c'est-à-dire de la circonscription d'Olivier Faure), dans une commune appelée Morneuil.

Le caractère pesant des thèmes charriés par le débat public, et l'esprit de sérieux qui lui est évidemment consubstantiel mais s'insinue partout dans la société, rendent plus nécessaire la plongée dans l'univers du pastiche, notamment pour les plus réfractaires à leur époque Ce monde parallèle rend notre époque beaucoup plus vivable. S'il est bien fait, il n'est pas méchant, et s'il pousse à l'autodérision ce n'en est que mieux. En tout cas, voilà un art qui devrait avoir ses prix et festivals.

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